Cette semaine, le gisement Windfall de Minière Osisko, à la Baie-James, a accédé au statut de gîte aurifère de classe mondiale. Le camp d’exploration, le plus actif au Canada, accueille 250 travailleurs. Un monde fébrile et passionné.
« Un jour, vous vous direz : “J’étais là !” »
Mardi matin, 18 février, 10 h.
C’est plus fort que soi. L’or natif, enchâssé dans une gangue de pierre, suscite invariablement une émotion diffuse, une évocation de Klondike et de Bonanza.
Un morceau d’or, de la taille de la gomme à effacer d’un crayon à mine, était incrusté dans l’arête d’un demi-cylindre de roc.
« Tabarnac ! », n’a pu s’empêcher de s’exclamer un géologue de longue expérience, qui voyait l’échantillon pour la première fois.
Nous étions dans la salle de conférence du camp d’exploration Windfall, situé à environ 200 kilomètres au nord-est de Val-d’Or, dans la région d’Eeyou Istchee Baie-James.
Une boîte de section de carottes était déposée sur une table d’angle, à l’intention des visiteurs : la « boîte à bijoux », comme l’appelle la géologue Isabelle Roy, directrice géologie du projet Windfall.
Ce sont les échantillons exceptionnels, les coups de sonde chanceux qui ont tapé dans des zones remarquablement riches, quoique non représentatives de l’ensemble du gisement.
Sur les colonnettes de roc, l’or est visible, immédiatement reconnaissable, en particules ou en marbrures jaune vif.
D’ici deux ou trois jours, Minière Osisko doit publier une nouvelle estimation des ressources aurifères du gisement, qui n’ont pas été réévaluées depuis novembre 2018. Depuis lors, plus de 400 000 mètres de carottes – 400 kilomètres ! – ont été extraites du site, explique Mathieu Savard, vice-président sénior exploration.
Au camp, il est l’un des très rares initiés qui connaissent les résultats, lesquels doivent rester secrets jusqu’à leur publication. Il demeure muet comme une carpe, mais une carpe souriante, ce qui laisse présager un dénouement heureux.
L’arrivée
Nous étions arrivés en hélicoptère, une heure plus tôt.
À 8 h du matin, du haut des airs, le vaste camp semblait émerger d’un pelage d’épinettes noires. Ses bâtiments principaux s’étalent comme les doigts d’une main.
L’établissement peut héberger 300 personnes, mais en accueille habituellement 250.
C’est le projet d’exploration le plus actif au Canada, et probablement dans le monde.
Mathieu Savard, vice-président sénior exploration
En 2018, 24 foreuses s’activaient sur le chantier. Il en compte encore 19, dont 4 dans la rampe d’exploration souterraine.
Un camp de cette taille demande un investissement digne de Crésus. Depuis l’acquisition de la propriété, en 2015, Osisko a investi près de 400 millions de dollars. Le budget pour 2020 compte à lui seul 100 millions, soit 60 millions pour le forage et 40 millions pour le prolongement de la rampe d’exploration souterraine.
Au départ, Osisko n’avait prévu qu’un petit programme de forage de 50 000 mètres.
Bientôt, les résultats positifs ont porté le programme à 100 000, 400 000, puis 800 000 mètres.
Lors d’une conversation téléphonique préliminaire, le 7 février, M. Savard avait indiqué que le matin même, il avait franchi la barrière du million de mètres forés.
« Un million de mètres de forage, c’est 250 millions de dollars », synthétise-t-il, une semaine plus tard, sur le site même.
C’est ce qui s’appelle faire des trous dans son budget.
Comment peut-on investir autant dans un projet qui n’a pas encore rapporté un sou ? De progrès en découvertes, il faut réunir le plus rapidement possible les données géologiques qui confirmeront – espère- t-on – un gisement économiquement rentable.
« C’est comme un changement de pneus en Formule 1, observe Mathieu Savard. Plus tu alloues de gens pour faire la tâche, moins de temps ça va te prendre. »
« Les gens vivent, ici »
Sur les 160 employés d’Osisko, près de 120 travaillent à intervalles sur le site, dont une soixantaine de géologues. Les femmes y tiennent leur part : « On n’est pas loin des 35 %, soutient Mathieu Savard. Dans l’industrie, ça n’atteint pas 20 %. »
Des 62 travailleurs cris du camp, 19 sont directement employés par Osisko.
Les longs dortoirs où les travailleurs logent sont reliés par des corridors en contreplaqué non chauffés, dont les larges ouvertures sont obturées par de minces pellicules de plastique. Des affiches demandent le silence, car on y dort de jour comme de nuit.
Quand on travaille 12 heures et qu’on en dort 8, il reste peu de temps pour les loisirs. Malgré une salle d’exercice bien équipée, ils se résument souvent à l’internet, qui a remplacé les parties de cartes des anciens camps.
