Le gouvernement Legault compte sur un plan de relance économique de 1,5 milliard de dollars sur trois ans, et beaucoup sur Ottawa, pour sortir du trou budgétaire. Le déficit s’élèvera à 15 milliards cette année, puis atteindra 8,3 et 7 milliards les deux suivantes.

Dans sa mise à jour budgétaire présentée jeudi, Québec calcule que son « déficit structurel », celui qui demeurera après la récession, se situe entre 5,5 et 7 milliards par année. Il donne bien peu de détails sur la stratégie pour le résorber. Le ministre des Finances, Eric Girard, tracera « le chemin pour revenir à l’équilibre budgétaire » dans son prochain budget.

Il a dévoilé « exceptionnellement » un cadre financier sur trois ans seulement, prétextant les « incertitudes » causées par la pandémie. Or, la norme est de rendre publiques des prévisions sur cinq années.

« La loi nous donne cinq ans à partir de l’an prochain pour retourner à l’équilibre budgétaire, et nous voulons respecter cette loi », a-t-il affirmé en conférence de presse. Il compte y parvenir « sans couper dans les services et sans augmenter les taxes et les impôts ».

Il entend toutefois limiter la croissance des dépenses à environ 3 % par année dans l’avenir – comme la Santé et l’Éducation vont en accaparer une bonne partie, les autres ministères devront se contenter d’un peu plus de 1 %.

Ce contrôle des dépenses est l’un des « trois vecteurs » du ministre pour arriver au déficit zéro.

Le deuxième, c’est obtenir plus d’argent de la part d’Ottawa, qui est lui aussi aux prises avec un lourd déficit. Québec lui demande une augmentation des transferts en santé de 6,2 milliards par année, afin de faire passer de 22 % à 35 % la part d’Ottawa dans le financement des dépenses dans ce secteur. « C’est important, l’aide que le gouvernement fédéral peut nous donner » afin de retrouver l’équilibre budgétaire en 2025-2026, a reconnu Eric Girard. « Moins il y aura [d’argent] qui provient des transferts en santé, plus il faudra aller chercher dans les deux autres vecteurs », notamment dans la réduction des dépenses.

Le troisième « vecteur » pour atteindre l’équilibre budgétaire, c’est « un accroissement du potentiel économique du Québec ».

1,5 milliard pour la relance

Ainsi, la mise à jour du ministre Girard prévoit des investissements de 1,5 milliard pour relancer l’économie. Ils se déclinent de plusieurs façons.

Une part de 459 millions est consacrée à la formation de la main-d’œuvre et à la réintégration en emploi de Québécois qui ont perdu leur boulot. Québec entend les requalifier dans des « secteurs stratégiques » : la santé, la construction, les technologies de l’information et le cinéma.

Quelque 477 millions sont injectés pour « stimuler la croissance économique ». Québec va mener « une offensive pour la numérisation des entreprises », afin d’encourager les investissements privés.

Trois cents millions sont ajoutés à l’enveloppe qui était prévue au Plan pour une économie verte, enveloppe qui passe à 6,7 milliards. Ce plan sera dévoilé lundi, mais La Presse a présenté son contenu au cours des derniers mois.

Toujours sur trois ans, 247 millions visent à encourager la production québécoise et l’achat local. On parle d’accroître l’autonomie alimentaire et d’appuyer les serres. Québec veut également développer des chaînes d’approvisionnement locales, et 50 millions sont consacrés à la relance des centres-villes.

Par ailleurs, la mise à jour prévoit 57 millions pour les écoles, surtout destinés à l’enseignement à distance. Des équipements seront fournis dans près de 10 000 classes au secondaire ainsi que dans une classe par école primaire, par exemple.

Eric Girard ajoute 60 millions pour aider le secteur touristique, durement touché par la pandémie. Sa mise à jour prévoit un ajout de 10 millions pour bonifier les enveloppes discrétionnaires des 125 députés, enveloppes servant à « soutenir l’action bénévole » dans les organismes communautaires.

D’autres mesures prévues dans le document ont été annoncées au cours des derniers jours – comme les 100 millions pour la santé mentale et les 50 millions pour les services de garde.

