Sous prétexte d’une « rechute sans précédent » du prix du bois d’œuvre, les baisses de production annoncées ces jours-ci dans certaines usines de produits forestiers de Colombie-Britannique ravivent les tensions sur le marché du bois de construction.

Tant du côté des constructeurs résidentiels, qui appréhendent une résurgence de la récente flambée du prix du bois, que du côté des industriels forestiers, on espérait une certaine accalmie de leur marché après des mois de volatilité extrême.

« Si d’autres gros producteurs de bois d’œuvre [après Canfor, Conifex, etc.] décidaient aussi de réduire leur volume d’activités, est-ce que ça pourrait engendrer une autre flambée spéculative sur le prix et les approvisionnements en bois d’œuvre comme celles qui ont frappé fort cet été dans le secteur de la construction résidentielle ? », s’inquiète François Bernier, vice-président de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ).

« Malgré la baisse du prix du bois d’œuvre après les niveaux record atteints en début d’été, ça demeure très difficile pour les constructeurs de prévoir et d’intégrer cette volatilité du prix du bois dans la gestion de leurs contrats de vente de maisons neuves », indique M. Bernier lors d’un entretien avec La Presse.

De nouvelles clauses dans les contrats…

« D’ailleurs, c’est ce qui a incité la plupart des constructeurs résidentiels à ajouter une clause d’ajustement de prix dans leur contrat en cas de hausse du coût des principaux matériaux, en particulier le bois d’œuvre, durant la période de construction de la maison. »

Pour illustrer l’ampleur de ce défi de gestion budgétaire pour les constructeurs, François Bernier cite les données compilées par Statistique Canada qui montrent que la récente flambée du prix du bois d’œuvre à un niveau record a le plus contribué à la hausse de 20 % du prix de vente moyen des maisons neuves au Canada depuis l’an dernier.

« Plusieurs constructeurs ont pu négocier un ajustement de prix de vente avec leurs clients de maison neuve, non sans difficultés. En contrepartie, plusieurs constructeurs ont dû se résoudre à absorber ces surcoûts de matériaux afin de préserver leur réputation d’affaires dans le marché résidentiel. »

Un empressement qui étonne

Du côté des industriels du bois d’œuvre, on indique avoir été un peu surpris par l’empressement des gestionnaires de certaines usines de sciage en Colombie-Britannique à réduire leur production si tôt après la rechute du prix du bois d’œuvre sur le marché nord-américain.

« Auparavant, c’était souvent au Québec que les usines de sciage ralentissaient ou fermaient en premier lors des cycles baissiers du prix du bois d’œuvre, et parce que leurs coûts de production étaient un peu plus élevés que ceux de leurs concurrents ailleurs en Amérique du Nord », relate Michel Vincent, directeur de l’analyse économique de marchés au Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ).

« Or, cette fois-ci, c’est en Colombie-Britannique que l’on effectue les premières baisses de production de bois d’œuvre en invoquant la baisse marquée des prix des dernières semaines. Et ce, en dépit de la demande qui demeure très forte. »

« À mon avis, poursuit M. Vincent, cette situation témoigne de la hausse marquée des coûts d’approvisionnement et de production en bois d’œuvre en Colombie-Britannique, après quelques années de perturbations majeures causées par les épidémies d’insectes et l’aggravation d’incendies de forêt. »

En effet, selon les données compilées par l’analyste Hamir Patel de la firme CIBC World Markets, les coûts de production des usines de sciage en Colombie-Britannique s’élèvent maintenant aux environs de 550 $ US les 1000 pmp (pieds mesure de planche) de bois d’œuvre.

Or, après avoir rechuté de 70 % depuis le sommet de 1686 $ US les 1000 pmp atteint au début mai, le prix de référence du bois d’œuvre sur le marché nord-américain – les contrats à terme négociés à la Bourse des matériaux du Chicago Mercantile Exchange (CME) – cote ces jours-ci aux environs de 500 $ US les 1000 pmp.

Parce qu’il fonctionne avec des stocks à taux de roulement élevé, le prix du bois d’œuvre sur le marché nord-américain demeure très sensible aux moindres mouvements de spéculation sur l’évolution de la demande et de l’offre à court terme.

« À ce prix, la plupart des producteurs de bois d’œuvre en Colombie-Britannique opèrent maintenant à perte. C’est significatif pour une région qui représente près de 14 % de la production de bois d’œuvre sur le marché nord-américain », signale l’analyste Hamir Patel dans une note reprise par l’agence d’informations financières Bloomberg News.

Pas de ralentissement en vue au Québec

En comparaison, parmi les industriels québécois du bois d’œuvre, on fait état au CIFQ d’un coût de production moyen encore aux environs de 450 à 500 $ CAN les 1000 pmp.

« Malgré la rechute du prix du bois, la plupart des usines de sciage au Québec opèrent encore au-dessus de leur seuil de rentabilité », signale Michel Vincent.

« À la différence de ce qu’on entend de Colombie-Britannique, on ne perçoit pas encore au Québec de signaux annonciateurs d’une baisse de production ou d’un ralentissement des investissements en expansion et en modernisation d’usines », ajoute-t-il.

« En fait, ce qu’on anticipe comme impact des réductions de production dans l’Ouest, c’est que ça pourrait inciter les gros acheteurs et distributeurs de bois d’œuvre à réactiver des commandes afin de grossir [leurs stocks] à bon prix, et en préparation d’une autre année de forte demande et de prix élevés dans le marché des matériaux de construction résidentielle. »