Le président américain, Donald Trump, se présente devant l’électorat cet automne avec un bilan contrasté, c’est le moins qu’on puisse dire. D’un côté, il peut se vanter d’avoir dirigé son pays pendant la plus longue période d’expansion de l’après-guerre, mais de l’autre, il doit gérer actuellement la plus grave crise économique de l’histoire des États-Unis. Bilan d’un premier mandat tumultueux.

De l’eau au moulin

PHOTO EVAN VUCCI, ARCHIVES THE ASSOCIATED PRESS

Le président Trump prononce un discours à la Maison-Blanche, entouré du vice-président Mike Pence (3e en partant de la droite), de Paul Ryan, président de la Chambre des représentants de l’époque (2e en partant de la droite) et d’élus de la majorité républicaine, alors que le Congrès vient d’adopter définitivement sa réforme fiscale, le 20 décembre 2017.

Les États-Unis ont mis du temps à émerger de la crise financière de 2008. Mais quand Donald Trump a pris le pouvoir, au début de 2017, la reprise économique était bien amorcée.

Le produit intérieur brut des États-Unis a enregistré une croissance de 2,4 % en 2017. Le rythme s’est maintenu jusqu’en février 2020, quand la crise de la COVID-19 a brutalement mis un frein à la période d’expansion commencée en juin 2009.

Philippe Fournier et Pierre Martin, spécialistes des États-Unis au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, font la même lecture des années Trump : il a surfé sur l’économie ressuscitée par l’administration Obama, mais il a lui-même ajouté de l’eau au moulin.

« La réforme fiscale et la déréglementation sont les deux principales réalisations du premier mandat de Trump », dit Philippe Fournier. « Sur le plan économique, on peut dire que ce sont les seules », ajoute Pierre Martin.

La pièce de résistance de l’administration Trump est sans contredit la réforme fiscale, qui a eu un effet accélérateur sur l’économie. La réforme a notamment réduit le taux d’imposition des entreprises de 35 % à 21 % et celui des particuliers de 39,6 % à 37 %.

Tout le monde a profité de cette réduction d’impôts, « mais les gains sont allés surtout aux mieux nantis », remarque Philippe Fournier.

Les profits des entreprises ont explosé, tandis que le revenu moyen des Américains a augmenté, mais de façon très modeste. Les États-Unis ne sont pas le seul pays du monde où la croissance économique ne se distribue pas également, mais les inégalités se sont accrues pendant le mandat de Donald Trump, selon les deux chercheurs.

« C’était déjà une société inégalitaire avant, ça l’est encore plus aujourd’hui », dit Philippe Fournier.

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les États-Unis sont le pays où l’inégalité de revenus (mesurée par le coefficient de Gini) est la plus élevée de tous les pays industrialisés.

Des avancées

Dix années de prospérité économique sans équivalent n’auront rien changé à cette situation dans la première économie mondiale. L’économie américaine a créé des emplois. Beaucoup d’emplois. Le taux de chômage au début de 2020 était à un niveau jamais vu depuis 50 ans.

L’augmentation des salaires n’a pas suivi le rythme de la croissance, et le taux de participation au marché du travail aux États-Unis reste un des plus bas des pays industrialisés. Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, s’en inquiétait avant la pandémie.

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Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine (Fed)

On aurait pu attendre une hausse plus élevée. C’est un peu une surprise que les salaires n’aient pas plus augmenté.

Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine, en février 2020

Le taux de chômage très bas masque aussi un marché du travail où les emplois bien payés se font de plus en plus rares. Beaucoup d’Américains doivent avoir plus d’un emploi pour joindre les deux bouts. Selon les chiffres officiels, 5 % des Américains devaient cumuler les emplois pour subsister à la fin de 2019. Le président de la Fed a aussi reconnu publiquement que c’était trop.

Et des reculs

Le revenu moyen des ménages a augmenté, mais modestement, et sans commune mesure avec les profits des entreprises, souligne lui aussi Pierre Martin. « Au mieux, certains ménages ont constaté une très légère augmentation de leur revenu et, au pire, une détérioration de leur pouvoir d’achat. »

L’objectif ultime de la réforme fiscale de l’administration Trump était de stimuler l’investissement local et de ramener au pays les emplois exportés en Asie. Ça ne s’est pas produit.

Malgré des profits records, les entreprises américaines n’ont pas augmenté sensiblement leurs investissements. Ces profits semblent avoir servi surtout à racheter leurs actions. Les entreprises ont racheté pour 1000 milliards de dollars de leurs propres actions dans l’année qui a suivi la réforme fiscale, un niveau record, selon le service de recherche du Congrès américain.(1)

La réforme fiscale a considérablement augmenté le déficit et la dette des États-Unis, qui atteignent maintenant des niveaux alarmants, constate Pierre Martin.

Normalement, une aussi longue période de croissance aurait dû améliorer les finances publiques, précise-t-il.

