Montréal arrive troisième, après Vancouver et Toronto, en matière d’intégration sur le marché du travail des immigrants. Comment faire de la métropole québécoise une ville plus inclusive ? Des panélistes issus, entre autres, de l’immigration en ont discuté mercredi lors d’une causerie organisée par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Attirer les talents

Dans les entreprises où elle a travaillé, Madeleine Féquière, directrice et cheffe du crédit d’entreprise chez Domtar depuis 2008, affirme avoir entendu régulièrement cette phrase au sujet des CV reçus pour un poste affiché : « Le nom de famille ne nous est pas familier. »

Née en Haïti, mais ayant étudié et fait carrière à Montréal, elle insiste : « Le nom ou l’accent, cela n’a rien à voir avec son intellect, avec son expertise. Il ne faut pas oublier que, la plupart du temps, ces professionnels vont toujours être super qualifiés pour les postes pour lesquels ils postulent, parce qu’ils n’arrivent pas à en trouver. »

Mme Féquière soutient qu’un conseil d’administration diversifié attire les meilleurs talents. « Parce que c’est le premier réflexe d’un candidat d’aller voir comment ça se passe au top. Alors si le conseil n’est pas diversifié, on peut déjà se faire une tête de l’intérieur de cette organisation », dit-elle.

« Pour changer la culture d’une entreprise, il faut commencer par le haut », observe de son côté PJ Emam, PDG de QuadBridge.

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PJ Emam, PDG de QuadBridge

Une fois que la haute direction vient de la diversité, qu’elle a la compréhension et qu’elle crée la culture, elle attire de meilleurs talents.

PJ Emam, PDG de QuadBridge

La diversité attire non seulement les talents issus de l’immigration, mais aussi les plus jeunes. « C’est un sujet qui rejoint les milléniaux. Les gens vont choisir leur emploi, leur carrière au sein d’entreprises qui rejoignent leurs valeurs. On l’avait vu avec le climat », observe Kim Thomassin, première vice-présidente et cheffe des Placements au Québec et de l’investissement durable à la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Attirer les clients et augmenter les profits

« Une étude de McKinsey publiée en 2015 a fait la démonstration que quand les équipes sont diversifiées, il y a un impact direct sur la performance financière des entreprises », cite Madeleine Féquière.

« Quand on fait un financement, un investissement, l’argent parle, indique Kim Thomassin. Les gens veulent voir que nos priorités, nos valeurs sont reflétées au sein des entreprises. » Mme Thomassin rappelle que chaque investissement à la Caisse respecte les critères ESG (environnement, société et gouvernance) ; la diversité et l’inclusion en font partie.

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Madeleine Féquière, directrice et cheffe du crédit d’entreprise chez Domtar

Il y a beaucoup de gens qui, avant de faire un achat, regardent la composition du conseil d’administration.

Madeleine Féquière, directrice et cheffe du crédit d’entreprise chez Domtar

« Tous les créateurs de tendances investissent dans la diversité, renchérit PJ Emam. Nike, par exemple, a beaucoup poussé cette idée d’inclusion et de diversité et elle a touché les gens. En faisant ça, elle a augmenté ses revenus de 30 % en six mois. »

PJ Emam observe que si la diversité ethnique est présente dans les entreprises de technologie comme Mac, Shopify et Microsopf, le défi se situe sur le plan de l’intégration des femmes. Sa propre entreprise n’en avait que 6 % il y a trois ans. « C’était un grand souci, parce qu’on était en train d’ignorer 50 % du marché. On a changé notre culture en intégrant des femmes dans la direction. Après trois ans, on est passé de 6 à 36 %, et dans deux ans, on voudrait atteindre l’égalité. »

Concurrence à l’échelle mondiale

« La diversité est d’une grande importance pour le marché mondial. On n’est plus dans un marché local, il faut toucher le marché mondial. Et la façon de comprendre ce marché et de parler sa langue, c’est d’avoir des ressources issues de la diversité », affirme PJ Emam, PDG de QuadBridge. Né à Chiraz, en Iran, PJ Emam a raconté qu’il était arrivé au Canada comme réfugié à 13 ans par un jour froid de novembre, mais que sa famille avait eu la chance d’avoir des ressources qui l’ont aidée à s’intégrer.

Répondre à la pénurie

Avant la pandémie, la pénurie de main-d’œuvre donnait des maux de tête aux entreprises, rappelle Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. « Nos entreprises ne trouvaient pas les talents pour produire à la hauteur de ce qu’elles devaient faire, manquaient des commandes et dans leur développement d’affaires rentraient dans diverses problématiques. »

Selon M. Leblanc, la relance doit se faire en utilisant tous les talents disponibles, que ce soit les immigrants, les autochtones, les handicapés ou les personnes aux orientations sexuelles diverses.

Il explique aussi que Montréal accuse un retard concernant l’intégration des immigrants, parce que le chômage structurel a toujours été plus élevé à Montréal qu’à Toronto.

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Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

Quand on est dans cette situation, les ressources humaines, surtout dans de petites entreprises, ont le réflexe de trouver des CV faciles à lire, des gens qui ont étudié dans des endroits qu’on reconnaît, qui ont travaillé dans des entreprises qu’on connaît et qui ont eu des emplois avec des titres qu’on reconnaît.

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

Cathy Wong, responsable de la diversité, de l’inclusion en emploi, de la langue française et de la lutte contre racisme et la discrimination, membre du comité exécutif de la Ville de Montréal, a été étonnée de voir à quel point les gens n’avaient pas conscience de ce retard.

« Seulement une personne sur sept à Montréal est consciente de ça. C’est une recherche qui a été faite en 2018, donc avant la COVID, constate-t-elle. Ce qui dit à quel point il y a un travail à faire pour éveiller, conscientiser, parler de ce retard auprès des employeurs. »