(Washington) Tandis que Justin Trudeau a livré un plaidoyer pour le libre-échange auprès de législateurs du Congrès américain, à Washington, Joe Biden, de son côté, a vanté ses mesures protectionnistes dans une usine de Detroit, mercredi. Deux messages aux antipodes lancés à la veille d’un sommet des « Trois Amigos » où les terrains d’entente pourraient être difficiles à trouver.

À son premier jour d’un voyage à Washington, D. C., mercredi, le premier ministre du Canada s’est entretenu avec la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, le chef de la minorité à la Chambre, et ensuite, le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, ainsi que le chef de la minorité au Sénat, Mitch McConnell.

Le message qu’il leur a envoyé est clair : le Canada s’oppose aux mesures protectionnistes.

Au Canada comme au Mexique, on redoute les contrecoups de certains chantiers du plan « Buy American » de Joe Biden, en particulier ce crédit d’impôt pouvant atteindre 12 500 $ pour l’achat de véhicules zéro émission « made in USA ».

Ainsi, auprès de ces législateurs, Justin Trudeau « soulignera l’importance de la coopération bilatérale au moment où les deux pays cherchent à se relever de la pandémie, à améliorer leurs infrastructures et à sécuriser les chaînes d’approvisionnement tout en évitant les politiques protectionnistes », a indiqué son bureau.

Le premier ministre canadien est de passage dans la capitale américaine pour participer au sommet des « Trois Amigos », qui se tient jeudi.

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À son premier jour d’un voyage à Washington, D. C., mercredi, le premier ministre du Canada s’est entretenu avec la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi

Le président des États-Unis, Joe Biden, est l’hôte de cette première rencontre trilatérale en plus de cinq ans. Justin Trudeau le rencontrera en tête-à-tête, jeudi, et il aura aussi une rencontre bilatérale avec le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador.

Devant un auditoire d’étudiants rassemblés au Woodrow Wilson Center, mercredi, on a eu droit à un aperçu du message qu’il est venu véhiculer.

« Nous sommes un petit peu inquiets »

Au cours de cette séance de questions-réponses qui a duré environ une heure, il a discuté d’une kyrielle de sujets, de la montée de la Chine aux enjeux autochtones en passant par le libre-échange, et il en a profité pour glisser un mot sur le fameux crédit d’impôt que caresse l’administration Biden.

« Nous sommes un petit peu inquiets par rapport à l’incitatif pour les véhicules zéro émission qui est contenu dans la proposition à l’étude au Congrès en ce moment, qui pourrait avoir de réelles conséquences négatives sur le Pacte de l’automobile [entre le Canada et les États-Unis] », a-t-il lâché.

« Cela fait partie des conversations que nous aurons un peu plus tard aujourd’hui afin de nous assurer que les gens comprennent », a enchaîné le premier ministre Trudeau en soulignant la grande intégration des industries automobiles du Canada, des États-Unis et du Mexique.

« Buy North American »

Le sentiment est partagé par le gouvernement mexicain.

La ministre de l’Économie du Mexique, Tatiana Clouthier, a dénoncé l’isolationnisme qui règne sous l’administration Biden, qualifiant l’approche d’« incompréhensible » dans une entrevue accordée mardi à Codigo Magenta, dont les propos ont été rapportés par l’agence Reuters.

« Au lieu de pousser un ordre du jour « Buy American », les États-Unis devraient miser sur un ordre du jour « Buy North American » [Achetez en Amérique du Nord] Pourquoi ? Parce que nous sommes une région. Et le président Lopez Obrador l’a dit à [Joe] Biden, il l’a dit à Kamala [Harris] », a-t-elle poursuivi.

Dans le milieu des affaires canadien, on commence aussi à lever des drapeaux rouges.

« Étant donné les liens étroits des chaines d’approvisionnement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, il nous faut plancher sur un plan commun d’achat local nord-américain », a plaidé Véronique Proulx, de Manufacturiers et Exportateurs du Québec, par voie de communiqué.

« La Chine nous rattrape »

Mais le signal envoyé par Joe Biden à la veille de ce sommet trilatéral n’a rien de bien réjouissant pour le front commun canado-mexicain : le président s’est rendu à Detroit, dans l’État-clé du Michigan, pour faire la tournée d’une usine d’assemblage de véhicules zéro émission de General Motors.

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Joe Biden s’est rendu mercredi à Detroit, dans l’État-clé du Michigan, pour faire la tournée d’une usine d’assemblage de véhicules zéro émission de General Motors.

« Pendant la plus grande partie du 21e siècle, nous avons mené le monde par une marge significative car nous avons investi dans nos gens, dans nous-mêmes. Mais à un moment donné, quelque chose a mal tourné : nous avons cessé. Nous risquons de perdre notre avantage en tant que nation. La Chine et le reste du monde nous rattrapent », a-t-il clamé dans la ville de l’automobile.

« Eh bien, nous sommes sur le point de renverser la vapeur, et de façon spectaculaire », s’est-il exclamé, promettant de faire de Detroit la plaque tournante mondiale de l’auto non polluante. « On va s’assurer que les emplois de l’avenir soient ici, au Michigan. Pas à l’autre bout du monde », a promis le président démocrate.

La Chine dans le tordeur

Le premier ministre Trudeau a lui aussi égratigné la Chine mercredi, en la taxant de piètre partenaire alors qu’il répondait à une question sur les minéraux critiques comme le lithium, le cobalt, ou encore le nickel, essentiels à la fabrication de produits liés aux énergies renouvelables et aux technologies propres (batteries, panneaux solaires, éoliennes), et dont le Canada est riche.

« Il y a 13 de ces minéraux […] que le Canada possède, et dont les États-Unis n’ont pas autant, et que nous sommes heureux de fournir de manière fiable », a-t-il exposé.

« Nous ne pouvons concurrencer avec certains pays pour les coûts de production, qui sont moins élevés car ils se fichent des normes environnementales et que les normes en matière de main-d’œuvre ne sont pas les mêmes. Ça va être plus cher de les extraire et de les transformer au Canada que dans d’autres pays », a enchaîné Justin Trudeau.

Mais selon lui, le vent commence à tourner, car les turbulences d’approvisionnement survenues pendant la pandémie ont fait réaliser à certains que « ça vaut probablement plus la peine de pouvoir se fier sur des sources fiables, des meilleurs amis comme le Canada et l’Australie ».

S’il n’a alors pas nommé spécifiquement la Chine, il l’a fait lorsqu’il est revenu à la charge un peu plus tard lorsqu’un jeune homme lui a parlé de la montée en puissance de l’Empire du Milieu. Là, il a critiqué le régime de Xi Jinping d’avoir emprisonné arbitrairement les Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor pendant presque trois ans.

Le président Joe Biden a eu un entretien virtuel lundi avec Xi Jinping.

Il accueille jeudi pour le sommet des « Trois Amigos » ses homologues au nord et au sud.

Sont aussi de ce voyage la vice-première ministre Chrystia Freeland, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, ainsi que la ministre du Commerce international, Mary Ng.