Le secteur manufacturier québécois peut-il répondre à l’appel du premier ministre François Legault à la production locale ? Dans le premier volet de notre série, La Presse dresse un état des lieux et présente un exemple réussi d’entreprise qui joue dans la cour des grands.

497 700

En 2019, selon les plus récentes données de Statistique Canada, près d’un demi-million de Québécois travaillaient dans ce qu’on appelle la « fabrication ». Il s’agit d’un terme qui regroupe bien des activités très différentes, du sciage de 2 par 4 à la construction de moteurs d’avion en passant par la production de jus de pommes ou la fabrication de portes et de fenêtres. « Le secteur de la fabrication n’est pas homogène, note Amélie Bernier, professeure en gestion des ressources humaines et en relations industrielles à la TELUQ. On y retrouve des activités liées à l’agriculture, aux forêts, aux aliments et aux boissons, à la construction, à la fabrication de produits métallique et de matériel de transport. Les perspectives ne sont pas les mêmes. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Amélie Bernier, professeure en gestion des ressources humaines et en relations industrielles à la TELUQ

Dans l’ensemble, le secteur manufacturier a subi une saignée à partir de 2000, passant de 627 700 emplois à 488 200 en 2018, au creux de la vague. On note cependant un regain étonnant l’année suivante, alors que 9500 emplois se sont ajoutés. Durant ces deux décennies, la part des emplois manufacturiers sur l’ensemble de l’économie a chuté, passant de 18,2 % en 2001 à 11,5 % en 2019. « C’est un secteur qui a connu à travers le temps des changements profonds, avec des pertes de revenus et d’emplois importantes, et une problématique de main-d’œuvre vieillissante qui est toujours bien présente », dit Mme Bernier.

De moins en moins pesant

En 2000, pratiquement le cinquième de l’économie québécoise dépendait de son secteur manufacturier ; 20 ans plus tard, ce taux est de 13 % du PIB.

« Il y a plusieurs phénomènes qui sont en jeu, notamment la délocalisation, mais on observe aussi une plus grande diversité du côté de l’emploi et du PIB », dit Joëlle Noreau, économiste principale chez Desjardins.

En termes de revenus, calculés en dollars de 2012, les usines québécoises produisaient 33,3 milliards en 1984. Ce montant a presque constamment augmenté les années suivantes pour atteindre 54,9 milliards en 2000. On remarque ensuite une dégringolade interminable jusqu’en 2009, alors qu’on atteint un creux de 44,7 milliards. Le déclin semble stoppé les années suivantes, avec des hausses modestes jusqu’en 2017.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Jonathan Deslauriers (à gauche), directeur exécutif du Centre sur la productivité et la prospérité associé à HEC Montréal, en compagnie de ses collègues Robert Gagné et Jonathan Paré.

« Ça allait bien jusqu’en 2000, résume Jonathan Deslauriers, directeur exécutif du Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) associé à HEC Montréal. Ça s’est effondré par la suite, avec l’émergence des pays asiatiques, mais on voit une hausse depuis 2013, surtout due à la dépréciation du dollar canadien. Mais les belles années sont derrière nous, le Québec ne renouera jamais avec cette époque. »

« Faible technologie »

Selon Véronique Proulx, PDG des Manufacturiers et Exportateurs du Québec, nul doute que la COVID-19 est venue interrompre une période de regain pour le secteur manufacturier. « On avait le vent dans les voiles, on s’est mis à parler, notamment avec l’arrivée des libéraux et de Dominique Anglade, de manufacturier innovant. »

PHOTO ROBERT SKINNER

Véronique Proulx, PDG des Manufacturiers et Exportateurs du Québec

Jonathan Deslauriers est loin d’avoir une perspective aussi optimiste. La reprise des dernières années repose surtout selon lui sur la faiblesse du dollar et est essentiellement alimentée par ce qu’on classe comme des industries de « faible technologie ».

Plus précisément, selon les données compilées par le CPP, ce sont les sous-secteurs de l’alimentation et des boissons – qui incluent accidentellement le tabac – qui sont en croissance. Le sous-secteur du bois, papiers et meubles connaît également une hausse intéressante.

« On parle beaucoup d’intelligence artificielle, de l’industrie 4.0, de logiciels qui vont changer le manufacturier, mais ce sont des “peanuts’’ », estime M. Deslauriers.

Joëlle Noreau se porte plutôt à la défense de ces entreprises classées « basse technologie », sources méconnues d’innovation, selon elle. « On ne peut négliger, par exemple, le secteur des aliments, où on trouve des procédés ingénieux. Il faut aller voir sur place pour voir que des efforts importants ont été faits, il y a eu énormément de développement. »

Trouver les secteurs « porteurs »

Le secteur manufacturier, conviennent tous les experts interrogés, n’a pas très bonne presse en 2020. « On parle d’emplois qui sont durs, de relève peu importante, c’est un secteur qui a tout un défi en termes de recrutement et de rétention », explique Amélie Bernier. La professeure à la TELUQ rappelle que le manufacturier attire peu de femmes, qui composent grosso modo depuis des années 28 % du personnel.

Un des défis de toute intervention gouvernementale, selon elle, sera de déterminer les sous-secteurs « porteurs » dont le potentiel de croissance est réel. Statistiquement, la fabrication de produits métalliques et de matériel de transport, et surtout la transformation alimentaire, ont de belles perspectives. « En 2019, la fabrication d’aliments est le premier sous-secteur en termes d’emplois, note-t-elle. On y a vu une croissance de 35 % de l’emploi depuis 1999. »

Selon Joëlle Noreau, il est difficile de répondre à la question très vaste de l’état de santé du secteur manufacturier québécois. « Je ne saurais pas comment poser un diagnostic… Je pense que c’est un secteur qui fait preuve de combativité, où il y a beaucoup de gens qui travaillent à le rendre plus performant. »

> (Re)lisez l’article « Legault veut plus de “Fabriqué au Québec’’ »