Longtemps considéré comme la capitale incontestée des start-up au Canada, Toronto pourrait se faire ravir sa couronne par Montréal, du moins en matière de financement. Selon un récent rapport, les entreprises montréalaises en technologie ont obtenu un financement total de 1,15 milliard en 2020, loin devant d’autres pôles canadiens comme Calgary, Vancouver et la région de Waterloo.

Toronto mène toujours à ce chapitre, selon le rapport 2020 Montréal de BDO-Hockeystick, mais son avance sur la métropole québécoise n’a été que de 4 %, ou 46 millions de dollars. « Quoi qu’il en soit, certaines transactions montréalaises récentes, comme la série F de Hopper totalisant 213 millions, pourraient permettre d’égaler voire dépasser l’activité à Toronto en 2021 », précise-t-on.

Les start-up de la grande région de Montréal ont été impliquées dans 110 opérations de financement en 2020, avec 84 investisseurs au total.

Commerce payant

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Martin Picard, cofondateur de la firme Sonder, qui a « levé » 230,4 millions en financement en 2020.

Ce qui a propulsé Montréal en 2020 ? D’abord, deux importantes levées de fonds, celles d’AppDirect (250,7 millions) et de Sonder (230,4 millions). Précisons que ces deux entreprises, fondées à Montréal, ont toutefois déménagé leur siège social à San Francisco. Elles sont tout de même considérées comme faisant partie de l’écosystème montréalais, leur financement provenant notamment de sources québécoises comme Inovia Capital et la Caisse de dépôt et placement du Québec.

En cette période de pandémie, ce sont les jeunes pousses spécialisées en commerce électronique qui ont attiré le plus d’investisseurs, avec 281 millions. Selon un sondage de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), le nombre de PME québécoises vendant en ligne a plus que doublé depuis mars 2020, passant de 20 % à 46 %.

Pour Matt Harrison, responsable national des technologies émergentes chez BDO Canada, il y a une autre donnée très motivante pour Montréal : près de 52 % du financement obtenu en 2020 concernait de très jeunes entreprises, en phase de démarrage ou lors de rondes de série A, généralement inférieures à 5 millions.

« Ça, c’est mon bac à sable, dit M. Harrison. Ce sont des entreprises qui ont eu leur premier coup de pouce des investisseurs, c’est très important. Elles embauchent, elles grossissent, elles représentent le sang neuf. » Si la moitié seulement de ces entreprises réussit à passer à l’étape supérieure, soit une ronde de financement de série B qui se chiffre en dizaines de millions de dollars, « ce serait déjà énorme », estime-t-il.

Récolter ce qu’on sème

Au fonds de capital-risque montréalais Real Ventures, un des premiers et des plus importants investisseurs en technologie, on estime que la belle performance de Montréal en 2020 montre la maturité de son écosystème. « On n’est pas étonnés, mais on est très contents », lance Katy Yam, directrice générale de FounderFuel, un incubateur lié à Real Ventures. « Ça fait presque 15 ans que tout le monde dans le secteur rame. À Montréal, Sherbrooke, Trois-Rivières, Québec, on commence à voir un écosystème bien nourri, avec une deuxième génération après les fondateurs. »

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Chez FounderFuel, un incubateur lié à Real Ventures, on se dit peu surpris des conclusions du rapport BDO-Hockeystick. « Ça fait presque 15 ans que tout le monde dans le secteur rame », rappelle la directrice générale Katy Yam.

Dans la grande région de Montréal, résume-t-elle, « beaucoup d’entreprises commencent à récolter ce qu’elles ont semé ».

Comme tous les observateurs, elle relève que l’année 2020 s’est déroulée en deux temps : d’abord un ralentissement considérable dû au confinement, suivi d’une reprise spectaculaire, surtout en technologie. « Avec Zoom et Google Meet, on n’a plus besoin de se déplacer à travers le monde. Les entrepreneurs pouvaient avoir six, sept ou huit rencontres par jour. Les rondes de financement qui visaient 500 000 $ récoltaient 1 million. »

Le rapport BDO-Hockeystick dresse par ailleurs un portrait flatteur du système d’éducation, soulignant le nombre élevé de collèges et d’universités à Montréal qui comptent quelque 248 000 étudiants. « Le bassin de talents est l’un des facteurs permettant aux sociétés comme Sonder de prendre de l’expansion », donne-t-on comme exemple. Sur LinkedIn, peut-on lire, plus de 14 000 postes sont affichés dans le secteur des technologies à Montréal.

Première analyse

Selon Matt Harrison, il y a un aspect en particulier sur lequel la métropole québécoise pourrait mieux faire : s’assurer que les entreprises aient accès aux talents. « Il faut trouver des façons pour qu’elles embauchent les talents dont elles ont besoin pour réussir, pas seulement en technologie, en marketing, dans les opérations, dans les finances, partout. Ça ne les aidera pas si elles lèvent 10 millions mais qu’elles ne peuvent trouver les talents pour croître. »

Il s’agit de la première analyse spécifiquement axée sur Montréal rédigée par Hockeystick, une firme torontoise d’analyse spécialisée dans le financement de jeunes entreprises technologiques, qui s’est associée pour l’occasion au cabinet comptable BDO. Les données ne peuvent donc être comparées à celles de l’année précédente. L’autre analyse sur le capital-risque qui fait autorité au Canada, celle de Canadian Venture Capital & Private Equity Association (CVCA), utilise une méthodologie différente. Dans son rapport 2020, Toronto y consolide sa première position au Canada avec 1,3 milliard en capital-risque, devant Montréal, en deuxième position avec 856 millions.