Cet avantage fiscal aux riches soulève la controverse depuis des années. Et lors des élections de 2015, les libéraux de Justin Trudeau avaient promis de régler le problème. Or, cinq ans plus tard, l’équipe libérale accouche d’une souris, ou presque.

De quoi je parle ? Des fameuses options d’achat d’actions, ces droits accordés aux employés-clés des entreprises en Bourse qui leur permet de profiter de la plus-value de l’action de leur entreprise (1). L’avantage que procure une option, le cas échéant, n’est imposé qu’à 50 %, un peu comme un gain en capital, plutôt qu’à 100 %, comme un salaire.

La controverse a été d’autant plus grande ces dernières années que certains hauts dirigeants – pensez à ceux de Nortel – ont fait une fortune avec ces options, car le titre boursier montait en fou sans égard aux décisions des dirigeants. Ou encore parce que les dirigeants travaillaient pour maximiser les profits à court terme et faire grimper le titre, avec des effets néfastes à long terme pour l’entreprise.

Au Canada, 37 150 contribuables ont bénéficié de cet avantage fiscal en 2017 – la plus récente année disponible. Et 92 % des déductions réclamées l’ont été par des contribuables gagnant 250 000 $ et plus, selon les données du document Statistiques finales de la T1.

L’avantage fiscal est colossal, puisqu’il coûte 810 millions de dollars au fédéral cette année. Au gouvernement du Québec, la facture est proportionnellement moindre (45 millions), notamment parce que le Québec en avait déjà limité l’étendue.

Pendant la campagne de 2015, les libéraux de Trudeau avaient promis d’imposer une grande proportion de ces options de la même façon que les autres revenus de travail et d’ainsi récupérer 562 millions dans les poches des riches au bout de quatre ans, soit vers 2020.

Or, la décision a finalement été prise lors du récent énoncé économique, début décembre 2020. Et en fin de compte, Ottawa récupérera moins de la moitié de la somme promise, et ce, 10 ans plus tard (200 millions en 2027), nous confirme-t-on au ministère fédéral des Finances.

Que s’est-il passé ?

Première chose : en 2015, les libéraux avaient omis de tenir compte d’un principe fondamental en fiscalité. Si un revenu est imposé aux mains d’un travailleur, il peut être déduit des revenus d’une entreprise. Ottawa n’a pas eu le choix d’appliquer ce principe, ce qui en a dégonflé les fruits pour le gouvernement.

Deuxième élément : le gouvernement a tendu l’oreille auprès des entreprises en démarrage à l’été 2019 pour entendre que les options d’achat sont un puissant moyen peu coûteux d’attirer et de retenir des employés-clés. Qu’on pense aux « bolles » des technologies de l’information ou des biotechnologies, par exemple.

Accorder des options – parfois même avant qu’une entreprise entre en Bourse – coûte très peu et, surtout, ne grève pas les liquidités de l’entreprise. Son impact, quand une option est exercée, est l’augmentation des actions en circulation et donc la dilution des bénéfices par action des autres actionnaires, mais souvent de quelques cents par action seulement.

Ottawa a donc accepté de mettre passablement d’eau dans son vin. D’abord, seules les grandes entreprises en Bourse seront visées par le resserrement de la mesure. Sont donc exclues les petites capitalisations en Bourse – dont le revenu annuel brut n’excède pas 500 millions – de même que toutes les entreprises privées, non inscrites en Bourse.

De plus, pour ces grandes entreprises en Bourse, les nouvelles règles visent seulement la portion des lots d’options accordés à un bénéficiaire au-delà d’une certaine valeur. Cette valeur est fixée en fonction du cours des actions liées aux options au moment de l’octroi.

Ainsi, tout ce qui est en bas d’un plafond de 200 000 $ par année continue de donner droit à une déduction de 50 %, tandis que ce qui est au-dessus deviendra imposé à 100 %, essentiellement. Les options, il ne faut pas l’oublier, se traduisent souvent par aucun gain pour les détenteurs, par exemple si le cours de l’action chute.

Enfin, les nouvelles règles ne s’appliqueront qu’à partir de juillet 2021 pour les nouvelles options émises. Toutes les options émises avant ne verront pas le gain imposé à 100 %, essentiellement, mais plutôt à 50 %.

Le fédéral estime qu’il commencera à récupérer des fruits de ce resserrement seulement au cours de l’exercice 2025-2026 (55 millions). La somme grimpera pour atteindre 200 millions annuellement en 2027-2028 et par la suite, soit lorsque l’ensemble des options visées seront alors imposées.

Le cas des options illustre deux choses. D’abord, que le retrait d’avantages fiscaux accordés à certains rapporte souvent moins que prévu, pour diverses raisons. Ensuite, que les décideurs politiques, dans la pratique, choisissent souvent de diluer leurs promesses électorales, soit en raison de leurs impacts négatifs, soit à cause des pressions diverses, pas toujours justifiées.

Précisons que ce sont les Ontariens qui sont les plus grands bénéficiaires de cet avantage fiscal, selon les données les plus récentes du document Statistiques finales de la T1. Les Ontariens visés ont réclamé la moitié des 2,2 milliards de déductions demandées au fédéral en 2017.

Toutes proportions gardées, ce sont toutefois les Albertains qui sont les plus nombreux à en profiter. De fait, 28 % des demandeurs sont albertains, alors que la province ne représente que 12 % de la population canadienne.

Autre élément : 86 % des avantages sont versés à des hommes, indique l’énoncé économique de Chrystia Freeland. De quoi faire réfléchir !

1- Expliqué simplement, certains dirigeants ou employés-clés obtiennent le droit, pendant quelques années, d’acheter des actions au même prix que celui qui était négocié en Bourse au moment de l’octroi. Les bénéficiaires font un gain automatique quand ils exercent ce droit, quelques années plus tard, c’est-à-dire si l’action a pris de la valeur. Par exemple, s’ils ont l’option d’acheter le titre boursier à 5 $ et que le titre est rendu à 12 $ au moment d’exercer le droit, ils font 7 $ l’action, imposable à 50 % plutôt qu’à 100 %.