(Québec) Québec donnera la priorité au « renforcement » du système de santé et à la relance économique dans son budget qui sera déposé le 25 mars, affirme le ministre des Finances Eric Girard. Une nouveauté apparaîtra à la colonne des passifs : il donne raison au Vérificateur général et reconnaît l’existence d’une dette cachée de 12,4 milliards de dollars.

Québec s’attend à terminer la présente année financière avec un déficit de 15 milliards de dollars en raison de la pandémie. Le prochain budget qu’Eric Girard déposera pour l’année 2021-2022 devrait être dans le rouge de 8,25 milliards, selon les prévisions déposées l’automne dernier. Le ministre n’a pas voulu confirmer que ce sera la somme inscrite dans son exercice financier du 25 mars.

« On est en contexte de pandémie, il y a énormément d’incertitude. Je vous dirais que ce que l’on constate dans l’ensemble, c’est que la situation économique en 2020 est un peu meilleure que prévu et les anticipations pour 2021 sont plutôt positives en raison de l’évolution de la vaccination, du plan de stimulus budgétaire du gouvernement fédéral américain. On voit dans l’ensemble qu’il y a un optimisme prudent par rapport à 2021 », a soutenu le ministre Girard en conférence de presse, mardi.

Québec veut revenir à l’équilibre budgétaire dans un horizon de cinq ans, conformément à la loi. Il doit tracer la route pour y arriver dans son budget du 25 mars.

« À très court terme, il n’est pas question de réduire les dépenses. On est en pandémie, on fait des efforts colossaux au niveau de la santé et on va continuer », a indiqué le grand argentier du gouvernement. La priorité du budget sera donc de « renforcer le système de santé ». « Ensuite, il y a soutenir les Québécois, les entreprises, et relancer l’économie », a-t-il ajouté.

Eric Girard a également annoncé que le gouvernement cessera d’enfreindre une règle comptable importante qui a pour effet de sous-estimer la dette du Québec. Il se rend ainsi aux arguments du Vérificateur général du Québec, qui dénonce la pratique comptable du gouvernement depuis 2013.

La dette nette inscrite aux livres sera révisée à la hausse de 12,4 milliards de dollars avec cette décision. Le ministre a tenu à préciser que « 11 des 12 milliards précèdent l’arrivée au pouvoir [du] gouvernement » caquiste.

Depuis des années, le Vérificateur général accuse le gouvernement de ne pas respecter « les normes comptables canadiennes pour le secteur public ». « Les états financiers consolidés ne donnent pas un juste portrait de la situation financière du gouvernement », a écrit la vérificatrice générale Guylaine Leclerc dans un récent rapport.

La décision d’Eric Girard survient d’ailleurs 24 heures avant le dépôt à l’Assemblée nationale d’un nouveau rapport sur cet enjeu de la part de Mme Leclerc.

La vérificatrice générale avait fait une sortie à ce sujet lors d’un passage en commission parlementaire le 19 février. « C’est plus qu’un débat de comptables. C’est comme si on disait en recevant notre relevé de carte de crédit : ma dette n’est que le montant minimal à payer, par rapport au montant total du relevé », affirmait-elle.

Jusqu’ici, le gouvernement refusait de comptabiliser illico les subventions d’infrastructures qu’il s’engage à verser à certains de ses organismes ou à des municipalités. Plutôt que de comptabiliser l’argent promis dans l’année de l’engagement, le gouvernement l’inscrivait par tranches annuelles sur plusieurs années. Cette pratique contrevenait aux règles comptables, qui prévoient que l’ensemble des transferts doivent être comptabilisés dès qu’ils sont autorisés. Elle avait également pour effet de sous-estimer la dette du gouvernement.

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La VG illustre dans son rapport « la problématique de la comptabilisation inadéquate de certaines subventions avec un exemple de la vie courante ».