La déréglementation a aussi dopé la croissance économique au cours des dernières années. La liste est longue. L’administration Trump a notamment autorisé les entreprises pétrolières et gazières à cesser de publier leur niveau d’émissions de méthane et le retrait des cibles fédérales de réduction de gaz à effet de serre établies par le précédent gouvernement. Sur le plan de l’environnement, le premier mandat de Donald Trump se solde par des reculs, note Pierre Martin.

La déréglementation a peut-être contribué à l’expansion économique, mais ça s’est fait au détriment de l’environnement. Ce sont des gains à court terme, mais des pertes à long terme.

Pierre Martin, spécialiste des États-Unis au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal

Mais le projet le plus spectaculaire du premier mandat de Donald Trump est sans doute celui qui ne s’est jamais concrétisé : le mégaplan d’infrastructures annoncé dans un discours sur l’état de l’Union. De ce côté-ci de la frontière, ce plan avait fait saliver bien des entreprises qui espéraient en obtenir des morceaux.

Le président voulait pouvoir consacrer 2000 milliards US à la construction de routes, de ponts, de ports et d’aéroports. Le plan a été emporté dans le tumulte qui a caractérisé le mandat du président, qui a annoncé plusieurs grands chantiers, mais n’en a réalisé aucun.

Mais la question des infrastructures pourrait bien revenir en force sous forme de promesse électorale dans la campagne qui entre dans sa dernière ligne droite.

(1) The Economic Effects of the 2017 Tax Revision : Preliminary Observations

> Consultez le rapport (en anglais)

La mondialisation mise à mal

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Des drapeaux chinois et américain sont ajustés par des employés de la résidence d’État de Diaoyutai à Pékin, avant la tenue de négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine, le 14 février 2019.

Dans le cours d’un seul mandat, le président américain a amorcé des guerres commerciales et tarifaires avec presque tous les pays du monde, y compris le Canada, son allié de toujours. On peut se demander si Donald Trump aura réussi à porter un coup fatal à la mondialisation.

Chose certaine, le commerce mondial en est tout chamboulé. Bien avant la pandémie, le flot des échanges commerciaux commençait à ralentir. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) est paralysée depuis que les États-Unis bloquent le processus de nomination des juges du mécanisme de règlement des différends. Des pays comme le Canada, le Japon et l’Australie tentent de réanimer l’OMC en laissant la Chine et les États-Unis à l’écart.

La mondialisation n’est pas morte, estime Patrick Leblond, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, mais Donald Trump a certainement donné le coup d’envoi à la remise en question des règles qui la régissent, comme celles de l’OMC, selon lui.

Les tensions commerciales coûtent cher à beaucoup de pays, y compris aux États-Unis, dit-il.

S’il y a une question sur laquelle tous les économistes s’entendent, c’est que ce n’est pas la Chine qui paie pour les tarifs imposés par l’administration Trump, mais les consommateurs et les entreprises américains.

Patrick Leblond, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa

Loin d’avoir forcé la Chine à payer « un tas de fric » au gouvernement américain, comme l’a souvent répété le président, les tarifs ont nui à l’économie américaine de plusieurs façons, selon des études de la Réserve fédérale de New York et du National Bureau of Economic Research. Des emplois ont été perdus, des investissements ne se sont pas concrétisés et des entreprises ont perdu de la valeur en raison de l’incertitude générée par la volonté du président de « rendre sa grandeur à l’Amérique ».

Ces dommages sont passés relativement inaperçus parce que la période d’expansion économique exceptionnelle « a pu camoufler l’impact négatif des mesures protectionnistes », estime Patrick Leblond.

De plus, le protectionnisme militant de l’administration Trump est bien perçu par une partie de l’électorat, tant du côté républicain que démocrate. Ça peut même aider le président à se faire réélire, croit-il. La santé de l’économie américaine dépend moins du commerce international comme celle de pays plus petits, comme le Canada, notamment.

En fait, le difficile renouvellement de l’accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique apparaît maintenant comme l’exception du mandat de l’administration Trump.

Poids des échanges commerciaux (en % du PIB)

Canada : 64 %

États-Unis : 26 %

Chine : 47 %

Source : Banque du Canada

Mais ni la guerre des tarifs ni le boycottage des institutions internationales n’ont donné les résultats escomptés par l’administration Trump, souligne Patrick Leblond. « Le comportement de la Chine n’a pas changé et même s’il y a eu quelques annonces, l’investissement n’est pas revenu en force aux États-Unis. »

Une image ternie

À travers le monde, la réputation de la première économie mondiale s’est détériorée au cours du premier mandat de Donald Trump. Une étude du Pew Research Center publiée au début de l’année révèle que les pays qui ont l’opinion la plus favorable des États-Unis sont les Philippines, la Pologne et Israël.

