Pas de hausse d’impôt. Pas de réduction des services publics. Promis, juré, les Québécois n’auront pas à souffrir pour renflouer le déficit de la province, qui vient de bondir à 14,9 milliards à cause de la COVID-19.

Voilà à quoi s’est engagé Eric Girard dans son mini-budget déposé vendredi. Mais quelle est donc la potion magique du ministre des Finances, qui compte revenir à l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans, sans douleur ?

« J’ai trouvé ça assez audacieux, être aussi catégorique », m’a avoué Clément Gignac, économiste en chef chez iA Groupe financier, lui qui a été ministre libéral au début des années 2010, alors que le gouvernement s’était serré la ceinture pour mettre de l’ordre dans les finances publiques.

Ce ménage a ensuite permis de dégager des surplus et de réduire considérablement la dette, ce qui permet aujourd’hui à la province d’affronter la crise dans une position très enviable.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Évolution de la dette brute au 31 mars (en pourcentage du PIB)

Mais le retour à l’équilibre budgétaire, ça s’est fait avec de l’austérité, on va se le dire. Cette fois-ci, comment va-t-on y arriver, sans austérité, sans hausse d’impôt ?

Clément Gignac, économiste en chef chez iA Groupe financier

Une partie de la réponse découle du fait que beaucoup de dépenses pour faire face à la crise sanitaire (par exemple l’achat de masques) et pour soutenir les Québécois (par exemple l’aide aux ménages sans logis, le report du remboursement des prêts étudiants) ne seront pas récurrentes.

« Une panoplie de dépenses sont reliées à la COVID-19 et ne seront plus là l’année prochaine. Et si on élimine l’anxiété du côté des entreprises et des ménages, les anciens comportements vont revenir », prédit Sébastien Lavoie, économiste en chef à la Banque Laurentienne.

Selon lui, l’objectif de résorber le déficit en cinq ans est réaliste.

Il faut aussi souligner que le déficit de 14,9 milliards prévu pour 2020-2021 englobe une réserve de 4 milliards, ce qui est très sage.

« Ce coussin est substantiel et fournit beaucoup de marge pour absorber toute pression économique en cas de deuxième vague de COVID-19 », note Robert Kavcic, économiste principal chez BMO Marchés des capitaux.

Si, par bonheur, il n’y a pas de deuxième vague, Québec aura plus de jeu que prévu. Évidemment, on se le souhaite. Mais personne ne peut prévoir la tournure que prendra la pandémie de COVID-19, pour laquelle il n’y a toujours pas de vaccin.

Québec n’est pas nécessairement sorti de l’auberge. Et même si c’était le cas, il y a quand même des dépenses qui ne disparaîtront pas de sitôt.

« La période de récupération s’annonce ardue alors que certaines augmentations dans les dépenses publiques seront récurrentes, en particulier en santé. Dans ces conditions, le retour à l’équilibre budgétaire pourrait être difficile et prendre plusieurs années », estime Benoit P. Durocher, économiste principal au Mouvement Desjardins.

La crise a exposé au grand jour les défaillances inacceptables du réseau des CHSLD. Un réinvestissement dans les infrastructures est essentiel, tout comme dans les conditions de travail des employés.

Justement, les conventions collectives des employés de Québec sont échues depuis la fin de mars. « La masse salariale représente 60 % des dépenses de l’État. Clairement, les syndicats ont un agenda et la population pourrait être beaucoup plus sympathique à leurs revendications salariales », constate M. Gignac.

Voilà des coûts qui pourraient s’ajouter dans la colonne des dépenses.

Pendant ce temps, la population du Québec vieillit, ce qui mettra de la pression sur les services publics et freinera la croissance économique.

« La croissance démographique dépend largement de l’immigration, qui a beaucoup ralenti avec la COVID-19 », constate M. Durocher. Cette tendance ne risque pas de s’inverser tant qu’il n’y aura pas de vaccin.

Une autre variable qui pourrait compliquer le retour à l’équilibre budgétaire.

Cela dit, la situation du Québec est loin d’être catastrophique. Le déficit représente tout près de 3 % de la taille de l’économie, ce qui semble devenir la norme dans de nombreuses autres provinces.

Il n’y a rien de réjouissant à voir la dette brute, qui avait fondu à 43,4 %, remonter d’un coup sec à 50,4 % du produit intérieur brut (PIB). Mais cela demeure en dessous du niveau atteint à la suite de la crise du crédit de 2008-2009 (54,1 %).

La situation reste en ordre. D’ailleurs, le service de la dette demeure à un niveau historiquement faible. Québec consacrera 7,2 % de ses revenus au remboursement de sa dette, presque deux fois moins qu’au tournant du millénaire.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Service de la dette (en pourcentage des revenus consolidés)

Bref, les finances publiques tiennent le coup. Et personne ne niera qu’un déficit était tout à fait justifié pour faire face à la plus importante récession de l’ère moderne du Québec. Aux grands maux les grands remèdes.