« Imaginons un parent qui achète une voiture à 21 000 $ et en fait don à son enfant qui a quitté la maison. Le parent la finance sur sept ans auprès d’une banque à raison de 3000 $ par année. Si, le lendemain de l’achat, il retourne à la banque pour avoir un portrait de sa situation financière, il est évident que son dossier présentera une dette s’élevant à 21 000 $, même si la voiture ne lui appartient plus à la suite de son don. L’octroi de certaines subventions du gouvernement est en substance similaire à l’achat d’une voiture pour son enfant, bien que le gouvernement ait une dette envers le bénéficiaire de la subvention plutôt qu’envers les marchés financiers (l’équivalent du banquier dans l’exemple ci-dessus). Pourtant, son traitement comptable actuel consiste à reconnaître seulement les versements qu’il doit effectuer au cours de la prochaine année. Si on appliquait ce raisonnement à l’exemple de l’achat de la voiture, seule une dette de 3000 $ figurerait au dossier de crédit de l’acheteur, ce qui ne représenterait pas sa réelle situation financière. »

Pour la VG, « le traitement comptable utilisé par le gouvernement ne permet pas de montrer dans ses états financiers l’effet des décisions qu’il a prises à l’égard de l’octroi de subventions puisqu’une dette nette et des déficits cumulés de près de 12 milliards de dollars n’y sont pas reflétés ». Eric Girard lui donne maintenant raison.

« C’est la bonne chose à faire. Nous reconnaissons le point de vue de la vérificatrice générale et nous allons faire la modification », a-t-il déclaré. « Avec l’évolution de la comptabilité des entités publiques, l’évolution de l’interprétation par les firmes indépendantes, je pense que le point de vue de la vérificatrice générale prenait de plus en plus le dessus. Nous étions la seule province au Canada à interpréter la norme comptable de cette façon. »

Ainsi, 12 milliards s’ajoutent à la dette nette. Elle dépassera les 200 milliards, alors que le gouvernement prévoyait qu’elle atteindrait 189,4 milliards au 31 mars prochain.

Comme la dette nette est la mesure utilisée pour comparer le niveau d’endettement au Canada, on aura désormais un portrait plus juste de la situation de l’endettement du Québec par rapport aux autres provinces.

Le ministre Girard signale toutefois que cette modification comptable n’a « aucune incidence sur la dette brute du gouvernement, sur ses programmes d’emprunts et sur l’évaluation de la cote de crédit par les agences de notation ». Les critiques de la VG étaient « bien connues des agences de notation », a-t-il fait valoir.

Pendant ce temps, à Ottawa…

Du côté d’Ottawa, on n’a pas vu de budget depuis maintenant près de deux ans, et le premier ministre Justin Trudeau est demeuré évasif lorsqu’on lui a demandé de donner des informations sur la date prévue du dépôt de l’exercice financier.

« Nous annoncerons la date du prochain budget en temps et lieu. […] Nous avons fait des investissements significatifs pour les familles, les travailleurs, les petites entreprises, et nous allons continuer à faire absolument tout ce qui est nécessaire pour traverser cette pandémie, aussi longtemps que nécessaire », a-t-il déclaré mardi.

Le quotidien The Globe and Mail rapportait lundi que les libéraux ne déposeraient pas le budget en mars. Il s’agira du premier exercice financier signé par Chrystia Freeland, qui a succédé à Bill Morneau aux commandes du ministère des Finances en août dernier.

Avec la collaboration de Mélanie Marquis, La Presse

Rémunération des députés : volte-face de la CAQ

Le gouvernement Legault annule la création d’un comité indépendant pour déterminer le salaire et les avantages des députés. Tous les partis s’étaient pourtant entendus sur la création d’un tel comité et les travaux étaient en cours en vue de le former. Or la Coalition avenir Québec a décidé de retirer son appui, prétextant que ce n’est pas le moment de créer un tel comité avec la pandémie de COVID-19. En l’absence de comité indépendant, les élus continueront de fixer eux-mêmes leur rémunération.