(Washington) Le président Joe Biden n’a pas tempéré les inquiétudes de bon nombre de Canadiens, mercredi, avec un discours de fermeté sur le principe « Buy American », affirmant au Congrès qu’il avait « “ fortement limité ” la capacité des membres du cabinet américain à accorder des dérogations à la doctrine protectionniste vieille de 88 ans.

Cependant, dans le même souffle, le discours marquant les 100 premiers jours de M. Biden en tant que président a offert une lueur d’espoir en suggérant que « Buy American » ne violerait pas les termes des accords commerciaux comme l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM).

« L’argent des contribuables américains va être utilisé pour acheter des produits américains, fabriqués en Amérique, pour créer des emplois américains. C’est comme ça que c’est censé être, et c’est comme ça que ce sera dans cette administration », a déclaré M. Biden.

L’idée de maintenir les dépenses du gouvernement américain sur le sol américain, une philosophie qui remonte à 1933, sera le « principe unique » qui guidera le programme d’infrastructure de 2200 milliards surnommé le plan américain pour l’emploi, a-t-il ajouté.

« Je pourrais noter, entre parenthèses, que cela ne viole aucun accord commercial. C’est la loi depuis les années 30 », a déclaré M. Biden sous des applaudissements soutenus dans la Chambre, où la COVID-19 n’a permis la présence que d’une poignée de législateurs.

« Je l’ai dit clairement à tous les membres de mon cabinet : leur capacité à accorder des exemptions a été extrêmement limitée. Ce sera des produits américains. »

Une grande partie de ce que M. Biden a dit sur le sujet, y compris la mention des accords commerciaux et des membres du cabinet, ne figurait pas dans la version préparée de ses propos distribuée aux journalistes avant le discours.

Et cela n’a offert que peu de réconfort ou de clarté aux parties prenantes canadiennes encore maltraitées par les tarifs punitifs sur l’acier et l’aluminium imposés par le prédécesseur protectionniste de M. Biden, Donald Trump.

« Ces politiques continuent de nous préoccuper — “ Made in America ” a échoué à embrasser la nature intégrée que nous avons dans le secteur de l’acier », a déclaré Catherine Cobden, présidente et chef de la direction de l’Association canadienne des producteurs d’acier.

« Le protectionnisme entre voisins et alliés fait mal à tout le monde. Nous espérons vraiment que ce n’est pas ainsi que cela va se passer. »

Examen estival

Le portrait deviendra probablement plus clair au milieu de l’été, lorsqu’un examen interne des règles existantes — y compris la manière dont le contenu national est défini et si les technologies de l’information et de la communication doivent être incluses — sera dévoilé.

« Ce sera la clé pour déterminer les impacts sur le Canada », a déclaré Dan Ujczo, avocat principal dans la pratique du commerce international chez Thompson Hine, firme établie à Columbus, Ohio.

Mardi, M. Biden a nommé l’ancienne dirigeante de syndicat Celeste Drake au poste de directrice du premier bureau Made in America du pays pour garantir le respect des règles « Buy American ».

Mme Drake, qui a joué un rôle clé dans la négociation des dispositions relatives au travail qui ont aidé à faire adopter l’ACEUM au Congrès, « connaît mieux que quiconque les lacunes des politiques et des dérogations de Buy American », a déclaré M. Ujczo.

Maryscott Greenwood, présidente et chef de la direction du Conseil des affaires canadiennes-américaines (CABC), a mis en garde jeudi contre le fait d’appuyer sur le bouton de panique, du moins en ce qui concerne les garde-fous qui existent pour les projets d’infrastructure fédéraux.

Le Canada a négocié avec succès des exemptions dans le passé, notamment en 2009 après que le président de l’époque, Barack Obama, eut imposé sa propre version des règles, et plus récemment sous Donald Trump lorsque l’Agence fédérale de gestion des urgences limitait les exportations d’équipements de protection individuelle au plus fort de la pandémie de COVID-19.

Ce qui inquiète beaucoup de fournisseurs, d’entrepreneurs et d’employeurs canadiens, ce n’est pas tant les règles fédérales, mais le vaste éventail de restrictions qui existent dans les États et au plan local, communément appelé « Buy America ».

Cela, combiné au discours politique strident des quatre dernières années, ainsi qu’aux 100 derniers jours, pose la menace d’un froid qui pourrait décourager les responsables des achats et les responsables de gouvernements régionaux de regarder au-delà des frontières des États-Unis.

« Lorsqu’on traite avec les États-Unis, c’est un marathon », a déclaré le président de Manufacturiers et Exportateurs du Canada, Dennis Darby.

L’objectif américain est moins de punir des pays comme le Canada que de rivaliser avec d’autres pays qui jouent selon des règles différentes, comme la Chine, a-t-il ajouté — un scénario qui est probablement beaucoup plus facile à naviguer avec M. Biden qu’avec M. Trump.

« Nous ne sommes pas spécifiquement la cible, mais nous finissons par être des dommages collatéraux, et nous devons trouver un moyen de nous assurer de ne pas nous faire prendre », a affirmé M. Darby.

Le moment est venu d’agir, a déclaré la semaine dernière Mark Agnew, vice-président, politique et international de la Chambre de commerce du Canada, lors d’audiences devant un comité de la Chambre des communes explorant les liens entre le Canada et les États-Unis.

M. Agnew a présenté six points clés, notamment :

– Veiller à ce que les services canadiens de grande valeur comme les contrats de soutien ne se perdent pas dans l’accent mis sur les biens ;

– Identifier des domaines comme l’énergie propre et les minéraux critiques, clés dans la fabrication de batteries de voitures électriques, où le Canada peut être un véritable partenaire des États-Unis ;

– Accorder une attention particulière aux priorités partagées en matière de défense et de sécurité nationale ;

– S’assurer que le Canada respecte ou dépasse les nouvelles normes d’émissions américaines pour la fabrication et fait la promotion de ses options disponibles à faible émission de carbone ;

– Collaboration plus étroite entre les entreprises canadiennes et le gouvernement ;

– De meilleures données et plus détaillées sur le réseau complexe de règles, réglementations et restrictions qui existent à tous les niveaux de gouvernement des États-Unis, ainsi que sur les accords avec l’Organisation mondiale du commerce.