Un déficit de 15 milliards

Selon les prévisions du ministère des Finances, le PIB réel glissera de 6 % cette année (au lieu de 6,5 % comme on le prévoyait en juin). Mais il augmentera de 5 % l’an prochain, alors que le gouvernement espérait un rebond plus important de 6 %.

Cette année, le déficit atteindra 15 milliards de dollars, et le gouvernement utilise toute la provision de 4 milliards qu’il avait prévue en juin. Les revenus autonomes ont chuté de 3 milliards par rapport à l’an dernier (- 3,6 %), mais les transferts fédéraux ont bondi de 20 % en raison de l’aide d’Ottawa pour la pandémie. Les revenus totaux ont ainsi augmenté globalement de 1,5 %. Les dépenses ont explosé de 13,1 %, surtout en raison des mesures prises pour faire face à la COVID-19. Cinq milliards ont ainsi été dépensés pour embaucher du personnel, donner des primes aux travailleurs de la santé, acheter des équipements de protection et du matériel comme les tests de dépistage.

Les dépenses diminueront de 4,1 % en 2021-2022 par rapport au niveau exceptionnel de cette année, puis augmenteront de 3 % en 2022-2023.

Québec estime que ses revenus totaux vont croître de 2 % l’an prochain, puis de 2,8 % l’année suivante. Les déficits seront alors respectivement de 8,25 et 7 milliards (après les versements d’environ 3 milliards par année au Fonds des générations qui sont maintenus). Cela comprend des provisions pour éventualités de 3 milliards et 1 milliard, respectivement.

La dette va enfler pour atteindre 234 milliards en 2022, en hausse d’environ 35 milliards par rapport à cette année. Québec prévoit modifier la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, car les cibles qui y sont prévues « seront difficilement atteintes ». Alléger le poids de ce boulet reste une priorité pour le gouvernement.

Enfin, on note une modification à l’offre du gouvernement faite à son demi-million d’employés en vue de renouveler les conventions collectives. Certes, les hausses salariales restent de 5 % sur trois ans. Mais les montants forfaitaires paraissent revus à la hausse un peu alors qu’ils représentent 1 % pour chacune des deux années (donc 1000 $ en moyenne par employé environ). « À cela s’ajoutent des bonifications récurrentes de 1,20 % afin de mettre en œuvre des engagements visant certains groupes d’employés tels que les préposés aux bénéficiaires, les enseignants et les infirmières, et des marges de manœuvre sectorielles pour l’organisation du travail », indique le gouvernement. Il dit faire un « effort total » de 8,2 % en trois ans.

Ils ont dit

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Carlos Leitão, porte-parole du Parti libéral en matière de finances

Il faut regarder la réalité en face. C’est une récession qui est très atypique, sérieuse, profonde. [Le ministre] pense qu’on est déjà sorti [de récession] et qu’au quatrième trimestre, on va commencer le retour à la croissance [qui va] s’accélérer en 2021. J’espère que ça soit le cas, mais je trouve ça extrêmement jovialiste. […] Le moment était maintenant d’annoncer des dépenses massives. M. Girard est beaucoup trop proche de son portefeuille […] et ce n’est pas le moment. C’était maintenant qu’il fallait investir massivement.

Carlos Leitão, porte-parole du Parti libéral en matière de finances

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Vincent Marissal, porte-parole de Québec solidaire en matière de finances

Quand on calcule et qu’on additionne, ça nous donne le résultat de l’austérité patente. Ça nous pend au bout du nez. […] De toute évidence, le ministre continue de s’attacher les mains avec son échéancier de retour à l’équilibre budgétaire, mais ce sont les Québécois et les Québécoises qui risquent d’en faire les frais, parce que, de toute évidence, il n’y aura pas assez d’argent pour maintenir les dépenses, et on se retrouvera vraisemblablement devant de nouvelles compressions et une nouvelle ronde d’austérité.

