Depuis plus de 150 ans, le trésorier du Québec, qui s’appellera plus tard le ministre des Finances, se lève chaque année à l’Assemblée nationale pour faire rapport de la situation financière de l’année écoulée et planifier la prochaine. Ces discours qui remontent à 1868 ont récemment été mis en ligne par l’Assemblée nationale. Au fil de ces exercices budgétaires, le Québec d’aujourd’hui apparaît peu à peu différent, mais pas tant que ça, de celui des débuts de la Confédération canadienne.

Du défrichage à faire

1868-1900

En 1868, la nouvelle province de Québec a un an. On peut penser que son trésorier, Christopher Dunkin, a la tâche facile. C’est plutôt le contraire. Né à Londres et député de Brome, le premier trésorier de la province de Québec se dit « plus qu’à demi-effrayé » par sa responsabilité. Il doit se débattre avec le partage des dettes entre le gouvernement de la Puissance (le gouvernement fédéral) et les nouvelles provinces. C’est une tâche colossale. Le Québec et l’Ontario, qui viennent d’être séparés sur la base de la religion et de la langue, ne s’entendent pas.

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Christopher Dunkin

Le partage des actifs et des dettes se passe mal et le représentant du Québec abandonne les négociations avec le fédéral et l’Ontario. C’est le début des conflits qui se perpétueront jusqu’à aujourd’hui, avec la formule de péréquation.

En 1870, le trésorier Joseph Gibb Robertson, successeur de Christopher Dunkin, s’inquiète de l’exode de la population vers les États-Unis, où il y a de l’emploi dans les usines. Il faut « encourager par tous les moyens possibles l’établissement de manufactures de tous genres dont le succès est probable », affirme le ministre des Finances. L’idée de créer Investissement Québec a peut-être déjà commencé à germer…

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Jonathan Würtele

Le gouvernement s’endette pour construire des routes et des chemins de fer, et les premiers déficits apparaissent. En 1882, le trésorier Jonathan Würtele, qui deviendra juge par la suite, impose pour la première fois une taxe sur les entreprises, banques et compagnies de chemins de fer, pour éponger le déficit.

Le nouveau pays est encore fragile, et certains de ses habitants voient d’un bon œil l’annexion aux États-Unis. Par ailleurs, le trésorier Robertson, de retour au poste de grand argentier, constate en 1870 que « des bandes venues de la république voisine » menacent d’envahir le Canada. Heureusement, l’attaque a été repoussée, souligne-t-il, « de sorte que le sol de la patrie n’a pas été pollué même durant un jour par ces misérables envahisseurs ».

Les premiers discours du budget de la province de Québec sont livrés en anglais. « Le préjugé selon lequel le Trésorier devrait être un bon Écossais » est tenace parmi les députés, explique Christian Blais, historien à l’Assemblée nationale. Maurice Duplessis avait lui-même nommé un anglophone à titre de Trésorier pour son gouvernement de 1936-1940 (Martin Beattie Fisher).

Il faudra attendre 1945 avant qu’un francophone, Onésime Gagnon, accède au poste de trésorier de la province.

État des finances publiques en 1869

Revenus : 616 869, 35 $
Dépenses : 485 130, 02 $

C’est au manque de manufactures chez nous qu’il faut attribuer, selon moi, l’émigration si considérable de nos compatriotes [aux États-Unis] pour y chercher de l’emploi.

J.G. Robertson dans son discours de 1870

Le début de l’État providence

1900-1930

La population québécoise croît et ses besoins augmentent. Il faut construire des routes, des chemins de fer, et aussi une prison à Montréal. L’éducation, la colonisation, l’agriculture et les chemins ruraux sont les secteurs « auxquels il ne faut pas hésiter à donner de l’aide », dit le trésorier Peter Mackenzie dans le discours du budget de 1910.

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Peter Mackenzie

Pour payer ces nouvelles dépenses, le gouvernement doit s’endetter, mais aussi taxer la population. Une taxe sur les revenus est instaurée et la Loi sur les liqueurs du Québec donne naissance au premier monopole d’État, la Commission des liqueurs, qui génère dès ses débuts des revenus importants. Comme la SAQ aujourd’hui.

Au tournant du siècle, les subsides de la Puissance du Canada cessent d’être la principale source de revenus de la province. Le développement de l’industrie des pâtes et papiers et les barrages hydroélectriques génèrent une part de plus en plus croissante des revenus.

Mais la province peine à percevoir les taxes imposées aux entreprises, surtout aux compagnies de chemin de fer, qui font des profits juteux avec les voies ferrées construites à même les fonds publics. « De toutes les corporations non consciencieuses avec lesquelles le trésorier de la province a à lutter, les plus endurcies sont certains chemins de fer », s’insurge John McCorkill, député de Brome et trésorier de la province en 1905.