Mais il y a le hockey. Presque tous les jours, à 16 h, une partie impromptue se déroule ici. « Ils se réunissent et ils se séparent les bâtons », décrit Mathieu Savard. « C’est un mode de vie. Les gens vivent, ici. »
La cuisine est ouverte de 4 h à 7 h et de 16 h à 19 h. Pour un camp d’exploration, la qualité est remarquable. Le midi : plats froids et soupe chaude. Le soir : viande, poisson, plat végétarien. Les appétits sont voraces, sous ces latitudes. Le menu du mercredi soir prendra soin de préciser : trois hamburgers maximum.
Il y a deux choses qui comptent : la nourriture et l’internet. Et je ne sais pas dans quel ordre.
Mathieu Savard, vice-président sénior exploration
Pas d’alcool ni de cannabis, cependant. « C’est tolérance zéro, insiste-t-il. C’est la manière la plus simple de gérer. Tu ne veux pas gérer les exceptions. »
Mardi soir, la rampe
Au programme mardi soir : une descente aux enfers.
Assis dans la caisse d’une camionnette, nous descendons la rampe qui s’enfonce dans le roc avec une pente de 15 %, sur près de 2,5 km.
C’est un monde oppressant, humide, sombre, où quelques humains semblent suffisamment acclimatés pour y travailler 12 heures de suite.
À 290 mètres sous le sol, dans une niche latérale, une foreuse perce à l’horizontale, pour recueillir des carottes entre les zones minéralisées. « On est bien, ici », lance Joël. Son aide-foreur, Peter-John Capissisit, un Cri, travaille au camp depuis un mois. Dans le vacarme, leur foreuse enfonce une tige de 3 m en 20 minutes.
La galerie descend en colimaçon, sur quatre spires. Le front de taille est à 310 mètres sous la surface. Le bruit y est infernal. Sur une plateforme mobile à ciseaux, deux hommes percent des trous au plafond, où ils enfonceront les vis qui retiendront des grillages d’acier. Une fois les parois protégées, la galerie sera prolongée sur quelques mètres à coups discrets de dynamite.
Mercredi
Mercredi matin, le thermomètre pronostique un vivifiant -18 °C. « C’est -27 avec le vent, annonce Isabelle Roy. Ce n’est pas si mal. » Endurcie, elle n’a pas mis ses gants, qu’elle oublie constamment.
Elle nous mène à une foreuse, isolée dans sa gangue de neige, une des quinze qui travaillent en surface et qui s’étalent sur une superficie de 4 km2. Partout, de frêles tiges émergent de la neige, porteuses d’affichettes qui signalent les collets des forages terminés.
Par intervalles de 14 jours avec son collègue Louis Grenier, Isabelle Roy dirige un bataillon d’une quarantaine de géologues et techniciens en géologie. Du matin au soir, dans quatre carothèques, 15 géologues s’attellent à la description et à la caractérisation des quelque 1000 mètres de carottes qui ont été extraites au cours des 24 heures précédentes.
L’annonce
En fin d’après-midi, sur une petite patinoire à bande basse, une dizaine de joueurs de hockey, dont une jeune femme particulièrement habile, se disputent (la rondelle) malgré le temps glacial et la réunion décrétée à 17 h par Mathieu Savard.
À 16 h, le communiqué, qu’il a rédigé lui-même en bonne partie, a été rendu public. Quelques minutes auparavant, l’estimation des ressources avait été validée par un consultant externe. Plusieurs des hockeyeurs ne sont pas au courant.
À 17 h, quelque 45 géologues, techniciens et ingénieurs s’entassent dans la salle de conférence.
Debout à une extrémité, Mathieu Savard fait l’annonce : « La ressource est sortie ! »
Applaudissements nourris, un « Yes » jaillit.
« Vous avez vu les chiffres, pour ceux qui ne jouaient pas au hockey ! »
Ces chiffres sont remarquables. Avec la nouvelle estimation des ressources, Windfall accède au statut de gîte aurifère de classe mondiale, avec 1,21 million d’onces d’or en ressources indiquées et 3,94 millions en ressources présumées.
« Ça donne un combiné de 5,1 millions d’onces à 8,6 grammes/tonne, ce qui est incroyable ! lance Mathieu Savard. On monte dans la catégorie de classe mondiale en devenir. Vous pouvez vous pincer. Un jour, vous vous direz : “J’étais là !” »
C’est un jalon capital sur le sentier menant à une mine d’or. La prochaine étape sera l’étude de faisabilité, prévue avant la fin de l’année.
La hockeyeuse laisse échapper un « ouf ! » d’émotion.
Isabelle Roy lance joyeusement à son équipe : « On va trinquer au Pepsi, ce soir ! »
À Windfall, même les célébrations les plus légitimes se font sans alcool.
La Presse à la Baie-James
La neige et la nuit
Le camp d’exploration Windfall vit jour et nuit, en surface comme sous terre, en plein air comme à l’abri. Portraits d’un monde lointain et de ses gens.
Le trou le plus long
Un trou de 76 millimètres (3 pouces) de diamètre et long de 3467 mètres. Trois kilomètres et demi.
