Le manque d’intérêt d’Ottawa pour l’industrie aérospatiale inquiète l’Institut du Québec, selon qui elle répond à tous les critères qui devraient définir une « industrie stratégique », et « contrairement à la croyance populaire, ne vit pas aux crochets de l’État ».

« Il y a un problème de gouvernement fédéral là-dedans », constate Alain Dubuc, ancien éditorialiste à La Presse, professeur à HEC Montréal et auteur de deux nouvelles études sur l’industrie aérospatiale pour le compte de l’Institut du Québec.

« Ce qui inquiète l’industrie et le gouvernement du Québec, c’est qu’il n’y a aucun signal du gouvernement fédéral actuel à l’effet qu’il s’agit d’une industrie stratégique. »

Au contraire, Ottawa a plutôt envoyé des signaux négatifs au cours des dernières années. M. Dubuc cite entre autres le fait qu’elle a été écartée de la stratégie des supergrappes d’innovation ou la décision, en 2018, de remplacer un programme spécialement voué à l’aérospatiale, l’Initiative stratégique pour l’aérospatiale et la défense (ISAD), par un programme destiné à toutes les industries, le Fonds stratégique pour l’innovation (FSI).

« Si on regarde, et je l’ai fait, il n’y a jamais eu de mention de l’aérospatiale dans tous les budgets de Bill Morneau », relève-t-il. En revanche, l’industrie automobile, dont l’impact est comparable sur certains points, mais inférieur dans d’autres, y a régulièrement été évoquée, affirme-t-il.

Stratégique

Avant de déterminer que l’industrie aérospatiale est « stratégique », l’Institut du Québec tente une liste de 13 critères permettant d’accorder ce statut. Ceux-ci vont bien au-delà du nombre d’emplois qu’elle crée.

« Nous sommes dans une situation où l’emploi ne peut plus servir de mesure de succès de l’économie, estime M. Dubuc, et ça ne changera pas même si le taux de chômage est temporairement remonté de façon effroyable. »

La démographie « va nous rattraper rapidement », estime Alain Dubuc, de telle sorte que le Québec ne devrait pas tarder à retrouver la situation de pénurie de main-d’œuvre qui occupait les manchettes avant la pandémie.

« Or, je m’aperçois que dans l’opinion publique, dans le cas de l’aérospatiale, on comprend bien les arguments liés au nombre d’emplois et aux bons salaires, mais d’autres critères qui font qu’elle est vraiment stratégique sont mal compris. »

C’est le cas entre autres des importants investissements de cette industrie dans la recherche, ainsi que de ses fortes exportations.

L’industrie aérospatiale est la quatrième exportatrice au pays, derrière l’extraction pétrolière, l’automobile et le raffinage. Au Québec, les aéronefs complets, leurs moteurs et leurs pièces occupent respectivement les premier, troisième et cinquième rangs. Dans la région montréalaise, un emploi sur 52 y serait relié.

« Au plan qualitatif, ajoute l’étude, les exportations aérospatiales se distinguent par leur valeur ajoutée, c’est-à-dire la différence entre la valeur de la production et la valeur des intrants, ce qui dénote un degré élevé de transformation, car il s’agit de produits exigeant des interventions complexes, du travail spécialisé et une contribution de la recherche. Cela contribue à réduire la dépendance de l’économie canadienne envers le secteur des ressources. »

Besoin d’amour plus que d’argent

L’une des deux études publiées simultanément s’attarde aussi à la perception que l’industrie aérospatiale vit « aux crochets de l’État ».

L’aide gouvernementale, « qui consiste essentiellement en des prêts remboursables dans le cadre de programmes fédéraux destinés à l’aérospatiale et des crédits d’impôt à la recherche accessibles à tous les secteurs, est moins importante que celle dont bénéficient de très nombreuses industries au Canada », conclut-elle après analyse.

Comme d’autres rapports publiés au cours de la dernière année, notamment le projet Vision 2025 mené par l’ancien premier ministre québécois Jean Charest au profit de l’Association des industries aérospatiales canadiennes (AIAC), l’Institut du Québec note que le Canada est le seul pays doté d’une industrie aérospatiale significative à ne pas lui consacrer de programmes d’aide spécifiques.

« Ces considérations nous amènent à conclure que le Canada et le Québec doivent maintenir et même améliorer leur soutien à cette industrie, conclut-il. […] Cela ne nous mène cependant pas à recommander une injection importante de fonds publics additionnels. Car si l’industrie aérospatiale a certainement besoin d’argent, elle a surtout besoin d’amour. »