(Québec) Les sociétés Lion et Alstom ne seront pas les seules à recevoir un « prêt pardonnable » de Québec cette année. Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, crée un nouveau programme qui offre aux entreprises cette forme d’aide, semblable à une subvention. À condition d’investir au moins 10 millions de dollars ou de créer 100 emplois « payants ».

La mesure sera inscrite au budget du 25 mars, mais elle fera l’objet d’une annonce dans les prochains jours.

En entrevue avec La Presse, Pierre Fitzgibbon a reconnu que l’attribution du prêt pardonnable de 56 millions à Alstom, pour l’ancienne usine de Bombardier à La Pocatière, avait suscité une certaine grogne. On qualifie le prêt de « pardonnable » parce que la multinationale n’aura pas à le rembourser si le nombre d’emplois à l’usine se maintient autour de 400 jusqu’en 2026, puis à 350 de 2026 à 2029.

« Il y a du monde qui me disait : “Pourquoi Alstom l’a eu ? Pourquoi l’autre ne l’a pas eu ?” Les gens ont raison », a-t-il affirmé.

Le ministre dit vouloir « démocratiser » l’octroi de prêts pardonnables. Il veut les rendre accessibles à toutes les entreprises par l’entremise d’un nouveau programme, plutôt que d’y aller uniquement à la pièce.

Investissement Québec et le ministère de l’Économie n’ont pas la capacité d’« être en contact avec toutes les entreprises, et conséquemment, une annonce comme ça, ça va permettre d’avoir un accès plus grand et les gens peut-être qui sentent qu’ils n’ont pas été privilégiés vont pouvoir être compensés », a-t-il soutenu.

Ce nouveau programme, qui sera confirmé bientôt, est baptisé Sprint, pour « Soutien aux projets d’investissements transformateurs ». Ce sera un volet d’un programme plus large d’Investissement Québec en vigueur depuis quelques années, ESSOR.

Le prêt pardonnable que le gouvernement Legault annoncera lundi au bénéfice du constructeur québécois d’autobus et de camions urbains électriques Lion, pour son projet d’usine de batteries, ne sera pas fait dans le cadre de ce programme, mais on est dans le même esprit, selon nos informations.

Créer des emplois « payants »

L’objectif de Sprint est d’augmenter les investissements privés, de créer des emplois « payants » et de faire croître le salaire moyen au Québec. Il faut combler notre écart de richesse avec l’Ontario, a résumé Pierre Fitzgibbon, reprenant la promesse du premier ministre François Legault.

Compte tenu des conditions du programme, Pierre Fitzgibbon estime qu’entre 25 000 et 50 000 des 260 000 entreprises du Québec pourraient théoriquement bénéficier du programme.

Il ne s’est pas avancé sur le nombre de projets qui se concrétiseraient avec ce programme ni sur le nombre d’emplois escompté.

Néanmoins, il dit avoir sur la table en ce moment 20 projets pour lesquels un prêt pardonnable pourrait être accordé. « C’est 10 000 emplois créés, et on parle de projets de 10 milliards d’investissements ! », a-t-il lancé. Il n’a pas voulu donner d’indices sur les entreprises concernées.

« Les critiques vont dire : “Pourquoi faire ce programme-là ? Les projets vont se faire pareil.” Je ne pense pas. On va attirer de nouveaux projets », assure le ministre.

Le Québec va être gagnant. Dans chacun des cas, le pardon qui est accordé et relié à l’emploi crée de la richesse pour le Québec qui est supérieure au pardon qu’on donne. Jamais on ne va donner une subvention ou un pardon qui va excéder les retombées économiques pour 5 ou 10 ans. Sinon, on creuse notre tombe.

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation

Investissement minimal de 10 millions

Pour être admissible, une entreprise devra soumettre un projet représentant un minimum de 10 millions de dollars d’investissements de sa part ou la création d’au moins 100 emplois. Le salaire des emplois créés ou consolidés devra être plus élevé que le salaire médian de la région dans laquelle se trouve l’entreprise.

Au Québec, le salaire médian s’élève à 47 840 $. Il est d’un peu moins de 44 000 $ en Mauricie et en Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et atteint 54 600 $ en Outaouais.

Québec accordera à l’entreprise un prêt sans intérêt représentant jusqu’à 25 % des dépenses admissibles – le coût des immobilisations (achat des équipements et du matériel) et de l’accroissement de la masse salariale.

Le pardon sera déterminé en fonction du nombre d’emplois créés ou consolidés après cinq ans.

« Les prêts pardons, ce que je trouve intéressant de ce programme, c’est que la subvention qui est dans le pardon se fait a posteriori », a expliqué le ministre. « Et toutes les entreprises qui vont venir nous voir avec un projet qui s’insère là-dedans vont avoir le même traitement que les autres. »

Le pardon sera ainsi de 25 000 $ par emploi avec un salaire d’au moins 55 000 $ et pourra aller jusqu’à 50 000 $ pour un salaire de 150 000 $ et plus. Pour la portion du prêt qui ne fait pas l’objet d’un pardon, le remboursement devra se faire en huit ans.

Le pardon sera versé au prorata de l’atteinte de l’objectif fixé quant au nombre d’emplois créés et à la croissance de la masse salariale au bout de cinq ans. Ainsi, il sera de 100 % si la cible est atteinte et il diminuera à 75 % si l’entreprise atteint les trois quarts de l’objectif. Il n’y aura pas de pardon pour celle qui se trouvera entre 50 % et 75 % de son objectif. Québec appliquera un taux d’intérêt de 10 % sur son prêt si moins de la moitié des emplois promis ont été créés.

C’est une façon rigoureuse de ne pas donner des subventions a priori et d’avoir à courir après notre dû si jamais le projet ne se fait pas. On l’a vu avec Mega Brands qui a été vendu à Mattel. Oups, il fallait courir après notre subvention [qui avait été versée à Mega Brands]. Ce n’est pas le fun.

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation

Pour que la consolidation des emplois soit considérée, une entreprise devra investir un minimum de 300 000 $ par emploi dans le cadre de son projet. Par contre, ce plancher d’investissement par emploi n’aura pas à être respecté pour un projet d’une entreprise du « secteur tertiaire moteur » – les technologies de l’information, le design industriel et les centres de recherche, par exemple.

Le montant du pardon sera ajusté pour tenir compte des crédits d’impôt sur les salaires. Par exemple, les studios de jeux vidéo peuvent déjà se faire rembourser jusqu’à 37,5 % des dépenses salariales admissibles en vertu d’un crédit d’impôt créé par l’ancien premier ministre Bernard Landry.

« On ne donnerait pas en plus un pardon pour l’emploi, car il y a déjà un crédit d’impôt. On va enlever le crédit d’impôt pour l’emploi s’il y en a un qui s’applique. Sinon on paierait en double. »

Le programme Sprint est d’une durée d’un an, mais il pourrait être reconduit s’il s’avère un succès, ce dont ne doute pas le ministre. Les entreprises ont jusqu’au 31 mars 2022 pour soumettre une demande.