Notre récent reportage sur les catacombes du métro qui se désagrègent a fait réagir. Et il m’a permis de découvrir l’existence d’un trou de 5,5 milliards de dollars dans le récent budget des infrastructures du gouvernement du Québec.

Cette somme représente l’écart entre les besoins estimés par la Société de transport de Montréal (STM) dans son programme d’immobilisations sur 10 ans et le financement promis par Québec pour la même période dans son propre budget de dépenses (PQI).

En résumé, la STM juge qu’elle doit investir plus de 10 milliards d’ici 10 ans pour maintenir ses actifs en bon état, au terme de leur vie utile, somme dont les trois quarts doivent être couverts par le gouvernement du Québec. Ce sont des plafonds qui coulent, des dalles de béton soutenues par des vérins, des ventilateurs qui toussent, etc.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LAPRESSE

La STM juge qu’elle doit investir plus de 10 milliards d’ici 10 ans pour maintenir ses actifs en bon état, alors que certains problèmes sont bien visibles dans plusieurs stations.

Environ 40 % de ces 10 milliards concernent des projets entièrement ficelés, par exemple avec des plans et devis terminés et même des appels d’offres déjà lancés, parfois. Or, le gouvernement du Québec n’a prévu qu’environ 2 milliards dans le budget de la fin mars pour la même période de 10 ans (1).

Puisque Québec finance les trois quarts du maintien d’actifs, la STM prévoit recevoir de Québec 75 % des 10 milliards demandés (7,5 milliards). L’écart entre ces demandes de la STM et les 2 milliards prévus par Québec atteint donc 5,5 milliards, selon les données tirées des deux programmes d’immobilisations que j’ai analysées. C’est colossal.

Je vous rappelle l’enjeu. Les réfections essentielles reportées causent des dégâts, qui finissent par coûter plus cher que le problème d’origine. Réparer le toit d’une maison qui coule coûte cher, mais laisser l’eau s’infiltrer dans les murs au fil des ans multiplie le montant de la facture. L’ingénieur en chef de la STM, François Chamberland, a baptisé ce phénomène la « roue infernale » dans notre reportage.

> (Re) lisez « Les catacombes, un autre projet de 3,9 milliards »

En 2020, comme je l’expliquais dans ce reportage, le déficit de maintien d’actifs de la STM atteignait 3,9 milliards, selon les estimations des ingénieurs. Mais il s’alourdira chaque année d’ici 10 ans, ce qui explique les énormes besoins d’investissements de la société de transport, chiffrés à plus de 10 milliards sur 10 ans.

La facture augmente parce que des pans entiers du réseau de métro ont été construits il y a 30, 40, voire 55 ans et arrivent à la fin de leur vie utile. Les estimations de la STM sont basées sur les paramètres mondialement reconnus de l’Imperial College London, au Royaume-Uni.

Oui, mais l’important, me direz-vous, c’est que les fonds pour les rénovations à court terme soient débloqués par Québec, non ?

Justement, il y a aussi un écart très important à court terme, pour l’année 2021. La STM demande 750 millions au gouvernement, soit les trois quarts de ses rénovations de 1 milliard de 2021. Or, Québec n’offre que 480 millions pour l’instant, soit un écart de 270 millions.

À court terme, donc, c’est le tiers des fonds qui manquent. La STM, qui est en négociation avec le ministère des Transports à ce sujet, me confirme cet écart de 270 millions et l’ordre de grandeur de l’écart de 5,5 milliards à long terme, qui est une estimation jugée prudente.

Est-il possible que la STM, avec ses 10 milliards en investissements de base, gonfle ses besoins ? Peut-être.

Mais pour vous donner une idée, parmi les 60 % de projets qui ne sont pas encore ficelés (en définition ou en identification) et qui devraient débuter dans deux ans, il y a l’horrible détérioration observée sous l’escalier mécanique de la station Fabre, par exemple, que notre photographe a prise en photo. On est loin du superflu.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La dalle sous les escaliers mécaniques de la station Fabre, soutenue par plusieurs vérins, est l’un des projets d’entretien pour lesquels les fonds pourraient manquer.

Pendant que les autorités négligent ces rénovations essentielles, elles mettent le paquet sur les nouveaux projets, comme le prolongement de la ligne bleue, le REM de l’Est ou le tramway de Québec.

Dans son budget, Québec a réservé près de 10 milliards à cette fin sur 10 ans, trois fois plus que les 3 milliards prévus pour le maintien d’actifs. Et encore, ces chiffres n’englobent pas les fonds prévus par Québec pour les projets de REM.

Nous avons demandé une réaction à l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), qui chapeaute les sociétés de transport de la région de Montréal. Essentiellement, l’ARTM juge que le financement est un enjeu important et reconnaît qu’il y a des discussions pour 2021, mais estime que les fonds du récent Plan québécois des infrastructures (PQI) sont suffisants pour les besoins de la STM. « À notre connaissance, les besoins identifiés par la STM sont couverts », m’écrit le porte-parole Michel Lemay.

Au bureau de la ministre déléguée aux Transports, Chantal Rouleau, on affirme vouloir travailler avec la STM, sans parler de sommes. Voici la déclaration de Mme Rouleau qu’on nous a transmise.

« La STM a fait de nombreux travaux pour rattraper le déficit d’entretien des équipements du métro. Cependant, notre gouvernement est conscient de la situation qui découle d’un laisser-faire des dernières décennies par les gouvernements précédents. Il faut continuer à tout mettre en œuvre pour préserver les installations et assurer la fiabilité et la sécurité des usagers. »

Écoles, hôpitaux, routes…

Cela dit, le problème de la STM n’est pas isolé. Nos écoles, nos hôpitaux, nos routes et tous les autres actifs du gouvernement du Québec sont aux prises avec un déficit de maintien d’actifs énorme, chiffré à 27,7 milliards. Quelque 40 % de ces immeubles et autres infrastructures sont jugés en mauvais ou en très mauvais état, selon le PQI.

En comparaison, la proportion jugée en mauvais ou en très mauvais état est de 25 % dans le cas des sociétés de transport financées par Québec et de 20 % pour les municipalités, selon le PQI.

La stratégie du gouvernement varie dans les deux cas. Pour les écoles, les hôpitaux, les routes et autres actifs, le gouvernement consacrera au maintien d’actifs deux tiers des 106 milliards d’investissements d’ici 10 ans et un tiers aux nouveaux projets.

Pour les municipalités et sociétés de transport, c’est l’inverse : 46 % au maintien d’actifs et 54 % aux nouveaux projets, pour une enveloppe globale de 29 milliards. Et encore, ces chiffres ne comprennent pas les milliards prévus pour le REM, qui ferait dégonfler la part prévue pour le maintien d’actifs.

La question que je me pose : ne devrait-on pas restaurer nos vieilles infrastructures avant de multiplier les nouvelles ? Avons-nous les moyens d’investir dans deux autres REM et un prolongement de la ligne bleue quand notre vieux métro dépérit ?

1. En fait, le gouvernement a inscrit 3 milliards dans le Plan québécois des infrastructures 2021-2031 pour cette même période de 10 ans, mais c’est pour les transport collectifs dans tout le Québec. Environ les deux tiers de cette somme sont réservés à la STM, soit 2 milliards, selon mes renseignements.