L’obligation qu’ont les courtiers immobiliers de ne pas divulguer le montant des offres d’achat concurrentes d’une propriété contribue à faire grimper les prix lors d’une surenchère, croient Québec Solidaire et un spécialiste, qui réclament par conséquent qu’on modifie la loi.

Québec solidaire saura ce lundi si sa demande pour tenir une consultation parlementaire sur la hausse des prix de l’immobilier sera acceptée. « Je suis étonné que ce sujet soit si peu présent à l’Assemblée nationale, car ça devient problématique pour la classe moyenne et les premiers acheteurs », affirme au téléphone le député Andrés Fontecilla, porte-parole de Québec solidaire en matière de logement.

« On n’a pas de solutions magiques, poursuit-il, ça prend un cocktail de mesures. »

Le député a en tête un mécanisme pour interdire le renoncement à la garantie légale et rendre l’inspection obligatoire, ainsi que l’imposition des gains en capital d’une résidence principale à partir d’un certain seuil. Une idée discutée dans les autres provinces.

Andrés Fontecilla croit aussi qu’il faut dévoiler les montants lors d’une surenchère.

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Andrés Fontecilla, porte-parole de Québec solidaire en matière de logement

Dans mes cours d’introduction à l’université, on apprenait que le libre marché capitaliste doit se fonder sur la disposition des informations. L’ensemble des gens qui déposent une offre d’achat doivent pouvoir prendre connaissance des offres d’achat des autres acheteurs.

Andrés Fontecilla, porte-parole de Québec solidaire en matière de logement

La loi actuelle

Plusieurs lecteurs nous ont écrit pour faire part de leurs doutes quant à l’obligation des courtiers de ne pas divulguer le contenu des offres d’achat.

Alexandre raconte avoir fait une offre d’achat nettement en dessous du prix affiché. Or, un autre acheteur a été informé de son offre, sans savoir le montant, et a fait une offre nettement au-dessus du prix affiché… Si cet acheteur avait pu connaître le montant de la première offre, la sienne n’aurait pas été la même, écrit-il.

Actuellement, les courtiers que La Presse a consultés rapportent une surenchère moyenne de 50 000 $ de plus que le prix affiché dans la grande région de Montréal, avec des pointes à 120 000 $.

L’article 96 du Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité est sans équivoque :

« Le courtier ou le dirigeant d’agence doit, lorsqu’un autre titulaire d’un permis collabore à la réalisation d’une transaction, lui révéler l’existence de toute proposition de transaction, qu’elle soit acceptée ou non ; il ne peut cependant lui en dévoiler le contenu. »

« L’OACIQ pourrait sanctionner les courtiers ne respectant pas la Loi et ses règlements », nous écrit l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec.

Les enchères à l’aveugle font grimper les prix

Le professeur à HEC Montréal Amine Ouazad enseigne la théorie des enchères depuis des années. Les études sur le sujet démontrent clairement que la transparence lors des enchères fait baisser les revenus des vendeurs. Les recherches révèlent aussi que le prix demandé a un impact important sur le prix de vente final.

« En Norvège, le système d’enchère pour l’immobilier est organisé, comme pour les œuvres d’art. Une analyse de chercheurs norvégiens montre que quand le prix demandé est relativement bas, on obtient des prix plus bas. Quand les prix demandés sont plus hauts, on obtient des prix plus hauts. Le prix initial demandé a un effet d’ancrage psychologique, on a de la difficulté à se défaire de la première information reçue. »

Même si l’OACIQ argue que la Loi sur le courtage immobilier et ses règlements prévoient que les courtiers immobiliers sont tenus d’agir en toute transparence et équité, et ce, à chacune des étapes d’une transaction, le professeur affirme au contraire qu’il y a justement un grave problème de transparence et d’opacité dans les transactions immobilières.

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Amine Ouazad, professeur à HEC Montréal

Le public voit les prix demandés par les vendeurs et les courtiers, mais n’a pas accès aux transactions effectives, au prix final, et ça pose un problème démocratique fondamental. Au Québec, c’est l’entreprise JLR qui collecte les données et elle ne les diffuse pas au grand public.

Amine Ouazad, professeur à HEC Montréal

Le professeur suggère que les consommateurs aient accès gratuitement aux données des transactions immobilières, ce qui leur permettrait de connaître tout l’historique d’une propriété avant de l’acheter. « Le grand public saurait si la maison a été inondée et les prix auxquels elle a été vendue par le passé, quoi que raconte le courtier immobilier. »

Ce qui limiterait ce qu’on appelle la malédiction du gagnant dans les surenchères, explique le professeur.

« Lorsqu’il y a opacité sur la valeur d’un bien, la personne qui gagne l’enchère, c’est la personne qui s’est trompée sur son évaluation, qui n’a pas fait ses devoirs et qui a surestimé la valeur du bien. C’est mécanique. »

« Le logement est une source d’inégalités de richesse majeure. Et c’est quelque chose sur lequel les pouvoirs publics doivent se pencher et agir », conclut le professeur.