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John McCorkill

Les Québécois sont incités à se serrer la ceinture, alors que la crise de 1929 se profile à l’horizon. Dans son budget de 1922, le trésorier Jacob Nicol, député de Richmond dans le gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau, lance cet avertissement : « La guerre a apporté à certaines gens du Canada quelques années de prospérité sans précédent. […] Il est grand temps que la population de cette province vienne à comprendre qu’elle doit abandonner la vie d’aisance et de jouissance qu’elle a voulu faire dans bien des cas. »

En 1928, le même trésorier Nicol met en garde les Québécois contre « la spéculation extraordinaire ».

« La hausse étonnante de certains stocks a entraîné aux spéculations de la bourse plusieurs personnes qui d’habitude ne spéculent pas, souligne-t-il dans son exposé budgétaire. Et si je peux leur donner un conseil, je leur dirais : que ceux qui n’ont pas les moyens de supporter une perte se méfient des expériences du passé. »

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Jacob Nicol

Jacob Nicol ne le sait pas encore, mais un grand krach boursier surviendra l’année suivante et plongera la province dans la misère.

État des finances publiques en 1929

Revenus : 39,9 millions
Dépenses : 35,4 millions

Principales sources de revenus en 1929

Loi des liqueurs alcooliques : 17 %
Terres et forêts : 16 %
Loi des véhicules automobiles : 12 %

Principaux postes de dépenses en 1929

Voirie : 21 %
Service de la dette : 12 %
Instruction publique : 10 %

La population du Québec en 1901

1,64 million d’habitants
30,7 % de la population canadienne

L’entrée dans la modernité

1930-1950

L’impact de la crise économique de 1929 se fait durement sentir au Québec comme dans le reste du Canada. L’existence même de la fédération est remise en question par certaines provinces. « On y a entendu le cri de sécession, déplore le premier ministre Taschereau, qui prononce le discours du budget de 1931. Ce cri est anti-patriotique, anti-national et anti-canadien. […] Ce serait un crime que de briser ce faisceau de provinces, qui forme une gerbe qu’on nous envie à l’étranger. »

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Louis-Alexandre Taschereau

L’aide aux chômeurs et aux pauvres (les secours directs) commence à peser lourd sur les finances de la province. La solution : coloniser le territoire en envoyant des familles défricher le territoire et cultiver la terre, en Abitibi-Témiscamingue et en Gaspésie. Des colons courageux s’échineront sur des terres de roches, souvent impropres à l’agriculture.

Un montant sans précédent de 10 millions de dollars est consacré à la colonisation. Le ministre des Finances s’enorgueillit d’avoir établi 5000 colons et fondé 28 nouvelles paroisses.

Les emprunts et le remboursement des dettes occupent de plus en plus le trésorier de la province. Le titulaire du poste, Martin Fisher, tente de réduire les dépenses et d’augmenter la productivité des fonctionnaires. « Il n’est plus possible à un employé du gouvernement de toucher son salaire s’il ne se rend pas à son bureau », décrète-t-il dans son exposé budgétaire de 1937.

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Martin Fisher

Les gouvernements du Parti libéral et de l’Union nationale s’échangent le pouvoir. Le trésorier nommé par le premier gouvernement de Maurice Duplessis, Martin Fisher, annonce un déficit de 32 millions pour l’exercice 1937-1938, le plus élevé de l’histoire du Québec. L’année suivante, il annonce que le déficit est devenu un surplus.

Les surplus prévus se transforment en déficits après l’élection, une situation qui se répétera souvent au cours des années, et jusqu’à aujourd’hui.

Pour faire taire les critiques, le gouvernement Taschereau confie en 1931 la vérification des comptes de la province à un expert neutre, MM. Price, Waterhouse & Company, de Montréal. C’est une première dans l’histoire de la province. Mais ça ne mettra pas fin à la controverse.

« Trente millions de dollars empruntés par le gouvernement de l’Union nationale le 15 juillet 1939 pour combler le déficit avaient disparu comme une goutte d’eau sur un poêle chaud », dénonce J. Arthur Mathewson, trésorier du gouvernement libéral d’Adélard Godbout en 1940.

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J. Arthur Mathewson

La province entre résolument dans l’ère moderne. La nationalisation de l’électricité est en marche et l’Hydro-Québec, comme on l’appelle, a vu le jour en 1944.

Onésime Gagnon devient le premier trésorier francophone de la province en 1945. Il le restera cinq ans et poursuivra le même objectif : rapatrier les pouvoirs de taxation repris « temporairement » aux provinces par le gouvernement fédéral pendant la guerre.

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Onésime Gagnon

Le résultat sera la création de l’impôt sur le revenu en 1954, qui s’ajoutera à celui payé par les Québécois à Ottawa.

Quelques années plus tard, en 1961, un dénommé Jean Lesage, premier ministre et ministre des Finances du Québec, se lève pour présenter son premier budget. La Révolution tranquille est en marche.

« La radio, l’automobile, le téléphone, l’aéroplane. […] Des industries dont personne n’avait entendu parler il y a 50 ans donnent de l’emploi à plus de la moitié de nos travailleurs », constate Arthur Mathewson dans son budget de 1943.

Population du Québec en 1949

Total : 3,8 millions
Montréal : 1,1 million
Toronto : 655 302

État des finances publiques en 1950

Revenus : 231,9 millions
Dépenses : 210,1 millions