Dans les principales économies du monde, l’opinion est moins favorable, et la plupart d’entre elles ont très peu confiance en la capacité du président lui-même de prendre des décisions éclairées sur les enjeux internationaux. Les pays d’Europe, et notamment l’Allemagne, sont ceux qui font le moins confiance au président américain, avec ceux qui le connaissent bien, le Canada et le Mexique. (1)

Les États-Unis ont peut-être perdu leur aura, mais l’électorat américain n’en tiendra pas rigueur à M. Trump, croit Patrick Leblond. « La majorité des Américains se préoccupent très peu de ce qui se passe sur la scène internationale. On s’en fout », résume-t-il.

(1) How people around the world see the U.S. and Donald Trump in 10 charts

> Consultez l’étude (en anglais)

L’économie se remettra-t-elle à temps pour Trump ?

PHOTO ANGELA WEISS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La vie reprend tranquillement son cours dans le centre-ville de New York, le 25 juin, quelques jours après que les commerces new-yorkais non essentiels ont rouvert leurs portes.

Dans l’histoire des États-Unis, le sort d’un président américain qui réclame un deuxième mandat a toujours été lié à la santé de l’économie. À quelques rares exceptions, jamais un président américain n’a été réélu en période de récession. L’économie américaine se remettra-t-elle à temps pour servir l’ambition de Donald Trump ?


La réponse à cette question tient en un mot : emploi, selon Jocelyn Paquet, économiste principal de la Banque Nationale. « C’est l’emploi qui va faire foi de tout. C’est ça qui peut faire en sorte que les gens se remettent à consommer et à reprendre une vie normale. »

Le plein impact de la crise sur les travailleurs américains reste à venir, selon lui, à cause des programmes d’aide mis en place pour réduire les effets de la crise. Si l’aide ponctuelle offerte par le gouvernement prend fin comme prévu le 31 juillet, la croissance mettra du temps à revenir.

Certains signes de reprise commencent à pointer. Par exemple, après trois mois de repli, les ventes au détail ont bondi de 17,7 % en mai. Au troisième trimestre, le PIB américain devrait revenir en territoire positif avec fanfare.

Des rebonds comme ça, il y en aura d’autres, et même si c’est spectaculaire, ça reste loin d’être un retour à la situation d’avant.

Jocelyn Paquet, économiste principal de la Banque Nationale

En campagne électorale, les statistiques pourront être interprétées par les deux camps chacun à leur avantage. Les républicains mettront l’accent sur l’importance du rebond, les démocrates, sur le retard qui reste à rattraper avant de pouvoir dire que la crise est terminée. « Il y aura de la vérification de chiffres à faire », prévient l’économiste.

Trois éléments à suivre

PHOTO ANGELA WEISS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La vie reprend tranquillement son cours dans le centre-ville de New York, le 25 juin, quelques jours après que les commerces new-yorkais non essentiels ont rouvert leurs portes.

Le nombre de chômeurs

Même si l’économie américaine se rétablit rapidement, le taux de chômage restera élevé au moins jusqu’en 2021, prévoient la plupart des économistes. Le taux de chômage sera encore de 8,5 % en 2021, selon l’OCDE. C’est plus que le double d’avant la crise. « Ça tient au fait que les secteurs les plus affectés par la crise sont aussi ceux qui sont le plus labour intensive », explique Jocelyn Paquet.

Ces travailleurs de la restauration, de l’hôtellerie ou du divertissement ne retrouveront pas tous leur emploi, parce que beaucoup de ces entreprises n’auront pas survécu.

L’aide gouvernementale

Les programmes d’aide lancés jusqu’à maintenant par le gouvernement sont temporaires, et il n’est pas certain qu’ils soient reconduits. D’autres mesures d’aide fédérale seraient nécessaires, croient la plupart des économistes. « Les républicains sont réticents à prolonger ces mesures à cause de leur impact sur la dette », dit Jocelyn Paquet.

Le poids de la dette limite la capacité d’intervention du gouvernement américain, ce qui risque de handicaper la reprise économique. Jusqu’à maintenant, les États-Unis ont fait autant d’efforts pour atténuer les effets de la crise que les autres pays industrialisés, mais comme le filet social de base est plus restreint, cette aide a moins d’impact qu’ailleurs.

Le contrôle du virus

Dans le meilleur des cas, l’économie américaine ne retrouvera pas la santé tant que les consommateurs s’inquiéteront d’être infectés par le virus. Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, l’a encore souligné récemment. « Tant que la population n’est pas convaincue que la maladie est contrôlée, une reprise complète est improbable », selon lui.

Avec plus de 127 000 morts dus au coronavirus et un nombre de cas qui continue d’augmenter, les États-Unis sont encore loin d’avoir tourné la page de la pandémie.

Il faudra attendre un vaccin pour faire revenir la confiance des Américains et les inciter à fréquenter les magasins, les restaurants et les salles de spectacle, ce qui peut prendre du temps.