C’est le plus long forage au diamant jamais fait au Canada, et il battait de 23 mètres le précédent record, réalisé en Ontario.
Si on le perçait à l’horizontale dans l’axe du boulevard Saint-Laurent, à Montréal, le trou s’allongerait du Vieux-Port jusqu’au boulevard Saint-Joseph.
L’exploit s’est concrétisé durant la nuit du 26 janvier dernier au camp Windfall d’Osisko, au terme de 203 jours de forage.
Lancée au début juillet 2019, l’opération portait un nom qui évoque davantage un programme spatial : Discovery 1 – une manière de dire qu’ils creusaient vers l’infini, et plus loin encore.
Bref, dès le départ, on visait profond : au moins 3000 mètres.
L’objectif
« Le trou profond avait plusieurs objectifs, décrit Mathieu Savard, vice-président senior exploration chez Minière Osisko. Parmi ceux-là, on voulait cibler l’extension en profondeur des zones minéralisées connues. Et aussi [étudier] la source potentielle de l’or à Windfall. »
La mission avait été donnée par le président de Minière Osisko, John Burzynski, lui-même géologue.
« Pour nous, les géologues, le gros défi, souvent, ce sera d’aller voir le patron et de vendre une idée », confie Isabelle Roy, directrice géologie du projet Windfall. « Mais pour Discovery 1, c’est le contraire qui est arrivé. C’est notre patron qui nous a dit : “Pourquoi on ne va pas voir en dessous ?” Dès lors, le gros de la job était fait ! »
Pas tout à fait, tout de même.
Car les problèmes se sont vite accumulés.
Ça dévie
La tige de forage standard n’a que 76 millimètres (3 pouces) de diamètre. Elle allait s’étirer sur plus de 3000 mètres de longueur.
Avec les mêmes proportions, une paille à boire ferait 250 mètres de long : imaginez la contrôler par son extrémité.
Le forage, mené par la firme Major Drilling, du Nouveau-Brunswick, a été lancé à un angle de 51 degrés avec le sol. La foreuse, un monstre, était déposée sur une plateforme coulée en béton. « La première tentative, on l’a arrêtée à 800 mètres, parce que le trou ne se comportait vraiment pas de façon usuelle », raconte Isabelle Roy.
Normalement, un forage dévie lentement vers le haut après une certaine profondeur.
Le trou Discovery 1, au contraire, « devenait de plus en plus abrupt ».
À la suggestion de Major, un coin rétractable en acier a été déposé au fond du trou. Exerçant une pression latérale sur le trépan, il l’a poussé dans la direction souhaitée.
« On a fait dévier le trou, résume Isabelle Roy. C’était la première fois qu’on travaillait avec ça, chez Osisko. »
Cette opération a été répétée 11 fois.
Ça coince
« On a eu un problème majeur vers 2170 mètres, poursuit la géologue. Le train de tiges a bloqué. Il a fallu poser ce qu’on appelle un coin, parce qu’on n’était plus capable de tourner les tiges. »
Vers 3150 mètres, ça coince à nouveau. Cette fois, les foreurs ont descendu un nouveau train de tiges plus étroit au milieu du premier et ils ont terminé le forage avec des carottes de plus petit diamètre – une forme de forage télescopique.
« Ce qui faisait qu’à la fin, quand on a fini notre trou, on avait pratiquement 7 km de train de tiges. »
Le record
À cette profondeur, les géologues avaient recueilli l’essentiel de l’information recherchée.
« On s’est dit : “Essayons d’y aller pour le record” », relate Mathieu Savard.
Le 26 janvier, Isabelle Roy lui a envoyé un message au siège social : « C’est avec un mélange de joie, de fierté et de tristesse que je vous annonce la fin du trou de forage Discovery 1. »
Le contremaître de Major Drilling, Martin Labrèche, lui avait appris la nouvelle à la réunion de coordination quotidienne, à 6 h 30 : « C’est fait ! »
3467 mètres !
« C’est comme la fin d’un marathon », évoque Isabelle Roy. « C’était la joie, mais peut-être plus : une bonne affaire de faite ! », lance-t-elle avec un rire. « On avait pratiquement un quart de million de dollars juste en tiges d’acier dans le trou ! »
Plus tard, le 26 janvier, elle est allée rencontrer les foreurs qui s’étaient relayés par quarts de douze heures, jour et nuit. « On a pris des photos à la foreuse avec l’équipe. Je leur ai dit : “Gang, vous ne vous en apercevez pas, mais vous ne verrez probablement plus ça de votre vie.” »
Longueur du trou : 3467 m
Profondeur depuis la surface : 2,7 km
Durée du forage : 203 jours
Progression quotidienne moyenne : 17 m
Changements de trépan diamanté pour cause d’usure : 43
Rectificatif:
Dans une version antérieure de ce texte, il était question de données géophysiques au lieu de données géologiques. Nos excuses.