Les transformateurs alimentaires sont nombreux à avoir réduit leur portefeuille de produits depuis le début de la pandémie

Même si les rayons vides sont plus rares dans les supermarchés ces jours-ci qu’au printemps dernier, les consommateurs se rendent bien compte que certains de leurs produits préférés demeurent introuvables. Explications et exemples concrets.

Vous n’avez pas la berlue. Les préparations à gâteaux Duncan Hines ont à peu près disparu du marché. Bonne chance aussi pour trouver des canettes de 7UP zéro ou de Sprite diète, certaines variétés de bâtonnets de fromage Ficello et de fromage à la crème Philadelphia.

En temps normal, les rayons des supermarchés sont pleins à 94,4 %, selon une analyse réalisée récemment par la firme Nielsen. Cela signifie que, hormis quelques aliments en solde, les consommateurs arrivent facilement à trouver tout ce qu’ils cherchent. Depuis le mois de mars, c’est différent.

Consolons-nous. L’étude d’une trentaine de pages de Nielsen sur les pénuries nous apprend que c’est au Québec que les rayons sont demeurés les plus remplis. Tandis que la moyenne nationale de disponibilité des produits a été de 88,8 % (du 15 mars au 17 mai), le Québec affichait un taux de 91,7 % au pire de la crise.

Le tsunami sans précédent qui a frappé les détaillants et les transformateurs alimentaires il y a six mois se fait encore sentir aujourd’hui. Les entrepôts se sont vidés à vitesse grand V et reprendre le dessus s’avère un défi de taille.

Les multiples défis de l’usine Whyte’s à Laval

C’est le cas chez Whyte’s, qui produit de la relish, des cerises au marasquin, des cornichons et des olives dans son usine de Laval (marques Coronation, Strub’s, Saroli et marques privées), raconte Philippe Blondin, vice-président aux approvisionnements. « Les ventes au détail ont augmenté de 40, 50, 60 %. Au début de l’été, on avait épuisé nos stocks. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Pot de cornichons Coronation, produit à Laval par Whyte’s

Or, au lieu d’augmenter le rythme de production, il a fallu le réduire. Une situation vécue dans toute l’industrie de la transformation, explique Sylvie Cloutier, directrice générale du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ). Des employés ne se présentaient pas au travail pour toutes sortes de raisons : ils étaient malades, ils avaient peur d’attraper la COVID-19, ils devaient garder leurs enfants, ils préféraient réclamer la PCU…

« À Laval, on a trois lignes de production, précise M. Blondin. Mais on pouvait seulement en faire rouler deux. »

Pour maximiser sa productivité, Whyte’s a fait comme beaucoup d’autres manufacturiers alimentaires. Il a réduit son assortiment de produits, ce qui explique l’absence de certaines variétés et de formats de produits dans toutes les allées des supermarchés cet automne encore.

« Un changement de format, sur une ligne de production, ça peut prendre jusqu’à deux heures. Donc, on perd de l’efficacité », explique M. Blondin. En outre, Whyte’s a aussi fait face à une pénurie de matières premières (fruits et légumes) parce que les travailleurs agricoles au Mexique et ensuite en Inde ont cessé de travailler à cause de la pandémie. Et comme si ce n’était pas assez, des tempêtes ont détruit des récoltes entières aux États-Unis.

Aujourd’hui, pour toutes ces raisons et parce que les ventes au détail sont encore « de 25 à 30 % plus élevées qu’en temps normal », les entrepôts qui devraient contenir « de quatre à six mois » de réserves en abritent plutôt « de 45 à 60 jours », confie M. Blondin.

La faute aux contenants

Dans certains cas, les transformateurs sont incapables de trouver des contenants pour leurs produits, rapporte Sylvie Cloutier. Les usines de plastique et de verre en Chine ont fermé plusieurs semaines en début d’année, ce qui a provoqué d’importants retards de production. Ailleurs dans le monde, elles ont roulé au ralenti pour les mêmes raisons qu’ici.

PHOTO FOURNIE PAR L’ENTREPRISE

Assortiment de produits de l’entreprise Bleu Lavande, qui peine à trouver des contenants sur le marché

Bleu Lavande est justement aux prises avec ce problème. « Je perds des ventes, c’est incroyable ! J’ai des commandes et je ne suis pas capable de fournir. C’est vraiment un casse-tête », dit Nathalie Nasseri, directrice générale et copropriétaire de l’entreprise qui vend ses nettoyants de surface et parfums d’ambiance aux supermarchés et aux pharmacies.

Certains contenants sont carrément « non disponibles ou alors c’est 16, 18 et même 20 semaines d’attente », précise la femme d’affaires qui a commandé des pompes en août qu’elle ne recevra pas avant l’hiver. De plus, les quantités minimales ont augmenté de façon draconienne.

PHOTO FOURNIE PAR L’ENTREPRISE

Nathalie Nasseri, directrice générale et copropriétaire de Bleu Lavande

C’est difficile pour les PME. Avant, je pouvais commander 15 000 bouteilles, maintenant c’est 50 000 minimum, ce qui est dur sur les liquidités.

Nathalie Nasseri, directrice générale et copropriétaire de Bleu Lavande

Nathalie Nasseri tente donc de se tourner vers des fournisseurs locaux pour ses contenants de plastique. Mais ça ne fonctionne pas davantage, nous dit-elle, car leur production est très ralentie par le manque de main-d’œuvre provoqué par la PCU.

À l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADAQ), on affirme aussi que la pire des pénuries actuellement concerne… la main-d’œuvre. Notamment parce que les étudiants sont retournés aux études, note le porte-parole, Stéphane Lacasse. « Mais si on tombe en zone rouge et que les restaurants ferment, ça va faire augmenter la clientèle dans les supermarchés, […] ce qui va créer des enjeux de logistique [similaires à ceux du printemps] », conclut-il.

D’autres constats de Nielsen

• Les pénuries ont fait perdre des ventes de 1,2 milliard de dollars aux supermarchés.

• Tandis que 27 % des consommateurs retardent tout simplement l’achat qu’ils avaient prévu en tombant sur une tablette vide, 10 % l’éliminent et 7 % se tournent vers l’achat en ligne.

• Les enseignes à bas prix comme Maxi et Super C ont eu beaucoup plus de difficultés à garder leurs rayons pleins, ce qui leur a fait perdre des parts de marché au profit des marchands dits traditionnels (IGA, Provigo, Metro).

• La pire semaine de pénurie a été celle du 29 mars ; le taux de disponibilité des produits est descendu à 83,8 % au Canada.

• C’est dans l’ouest du pays que la pénurie de papier de toilette s’est le plus fait sentir, avec un taux de disponibilité d’à peine 74 % au printemps (il dépassait alors 80 % au Québec).

• Au Québec, la bière est loin d’avoir manqué. Au contraire, le niveau de disponibilité a bondi après le début du confinement, parfois jusqu’à 15 %.

Produits ayant affiché les pires taux de disponibilité

> Papier de toilette (- 16,2 %)

> Désinfectant à mains (- 11,1 %)

> Riz (- 6,7 %)

> Pâtes alimentaires (- 5,6 %)

> Eau (- 3,6 %)

* Variation de la disponibilité lors de la période du 15 mars au 17 mai par rapport aux semaines précédant la pandémie. Source : Nielsen.