Après les pénuries et les hausses de prix, que nous réserve 2022 ? L’exercice annuel de prévisions économiques de La Presse, qui en est à sa 46e année, se déroule dans un contexte plus serein qu’il y a un an, mais tout aussi incertain. Notre discussion sur les défis à venir avec nos quatre spécialistes.

Entre inflation et Omicron

Même handicapé par une rareté de la main-d’œuvre, le Québec finit l’année 2021 en lion, avec une croissance économique supérieure à 6 %, un des taux les plus élevés du monde industrialisé.

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La pénurie de main-d’œuvre touche particulièrement les restaurants.

C’est du jamais vu, et ça ne se reverra probablement jamais, tant la pandémie et la reprise post-pandémie ont chamboulé les indicateurs des économistes. À mesure que le monde reprend ses marques, le Québec reviendra à un taux de croissance plus modeste, inférieur à la moyenne canadienne. En 2022, ce sont l’Alberta et la Saskatchewan qui tireront l’économie canadienne vers une croissance de 4 %, prévoient les économistes consultés par La Presse.

« Il y a un effet de rattrapage dans les deux provinces », explique Robert Hogue, économiste de la Banque Royale du Canada, joint à Toronto. La remontée du prix du pétrole a ressuscité l’investissement et la croissance, un élan qui se poursuivra en 2022, prévoit-il.

L’économie québécoise, qui avait plongé plus creux, a fait un rebond remarquable. L’ADN de l’économie québécoise lui permet de mieux résister aux crises, comme celle induite par la pandémie. « Le Québec est la troisième juridiction parmi les mieux diversifiées en Amérique du Nord, ajoute Matthieu Arseneau, économiste de la Banque Nationale. Ça nous sert quand des chocs comme ça arrivent. »

Faiblesses importantes

Il ne faut pas s’attendre à une performance semblable en 2022. D’ailleurs, à y regarder de plus près, les chiffres de 2021 indiquent des faiblesses importantes. « Le nombre d’heures travaillées n’est pas revenu au niveau d’avant la pandémie, souligne Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins. Et le bilan en matière d’investissement n’est pas reluisant. »

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Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins

C’est la rareté de la main-d’œuvre qui en est responsable, selon lui. Les entreprises hésitent à investir dans de l’équipement et de nouvelles technologies quand elles ne savent pas si elles vont trouver des employés pour les opérer. « C’est le problème numéro un et ça va finir par paraître dans les chiffres », croit Jimmy Jean.

Le nombre total d’heures travaillées, qui n’a pas encore récupéré le terrain perdu, est un indicateur clair que la rareté de la main-d’œuvre ralentit la croissance du Québec, estime pour sa part Dominique Lapointe, économiste de la Banque Laurentienne, qui voit le taux de croissance du Québec sous les 3 % en 2022.

Comme ses collègues, Dominique Lapointe est plus inquiet pour 2022 depuis l’apparition du variant Omicron.

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Dominique Lapointe, économiste de la Banque Laurentienne

Le taux de vaccination augmente dans les pays émergents, ce qui va permettre de rééquilibrer la croissance. Mais si les vaccins sont inefficaces, ça risque de nous ramener six mois en arrière.

Dominique Lapointe, économiste de la Banque Laurentienne

Dangereuse inflation

L’inflation est l’autre grande incertitude à l’horizon économique mondial, que tout le monde a sous-estimée. Notre panel estime que la Banque du Canada a la bonne approche : elle s’en inquiète, mais ne cède pas à la panique.

Une partie des hausses de prix est certainement transitoire, assure Jimmy Jean, à moins de ne plus croire à la loi de l’offre et de la demande. L’offre de biens a été déséquilibrée par des consommateurs confinés et empêchés de consommer des services, explique-t-il, mais l’offre s’ajuste toujours, parfois de façon excessive, explique-t-il.

On l’a vu avec le bois d’œuvre, où l’ajustement a été très rapide, et on risque de le voir avec d’autres produits, comme les semi-conducteurs.

Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins

Des investissements massifs ont été annoncés pour pallier la pénurie de semi-conducteurs. « Dans quelques années, on va nager dans les semi-conducteurs et les prix vont baisser », prédit-il.

Les banques centrales devront réagir plus tôt que prévu pour calmer les attentes inflationnistes, mais les hausses seront graduelles, prévoient les quatre économistes. « Le plus grand risque au niveau mondial est que les banques centrales augmentent leurs taux trop agressivement », résume Dominique Lapointe.

La remontée des taux d’intérêt fera mal aux gouvernements qui se sont surendettés pour combattre la pandémie et aux ménages qui ont contracté des prêts trop lourds, mais cette remontée ne devrait pas être trop douloureuse pour l’économie dans son ensemble.

Il faut dire que, selon les prévisions de nos économistes, le taux directeur de la Banque du Canada sera à 1 % à la fin de 2022, ce qui reste très bas.

Pour le marché immobilier, les perspectives s’assombrissent certainement, croit Robert Hogue. « Et c’est une bonne chose parce que des hausses de prix comme celles que nous avons vues, ce n’est pas sain. »

2021 revue et corrigée

À pareille date l’an dernier, les économistes invités par La Presse à faire part de leurs prévisions pour 2021 nageaient en plein brouillard. Tout espoir d’une reprise économique dépendait de la commercialisation de vaccins efficaces contre la COVID-19.

