D’abord, il y a eu les eaux des canaux vénitiens qui ont retrouvé leur clarté et leurs bancs de poissons. Puis les dauphins sont revenus dans le port industriel sarde de Cagliari.

Et ensuite jeudi, un autre phénomène positif issu de la crise a débarqué sur nos écrans pendant le point de presse quotidien du premier ministre François Legault. Une invitation claire et forte à acheter local, à acheter québécois.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

La Promenade Masson

Imaginez si cette crise avait cet effet bénéfique. Amener les gens à acheter des produits d’ici qu’ils ne connaissaient pas jusqu’à ce jour. Leur montrer que tout ce qui est local n’est pas nécessairement hors de prix, hors norme, comme le veulent tant de mythes.

Imaginez.

« S’il vous plaît, dans les prochaines semaines, les prochains mois, c’est plus important que jamais d’acheter des produits qui sont faits au Québec », a dit hier M. Legault, une phrase qui a dû mettre un baume sur les blessures de tant d’entrepreneurs qui se battent depuis une semaine pour rester en vie. 

Et j’espère que le gouvernement du Québec sera le premier à le faire. Par exemple, pour encourager les producteurs agricoles, en achetant des produits d’ici à servir dans les écoles, les hôpitaux, les cafétérias de tous les organismes gouvernementaux. En achetant de la pub dans les médias d’ici. On a appris récemment par un reportage de Radio-Canada que le gouvernement fédéral avait dépensé plus de 52 millions en 2018 et en 2019 en pub chez les géants non canadiens que sont Google, Facebook et Twitter, notamment. Qu’en est-il du Québec ? Et peut-on s’engager à publier de la pub dans les médias québécois, à la place, qui sont eux aussi fort efficaces pour rejoindre les auditoires d’ici ? Les statistiques depuis le début de ce mauvais rêve viral devenu réalité le montrent clairement.

Bref, partout il faut commencer à penser local.

Parce que, disons-le, on a tous l’impression d’être au bord d’une hécatombe.

Hier, j’ai passé la journée à parler à des entrepreneurs, dans le vin, dans la restauration, dans le vêtement, dans tout, qui ont dû faire des mises à pied ou qui se préparent à le faire.

Larmes, cœurs brisés, nuits perdues…

Une costumière dont tous les projets de films ont été suspendus, un concepteur de trophées dont tous les évènements ont été annulés, une propriétaire de café installé dans un immeuble de bureaux maintenant déserté, tout le monde du spectacle à l’envers, celui de la télé aussi. Après un bref appel sur les réseaux sociaux, des histoires d’une tristesse infinie sont apparues partout sur toutes mes plateformes de messagerie. « On a fait 40 mises à pied », m’a écrit une restauratrice, « 45 », a renchéri un autre. Dans le monde de la restauration et du tourisme, c’est particulièrement fou. Mais c’est partout.

Je n’arrive pas à penser à autre chose qu’à la crise de 1929 et au récit qu’on nous en faisait à l’école avec les faillites en cascade, quand je pense à ce qui s’en vient, à ce qui se passe.

Dur de se rappeler qu’il y a un mois ou deux, dans nos pages, on multipliait les cris du cœur d’entrepreneurs de partout au Québec, freinés dans leurs ardeurs de développement, submergés de commandes et bloqués par la pénurie de main-d’œuvre.

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Le Québec compte presque 250 000 PME. Et selon les mêmes données de Statistique Canada de 2017, 87,4 % des emplois dans le secteur privé étaient dans ces petites et moyennes entreprises.

Ces entreprises, on s’en doute, n’ont pas toutes des moyens illimités pour faire vivre leurs employés et payer leurs frais fixes. Enfin, rares sont celles qui fonctionnent avec des coussins extra dodus. Un propriétaire m’a confié récemment que de façon réaliste, un restaurant, par exemple, est toujours à quatre ou cinq semaines de la faillite.

Ces petites et moyennes entreprises québécoises, ce sont tellement souvent des projets menés à bout de bras par des gens qui s’y dévouent corps et âme, qui connaissent par cœur le nom de leurs employés, qui sont démolis à l’idée de les priver de travail et de mettre la sécurité financière de leur famille en jeu en les mettant à pied.

Ces PME, on devrait, nous, les consommateurs, nous, les gestionnaires et les acheteurs de biens et services dans les autres entreprises, leur donner la priorité durant les prochains mois. 

On devrait apprendre à les connaître et à les découvrir, si on veut que l’économie de la province, de notre collectivité puisse repartir solidement.

Vous savez combien les fraises du Québec sont les meilleures. Combien notre sirop d’érable est formidable.

Appliquons cette pensée à tout.

Il n’est pas question ici de faire des choix irrationnels.

D’acheter des produits ou des services qu’on peut avoir ailleurs pour la moitié du prix. De faire des compromis sur la qualité.

Ce qu’il faut, c’est plutôt prendre enfin le temps – et Dieu sait qu’on en a actuellement un peu plus que d’habitude – pour découvrir ce qui est offert ici. Ce qui se fait. Et ce qui est bien fait.

Le virus va laisser tellement de ruines derrière lui, il sera réellement de notre devoir à tous de reconstruire notre économie ensemble.

Peut-être consommer moins, mais consommer mieux.

Et consommer solidaire. Collectif.