Un quart de siècle après l’adoption de la Loi sur l'équité salariale, un écart demeure entre emplois à prédominance masculine et ceux à prédominance féminine et il sera le plus difficile à éliminer, estime l’ancienne ministre Louise Harel, responsable du projet en 1996. La route a été longue, certaines employées ne recevant leur chèque d’équité salariale qu'aujourd’hui, en 2021.

Lorsque l’ancienne ministre péquiste Louise Harel regarde le chemin parcouru depuis 25 ans, elle admet qu’il y a eu un gain. En 1997, l’écart salarial s’élevait à 15,8 %, alors qu’en 2020, il a baissé à 8,1 %. Un portrait légèrement meilleur que la moyenne canadienne avec 11,3 %.

« Ce gain, c’est ce qui était le plus facile à faire, précise l’ancienne ministre d’État à l’Emploi et à la Solidarité et responsable de la Condition féminine. Même si le gouvernement lui-même n’a pas appliqué la loi d’emblée, que certains articles ont été portés devant la Cour suprême et que certaines employées dans le milieu scolaire ne recevront leur chèque que cette année.

D’ailleurs, celle qui a fait adopter la loi raconte que plusieurs années plus tard, en 2012, elle s’est retrouvée à la faire appliquer comme cheffe de l’opposition à la Ville de Montréal en votant le versement des sommes dues. « La boucle était bouclée », conclut Louise Harel.

Elle estime que faire appliquer une loi à l’administration publique et aux grandes entreprises est cependant plus simple que pour les petites PME qui accusent un retard.

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Louise Harel était ministre d’État à l’Emploi et à la Solidarité et responsable de la Condition féminine en 1996, quand a été adoptée la Loi sur l'équité salariale.

Pour aller chercher le pourcentage de femmes que la loi n’a pas rejointes, soit les femmes immigrantes ainsi que celles avec une faible scolarisation et un faible salaire, il va falloir une formidable mobilisation, parce que c’est le noyau le plus dur à déloger.

Louise Harel, ex-ministre d’État à l’Emploi et à la Solidarité et responsable de la Condition féminine

À l’époque, la mobilisation des centrales syndicales, des parlementaires, d’organismes communautaires et de féministes avait été payante.

La directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec, Manon Poirier, soulève le même enjeu, statistique à l’appui : en 2015, les femmes racisées canadiennes gagnaient 59 cents contre chaque dollar gagné par les hommes non racisés.

Or, le Québec pourrait s’illustrer en précurseur comme en 1996 s’il tenait compte de la diversité en s’assurant que le fait d’être immigrant et d’avoir été formé ailleurs n’ait pas d’impact sur le niveau salarial, propose Mme Poirier. « Même si c’est un exercice très complexe, j’en conviens. »

Aucune sanction si la loi n’est pas appliquée

Les dossiers traînent notamment dans les milieux non syndiqués. L’absence de sanction n’aide pas à faire diminuer cet écart, estime pour sa part la présidente de la CSN Caroline Senneville. « Il y a des employeurs qui n’ont même jamais entrepris le premier exercice d’équité salariale et il n’y a pas de sanction. C’est une loi qu’on peut éviter et contourner pendant de nombreuses années. »

Actuellement, 36 000 employeurs québécois sont tenus de réaliser un exercice d’équité salariale.

Pour ce qui est du secteur public, des centaines de dossiers ne sont pas encore réglés, soutient Caroline Senneville, même si des tables de négociation parallèles ont été ouvertes spécifiquement pour s’attaquer aux cas d’iniquité salariale lors des dernières négociations. Elle cite l’exemple des préposés en retraitement des dispositifs médicaux, des postes occupés majoritairement par des femmes.

Un marché du travail sexué

La présidente de la CSN rappelle que le marché du travail québécois est extrêmement sexué. Sur plus de 600 titres d’emplois au gouvernement provincial, seulement quelques dizaines sont mixtes. On compte par exemple 15 % de femmes ingénieures et 3 % d’hommes secrétaires.

« C’est ça qu’il faut mettre en lumière », affirme Caroline Senneville. D’autant plus qu’il y a encore des gens qui confondent l’égalité salariale, même salaire pour le même poste, et l’équité salariale, qui vise une meilleure reconnaissance des postes occupés majoritairement par des femmes, dit-elle.

Il n’est pas rare que la présidente de la CSN entende encore des réflexions empreintes de préjugés ou d’ignorance, comme celle qui allègue qu’un homme exerçant un métier de type féminin n’aura pas droit à une augmentation. Ou encore qu’il soit impossible de comparer le travail d’une secrétaire assise à son bureau toute la journée avec celui d’un camionneur sur la route.

Pourtant, dit-elle, les hommes n’y perdent rien au change. Au contraire. Non seulement on ne peut pas baisser les salaires des catégories masculines, mais l’apport financier des emplois féminins devient plus grand pour toute la famille.

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La pandémie a montré l’importance stratégique des préposées, infirmières, éducatrices en garderies et enseignantes auprès des populations plus vulnérables.

Les révélations de la pandémie

« Les jeunes hommes sans formation vont avoir des conditions salariales très avantageuses par rapport aux femmes qui s’occupent de nos enfants, des personnes âgées et des malades », soulève Manon Poirier qui croit fermement qu’on doit encore hausser à sa juste valeur la rémunération des femmes qui occupent ce type d’emploi.

À cet égard, la pandémie a montré l’importance stratégique des préposées, infirmières, éducatrices en garderies et enseignantes, observe Louise Harel. Des emplois qui étaient dévalués en regard de ceux de production, de fabrication ou dans la finance.

On s’est rendu compte collectivement de l’importance dans la société de ces emplois de service à défaut de quoi, on est très vulnérable comme société humaine.

Louise Harel

Un peu plus haut, un peu plus loin

Peut-on aller plus loin avec cette même loi et atteindre le 0 % d’écart ? questionne Manon Poirier. « On n’a pas la réponse. »

Louise Harel croit que le mécanisme sectoriel prévu dans la loi pourrait justement aider à l’atteindre. Au lieu de faire une comparaison des postes au sein d’une même entreprise, la comparaison peut se faire par secteur, notamment dans l’alimentation, la restauration et l’hôtellerie. « Ç’a été très peu utilisé jusqu’à présent, car les entreprises hésitent à dévoiler les rémunérations. »

« Il y a 100 ans, on avait un débat à la Cour suprême pour savoir si la femme était un être humain, fait observer Caroline Senneville. Il faut prendre la mesure des batailles gagnées et continuer à voir ce qui peut être amélioré. »