« Une longue année de convalescence », avions-nous titré le dossier sur les perspectives pour 2021.

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La place Jacques-Cartier, dans le Vieux-Montréal, haut lieu du tourisme au Québec

En fait, la convalescence a été très courte pour une grande partie de l’activité économique, qui a repris à la vitesse grand V. Mais pour le secteur des services, les restaurants, le tourisme, les arts et spectacles, la convalescence n’est pas encore terminée.

L’accès aux vaccins a permis une croissance très forte et une baisse rapide du taux de chômage.

Dominique Lapointe, économiste de la Banque Laurentienne

Heureuse surprise

Pour les économistes de notre panel, le plus surprenant est que les dommages permanents à la capacité de production aient été limités. « Comme si on avait éteint la lumière et qu’on l’avait rallumée », illustre Matthieu Arseneau, économiste de la Banque Nationale.

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Matthieu Arseneau, économiste de la Banque Nationale

Grâce à la générosité des gouvernements et à la politique monétaire accommodante, le nombre de faillites a baissé et le revenu disponible a augmenté, du jamais vu en temps de crise.

« Ce qu’on voit comme distorsions dans l’économie actuellement est dû à ces transferts massifs des gouvernements », dit Dominique Lapointe à propos des pénuries de produits et des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement.

Le retour de l’inflation, après des décennies d’absence, est aussi une conséquence imprévue des mesures prises par les gouvernements pour combattre l’impact de la pandémie. La consommation de produits de toutes sortes a explosé dans tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), où les consommateurs ont eu à la fois plus d’argent dans leurs poches et moins d’occasions de le dépenser.

Matthieu Arseneau estime que les gouvernements ont été trop généreux. « Ce qui m’a surpris le plus, c’est qu’on ait maintenu une telle générosité pendant aussi longtemps », dit-il.

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Robert Hogue, économiste de la Banque Royale du Canada

L’aide des gouvernements était sûrement essentielle, estime l’économiste Robert Hogue, économiste de la Banque Royale du Canada, « c’est toujours difficile d’avoir des politiques qui ont le bon timing et la bonne envergure ».

Gérer les conséquences

Mais ce qui est fait est fait, et il faut maintenant gérer les conséquences de ces mesures d’exception, notamment l’inflation et l’augmentation des prix du logement.

« C’est un problème d’offre et ça va se normaliser », estime Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins.

Les produits les plus recherchés vont finir par arriver, parce que c’est toujours ce qui se produit.

Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins

Par contre, d’autres hausses de prix pourraient persister, comme les prix du logement ou les coûts liés à la transition énergétique, selon lui.

Les gouvernements sont maintenant tentés d’aider financièrement les ménages à faire face à la hausse du coût de la vie. Le gouvernement du Québec vient par exemple d’annoncer le versement de 3,3 millions de dollars aux ménages québécois pour les aider à faire face à l’inflation.

De telles mesures sont peut-être justifiées, à condition d’être temporaires, croit l’économiste de Desjardins. « Si on veut régler un problème d’inflation, ce n’est pas en stimulant la demande qu’on va le faire », explique-t-il.

Climat : éviter le pire

La transition énergétique est un risque important pour l’économie canadienne, qui n’a toujours pas de plan concret pour y faire face. C’est aussi un sujet toujours absent des prévisions économiques.

« Les cibles de réduction des émissions sont de plus en plus ambitieuses, mais les plans manquent de détails pragmatiques », constate Dominique Lapointe, économiste de la Banque Laurentienne.

Longue transition

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Fort McMurray, en Alberta

Le secteur du pétrole et du gaz compte pour beaucoup dans le produit intérieur brut (PIB) canadien, soit autour de 10 %. En 2022, ce sont la Saskatchewan et l’Alberta, deux provinces productrices de pétrole, qui auront les taux de croissance les plus élevés au pays.

Les pressions sont de plus en plus fortes de la part des environnementalistes comme des investisseurs pour réduire la production pétrolière et gazière canadienne. « Malgré l’appétit pour fermer le tout, il faut être réaliste, la transition énergétique va prendre du temps », souligne Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins.

Le danger d’aller trop vite, c’est de se retrouver comme en Europe, où les prix du gaz naturel explosent parce que les investissements insuffisants ont réduit l’offre.

On est obligé de se tourner vers le charbon parce que la demande n’a pas fait sa transition vers le renouvelable.

Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins

Ne pas cracher sur le gaz naturel

Dominique Lapointe, de la Banque Laurentienne, croit qu’on doit commencer par avoir un débat sur le rôle du gaz naturel dans la transition énergétique. « On est contre ça [le gaz naturel] dans le milieu des écologistes, mais si on doit retourner au charbon... », avance-t-il.

Le gaz naturel pourrait aider le Canada dans sa transition énergétique, croit-il.

Jimmy Jean estime que le Canada doit se donner la chance de profiter des technologies comme le captage du carbone pour produire du pétrole plus propre.

Les entreprises du secteur sont aussi prêtes à le faire, estime Robert Hogue, économiste de la Banque Royale du Canada, qui appelle lui aussi au réalisme. « On va avoir besoin de ces énergies-là pendant un bon bout de temps. »

Pour trouver des solutions, il faut éviter l’affrontement et maintenir l’adhésion de la population à la nécessité de la décarbonation, résume Matthieu Arseneau, économiste de la Banque Nationale.