Mon premier réflexe a été de constater que l’écart était tout simplement abyssal. Gênant.

Imaginez : si les Québécois étaient imposés comme le sont les Ontariens, ils paieraient 10,2 milliards en impôts et taxes de moins. Comme les Britanno-Colombiens ? 14,6 milliards de moins. Les Albertains ? 23 milliards de moins. Par année.

Je veux bien comprendre que le Québec, en échange de ses lourds impôts, offre à ses résidants des services sociaux particuliers, telles l’assurance médicaments, les garderies et universités peu coûteuses ou l’assurance automobile, mais tout de même, 23 milliards, c’est énorme. C’est l’équivalent du budget du ministère de l’Éducation au complet, qui compte pour près du quart du budget du Québec.

Dit autrement, pour chaque 100 $ de fardeau fiscal, les Québécois paieraient seulement 56 $ avec le système fiscal albertain, 72 $ avec celui de la Colombie-Britannique et 81 $ avec celui de l’Ontario. Seules les provinces atlantiques ont des systèmes plus lourds ou aussi lourds que le Québec.

Ce constat vient d’une nouvelle analyse de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFPP) de l’Université de Sherbrooke. Les chercheurs sont Luc Godbout et Julie St-Cerny-Gosselin. Leur analyse englobe les impôts, les taxes à la consommation et les charges sociales de 2019, desquels ont été soustraits les crédits d’impôt et les allocations familiales provinciales.

En fait, non seulement nous payons plus d’impôts et de taxes à la consommation que dans les autres grandes provinces, selon leur analyse, mais l’écart s’est accru depuis une dizaine d’années avec l’Alberta et la Colombie-Britannique.

En 2010, l’écart était de 15 milliards plutôt que 23 milliards avec le système albertain. Et avec celui de la Colombie-Britannique, il se chiffrait à 6,5 milliards plutôt que 14 milliards. Comment est-ce possible ?

Ça, c’était le premier réflexe, dont je parle dans mon premier paragraphe. Mais avec un peu de recul et quelques questions pointues aux chercheurs, j’ai pu trouver des réponses qui expliquent une grande partie des écarts, dois-je dire.

Essentiellement, les Albertains et les Ontariens vivent au-dessus de leurs impôts, peut-on dire, comme certains diraient vivre au-dessus de leurs moyens. Depuis quelques années, ils financent leur faible fardeau fiscal en accumulant les déficits monstres, bref, en s’endettant sur les marchés financiers.

Vous n’êtes pas convaincu ?

En 2019, l’Alberta a fait un déficit de 12 milliards de dollars, supporté par une population deux fois moindre qu’au Québec. Et ce déficit n’est pas exceptionnel. Il fait suite à des déficits annuels moyens de 8 milliards au cours des quatre années précédentes.

Et on ne parle pas du déficit prévu de 21 milliards pour l’année en cours, en toute équité, puisqu’il est principalement causé par le coronavirus.

Visiblement, à les voir gérer leur économie, les Albertains ne comprennent pas que l’ère du développement pétrolier à tout crin, qui a financé leur train de vie unique au monde, est bel et bien terminée. Le dernier clou, si l’on peut dire, a été enfoncé par la décision de Joe Biden de dire non à l’oléoduc Keystone XL, et la planète l’en remercie grandement.

Mais je m’égare. Si les Albertains comblaient leur déficit de 12 milliards de 2019 avec une taxe de vente provinciale – inexistante sur leur territoire –, ils devraient s’en imposer une de 10 %, environ.

Et ce faisant, cette taxe dégonflerait l’avantage du système fiscal albertain. Au lieu des 23 milliards d’écart, on tombe à moins de 10 milliards, selon une estimation des chercheurs, ce qui se rapproche du coût des mesures sociales plus généreuses au Québec.

Même chose pour l’Ontario. La province voisine engrange les déficits depuis 12 ans, à raison de 10 milliards par année, en moyenne. Si elle comblait son déficit de 2019 (8,7 milliards) avec une hausse de sa taxe de vente provinciale, il faudrait la faire grimper de 2,5 points de pourcentage.

Et alors, l’écart avec notre système mesuré par les chercheurs fondrait du tiers, ce qui est plus conforme au coût de notre système social plus généreux et de nos factures d’électricité bien plus modestes.

Autre observation : si l’écart s’est accru avec les années, c’est justement parce que le Québec a éliminé son déficit (avant l’année COVID-19) avec, entre autres, des impôts et taxes en hausse. Ce phénomène risque de se produire ailleurs au cours des prochaines années, inversant la tendance.

Il reste la Colombie-Britannique, dont l’économie est florissante et qui, ma foi, nous impose de nous interroger, malgré les bémols des précédents paragraphes, sur le fardeau fiscal quand même lourd du Québec. Ce n’est pas pour rien que le gouvernement Legault ne veut pas augmenter les taxes et impôts pour financer le déficit de la COVID-19. On verra, comme disait l’autre.