Vincent Marissal, porte-parole de Québec solidaire en matière de finances

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Martin Ouellet, porte-parole du Parti québécois en matière de finances

On est dans le noir, d’autant plus que le conservatisme du ministre des Finances a changé pour un opportunisme assumé. C’est écrit noir sur blanc dans la mise à jour, pour dire : écoutez, si on veut réussir notre plan, ça prend trois choses. Ça prend de l’aide fédérale récurrente, ça prend une augmentation des dépenses qui va suivre une augmentation des revenus […] et, surtout, [ça prend] un effet de la CAQ pour être plus productif qu’ailleurs dans le monde, pour avoir un PIB qui va surperformer par rapport à d’autres économies.

Martin Ouellet, porte-parole du Parti québécois en matière de finances

Peut-on transformer un cuisinier en soudeur ?

Un cuisinier peut-il se transformer en électricien ou en soudeur ? Le gouvernement de François Legault, qui veut consacrer 459 millions à la formation et à la reconversion de la main-d’œuvre, pense que c’est possible.

Le nombre de chômeurs s’est accru considérablement à cause de la pandémie, mais le manque de main-d’œuvre est toujours aigu dans plusieurs secteurs d’activité, a souligné jeudi le ministre des Finances, Eric Girard, dans la mise à jour du budget.

Les mesures pour équilibrer l’offre et la demande de main-d’œuvre représentent la part du lion de l’injection supplémentaire de 1,5 milliard annoncée jeudi pour remettre le Québec sur le chemin de la croissance.

La mise à jour budgétaire est avare de détails sur la façon dont le gouvernement s’y prendra pour réaliser ses intentions, mais elle a été bien accueillie par le monde des affaires.

La reconversion de la main-d’œuvre, par exemple, est un besoin pressant, selon Véronique Proulx, présidente-directrice générale des Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ). « Mais c’est plus facile à faire dans les métiers qui demandent peu de qualifications que pour un soudeur ou un électricien », souligne-t-elle.

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Véronique Proulx, présidente-directrice générale des Manufacturiers et exportateurs du Québec

La pénurie de main-d’œuvre est tellement aiguë dans certains secteurs que des entreprises ont décidé de se doter de leur propre école pour former les employés dont elles ont besoin, explique-t-elle.

L’aide financière à la formation technique et universitaire annoncée jeudi pourrait raccourcir la période de transition des chômeurs d’un type d’emploi à un autre, souhaite le ministre des Finances.

La décision du gouvernement d’appuyer la numérisation des entreprises et l’achat local est aussi accueillie très favorablement par les entreprises de tous les horizons.

« L’appui à la numérisation des PME québécoises grâce à une enveloppe de 100 millions de dollars sur deux ans nous permettra collectivement d’envisager un développement et un essor économiques à la hauteur de nos ambitions », a dit le président et chef de la direction d’Inno-centre, Claude Martel.

François Vincent, vice-président pour le Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, est d’avis que l’orientation du gouvernement en matière de relance est bonne, mais que les mesures annoncées jeudi sont insuffisantes.

Ça ne réussira pas à rassurer la majorité des PME québécoises qui craignent de ne pas passer à travers la deuxième vague de la pandémie.

François Vincent

Compte tenu du retard des entreprises québécoises sur le plan numérique, une contribution gouvernementale de 100 millions sur deux ans risque toutefois d’être insuffisante, estime Véronique Proulx.

Stimuler la croissance

L’autre gros morceau de l’aide annoncée jeudi vise à stimuler la croissance. La pandémie n’a pas fait dévier le gouvernement de son objectif de réduire l’écart de richesse entre le Québec et le Canada, a affirmé jeudi le ministre Girard. Il a rappelé que le Québec représentait 23 % de la population, mais seulement 20 % de l’économie canadienne.

Sur le total de 477 millions sur trois ans destinés à accélérer la croissance économique, une somme de 300 millions sera consacrée à de nouveaux fonds d’investissement pour les entreprises qui ont besoin de capitaux pour investir ou pour se restructurer.

Il existe déjà beaucoup de fonds d’investissement au Québec, souligne Véronique Proulx, de MEQ, qui aurait préféré que l’appui du gouvernement prenne la forme de crédit d’impôt bonifié ou de subventions.

