(Paris) Qu’elle résulte de pénuries de travailleurs, de grèves ou de mesures pour soutenir le pouvoir d’achat, l’augmentation des salaires dans les pays développés progresse, et elle fait peser un risque, pour l’instant modéré, d’emballement de l’inflation.

L’évolution est particulièrement visible aux États-Unis : le salaire horaire moyen des salariés du secteur privé y a augmenté de 4,9 % sur les 12 derniers mois, à 30,96 dollars en octobre, selon un rapport publié vendredi par le département du travail.

Les pharmacies CVS, les magasins Target, les restaurants Chipotle ou le géant Amazon ont franchi la barre des 15 dollars l’heure à l’embauche, soit plus du double de la rémunération fédérale minimum de 7,25 dollars.

À l’origine de ces revalorisations se trouvent des difficultés de recrutement dans de nombreux secteurs peu qualifiés comme la vente ou la petite enfance, une conséquence directe de la pandémie.

En Europe, les batailles syndicales et la pénurie de travailleurs dans des secteurs tels que le transport ou la restauration poussent là aussi les employeurs à augmenter certaines rémunérations.  

« Le marché du travail est encore loin d’être revenu à la normale et pourtant de nombreux signaux suggèrent qu’il est en surchauffe », souligne auprès de l’AFP David Wilcox, chercheur au Peterson Institute for International Economics et ancien directeur de recherche à la Banque centrale américaine (Fed).

Ces hausses « sont le signe que les employeurs ont besoin de retenir leurs travailleurs ou d’en attirer de nouveaux », ajoute-t-il.

Grèves

En Europe et aux États-Unis, les grèves se multiplient pour réclamer des revalorisations, à l’image du secteur de la construction en Allemagne qui vient d’obtenir 2 à 3 % de hausses de salaire puis 2,2 % en avril prochain.

Pour la métallurgie, dont les discussions salariales se tiendront l’an prochain, « les négociations […] s’annoncent compliquées dans l’industrie électrique et l’inflation va y jouer un rôle important », affirme à l’AFP Michael Erhardt, responsable de la section IG Metall de Francfort.

« Nos concitoyens voudront au moins conserver leur pouvoir d’achat et, si possible, avoir un peu plus », précise-t-il, dans un secteur qui emploie 3,8 millions de personnes.

Car après avoir stagné durant des années, le niveau des prix flambe, alimenté par la forte hausse des tarifs de l’énergie, les pénuries de matières premières et les difficultés d’approvisionnement à travers le monde.

De quoi largement éroder le pouvoir d’achat supplémentaire glané par les employés espagnols et britanniques, après l’annonce ces dernières semaines de la revalorisation de leurs salaires minimums, ou des hausses consenties aux États-Unis où l’inflation a encore plus fortement augmenté.

La relation entre l’inflation et les salaires est étroitement surveillée par les banques centrales dans leur pilotage de sortie de crise. Celles-ci craignent que les salariés réclament des hausses généralisées pour faire face à l’inflation et que les entreprises répercutent ces hausses sur leurs prix de vente, enclenchant une spirale inflationniste, sur le modèle des années 1970.  

« Nous n’avons pas de raison de penser que les salaires vont durablement augmenter et produire des effets de second tour », a affirmé la patronne de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, fin octobre. Son homologue américain Jerome Powell a affirmé mercredi qu’il « surveille de près » ce risque.

La perspective d’un emballement est rendue moins plausible par le fait que « le marché du travail des années 70 est largement différent de celui d’aujourd’hui », signale Gregory Clayes, économiste à l’institut Bruegel. Le taux de syndicalisation est de nos jours beaucoup plus faible qu’à cette époque-là, les salaires ne sont plus indexés sur l’inflation et les négociations salariales sont rendues plus difficiles par la mondialisation, rappelle-t-il.

Le pouvoir des salariés s’est donc estompé au fil des années au profit des employeurs et, aujourd’hui, « le capital a le dessus » au moment où ces pressions inflationnistes surviennent, abonde Jim Leaviss, de la société d’investissement londonienne M & G.

Si elle n’entraîne pas encore d’effets négatifs sur l’inflation, de nombreux économistes s’accordent en revanche sur le fait que la hausse des salaires est bienvenue, car elle se concentre surtout sur des professions qui bénéficiaient jusque-là de faibles rémunérations.