(Ottawa) Après plus de cinq ans de séparation, les « Trois Amigos » renouent. Le premier ministre Justin Trudeau met le cap sur Washington, ce mercredi matin, pour aller y rejoindre le président des États-Unis, Joe Biden, et le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador. Avant le sommet de jeudi, il consacrera sa journée à échanger avec de grosses pointures du Congrès américain.

Le dernier sommet remonte à 2016, alors que le dirigeant canadien avait reçu à Ottawa Barack Obama et Enrique Peña Nieto – la tradition s’est interrompue pendant le règne de Donald Trump à la Maison-Blanche. Depuis le changement d’administration au sud de la frontière, le ton a changé, mais une chose est demeurée : le protectionnisme à la sauce américaine est toujours dans le décor.

C’est ainsi que l’économie devrait être le sujet au cœur des échanges entre les trois leaders de l’Amérique du Nord. Car au Canada comme au Mexique, on redoute les contrecoups de certains chantiers du plan « Buy American » de Joe Biden, en particulier ce crédit d’impôt pouvant atteindre 12 500 $ pour l’achat de véhicules zéro émission « made in USA ».

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Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Le premier ministre du Canada a l’intention de soulever l’enjeu auprès de l’hôte de la réunion. Et à ses protestations s’ajouteront celles du président mexicain. « Nous sommes sur la même longueur d’onde que le Canada à ce sujet. Nous estimons que cela va à l’encontre de l’esprit de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) », lance en entrevue Juan José Gómez Camacho, ambassadeur du Mexique à Ottawa.

Il y aurait en effet entorse au pacte trilatéral entré en vigueur le 1er juillet 2020, estime Patrick Leblond, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa.

Ça contrevient aux règles du commerce international, et à l’ACEUM, parce que, bien sûr, c’est du protectionnisme pur et simple.

Patrick Leblond

Parmi les autres enjeux commerciaux litigieux opposant Washington et Ottawa figurent aussi ceux des produits laitiers et du bois d’œuvre. Cet épineux dossier traîne depuis des années ; il était à l’ordre du jour du sommet qu’avait organisé Justin Trudeau en 2016. À cela s’ajoute une pomme de discorde énergétique : la fermeture de la canalisation 5 d’Enbridge, qui est présentement devant les tribunaux.

Au Parti conservateur, le député Michael Chong espère que le premier ministre rentrera au pays avec des garanties « sur la ligne 5, les tarifs sur le bois d’œuvre et les politiques Buy American ». Son collègue bloquiste Simon-Pierre Savard-Tremblay redoute le crédit d’impôt. « Ça peut être très dommageable pour les ventes de véhicules canadiens, et il y a aussi un risque de délocalisation d’usines », plaide-t-il.

« Il ne veut pas lâcher le morceau »

Dans tous ces cas, les libéraux jurent qu’ils sont sur le coup.

Mais au sud de la frontière, le 46e président ne peut perdre de vue ses propres intérêts politiques, d’autant plus que les élections de mi-mandat de 2022 approchent à grands pas, souligne le politologue Frédérick Gagnon.

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Joe Biden, président des États-Unis

Ainsi imagine-t-il mal Joe Biden faire marche arrière sur le crédit d’impôt pour les véhicules zéro émission.

« Pour l’instant, il ne veut pas lâcher le morceau. Il aime bien ses amis canadiens, mais la mesure vise à satisfaire l’État-clé du Michigan, et des États du Midwest où l’industrie de l’automobile est forte, et où les élections de 2016 et 2020 se sont jouées », explique le directeur de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

D’autant plus que le Canada n’est « clairement pas la priorité » de l’administration de Joe Biden, signale le chercheur. « Il a d’autres chats à fouetter. Il a eu un sommet avec [le président chinois] Xi Jinping cette semaine ; c’est vraiment la Chine qui est une des étoiles guidant sa politique étrangère en ce moment. »

Cela dit, le président américain a été élu en disant vouloir rebâtir les ponts, note-t-il.

Et c’est ce qu’il fait en accueillant Justin Trudeau et Andrés Manuel López Obrador.

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Andrés Manuel López Obrador, président du Mexique

Le retour des Trois Amigos, « majeur »

« Le simple fait que les Trois Amigos soient de retour, que la relation trilatérale soit de retour, c’est majeur. Nous voulons plus d’Amérique du Nord, plus d’intégration nord-américaine, pas moins », abonde l’ambassadeur Juan José Gómez Camacho depuis Mexico, où il venait de rencontrer la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

Les deux feront le voyage à Washington, tout comme la vice-première ministre Chrystia Freeland, le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, ainsi que la ministre du Commerce international, Mary Ng. En plus de parler économie, la délégation canadienne souhaite discuter de pandémie et de lutte contre les changements climatiques, a-t-on signalé au gouvernement.

Le sommet en tant que tel se tiendra jeudi.

Justin Trudeau commencera la journée avec la vice-présidente Kamala Harris, avec qui il visitera une école de la capitale nationale. Il aura ensuite une rencontre bilatérale avec son vis-à-vis du Mexique, puis avec le président américain.

La réunion trilatérale devrait débuter en fin d’après-midi pour se terminer quelque part en soirée.

1,1 billion de dollars américains

Valeur, en 2019, du commerce trilatéral (soit les importations totales de chacun des pays en provenance de ses deux partenaires) entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Source : Affaires mondiales Canada