En outre, 300 millions de plus iront au Plan pour une économie verte, dont les détails ne sont pas encore annoncés, et 247 millions visent à encourager l’achat local et la relance des centres-villes.

Ces initiatives sont positives, selon le Conseil du patronat, qui souligne toutefois l’absence de détails sur leur mise en œuvre.

Le président du CPQ, Karl Blackburn, regrette aussi que les secteurs les plus touchés par la pandémie, comme la restauration, l’hébergement et le tourisme, reçoivent surtout de l’aide sous forme de prêts. « Une partie de ces aides viennent sous forme d’endettement, souvent bien au-delà des capacités réelles de remboursement des entreprises », a-t-il affirmé.

La pandémie touche les sociétés d’État

Le gouvernement recevra 1,2 milliard de moins en dividendes cette année de la part des principales sociétés d’État. Loto-Québec, qui a été la plus touchée par la pandémie en raison de la fermeture de ses casinos et de ses salons de jeux, versera 891 millions de moins que prévu. Pour Hydro-Québec, le manque à gagner de 536 millions s’explique par la baisse de la consommation des entreprises, des commerces et des restaurants et par la chute des exportations. Le dividende de la Société des alcools sera réduit de 104 millions, parce que l’augmentation des ventes aux particuliers n’a pas compensé la réduction des revenus provenant des bars et des restaurants qui ont dû fermer. Les effets de la pandémie sur ces trois entreprises se feront sentir encore deux ans, prévoit le gouvernement. Il estime son manque à gagner à 201 millions en 2021-2022 et à 97 millions en 2022-2023.

Autres points

35 milliards

Le gouvernement a fait le point sur l’ensemble des mesures adoptées depuis mars dernier pour gérer la crise et relancer l’économie. Total jusqu’à maintenant qui sera injecté dans l’économie : 35,2 milliards, dont 21,1 milliards en interventions directes, répartis jusqu’en 2023, dont le tiers le sera pour l’année fiscale 2020-2021. La plus grande partie de ces dépenses, soit 28,1 milliards, étaient déjà prévues dans le portrait de l’économie présenté en juin 2020 ; 5,8 milliards supplémentaires ont été annoncés par la suite, auxquels s’ajoutent les 2,3 milliards d’initiatives directes et indirectes prévues dans la mise à jour de jeudi. « Parmi toutes les provinces canadiennes, c’est au Québec que les sommes injectées dans l’économie en réponse à la crise sanitaire ont été les plus importantes », assure-t-on dans le document explicatif remis aux journalistes. En comparant les interventions directes, le Québec a en effet injecté 4,8 % de son PIB dans ces mesures, comparativement à 3,4 % pour la Colombie-Britannique, qui arrive au second rang.

Universitaires à la rescousse

Démarche plutôt inusitée, Québec a demandé en juin dernier l’expertise des économistes universitaires pour trouver des solutions à la reprise et pour résorber son déficit budgétaire. Le résultat se trouve maintenant en ligne. Une trentaine d’universitaires ont répondu à l’appel, dont sept du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), le plus grand contributeur. Les recommandations vont dans bien des sens, notamment dans des investissements en productivité, l’importance de sauvegarder les entreprises en difficulté, la promotion de l’économie sociale et locale et l’encouragement à la réorientation professionnelle.

Reprise de 5 %

Au chapitre des bonnes nouvelles : 2021 devrait être une année de croissance économique record, avec un taux digne de certains pays en voie de développement pré-COVID-19 de 5 %. C’est plus que les prévisions mondiales du Fonds monétaire international, qui table sur un rebond de 4,7 %, indique le gouvernement Legault. On s’attend d’ici là pour 2020 à un recul de 6 % du PIB réel au Québec, plutôt que de 6,5 % comme on le prévoyait en juin. On attribue cette baisse moindre à une chute de la production moins importante que prévu entre avril et juin derniers. Ce qui a essentiellement fait mal à l’économie : le confinement de huit semaines qui a entraîné la fermeture de nombreux chantiers et entreprises. Ce recul de l’économie de 6 % est tout de même le pire depuis la Seconde Guerre mondiale.