Les citoyens américains vont-ils mieux qu’il y a quatre ans, financièrement ? La Presse a épluché les statistiques et rencontré des citoyens partout aux États-Unis pour connaître leur situation, après un mandat sous Donald Trump.

Ce que les chiffres disent

PHOTO DOUG MILLS, THE NEW YORK TIMES

Donald Trump en août dernier

Donald Trump se présente devant l’électorat en faisant valoir son bilan, qu’il juge extraordinaire, soulignant qu’il a amélioré la situation économique de ses concitoyens. Ses détracteurs ne sont pas d’accord. Voici cinq statistiques pour se faire une idée sur la question.

Une période faste

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Augmentation annuelle du PIB, en pourcentage

Sous l’administration Trump, l’économie américaine a poursuivi la croissance bien entamée pendant le règne de Barak Obama. Ce qui a été le plus long cycle de l’histoire américaine a pris fin abruptement en février 2020 en raison de la pandémie. Le taux moyen de croissance de l’économie de 2016 à 2019 a été de 2,4 %, selon les chiffres du US Census Bureau.

C’est supérieur à la croissance moyenne des huit années de l’administration précédente, alors que le taux avait été de 1,3 %. En tenant compte de la pandémie et de la chute sans précédent de l’économie, le bilan de la croissance moyenne des années Trump sera de 1,5 %, ce qui est encore supérieur à la moyenne des deux mandats de son prédécesseur, qui avait toutefois promis aux Américains une croissance économique de 4 %.

Plus d’emplois

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Évolution du taux de chômage de 2008 à 2020, en pourcentage

Le taux de chômage a atteint un creux historique de 3,5 % en février aux États-Unis. C’est certainement une raison pour le président de se vanter. Dans les faits, le taux de chômage aux États-Unis est en baisse constante depuis 2010, et il a baissé davantage sous l’administration Obama, au début du cycle économique. De 2012 à 2016, le taux de chômage a baissé de presque 3 %, de 8,1 % à 5,3 %. La baisse a été de 2,5 % entre le début de 2016 et le début de 2020. Sur le plan de la création d’emplois, le bilan de Barack Obama est supérieur à celui de Donald Trump. À 7,9 %, le taux de chômage est actuellement à un niveau jamais vu en 50 ans.

Un rattrapage salarial

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Évolution du revenu médian des travailleurs américains de 2008 à 2020

Même si l’économie américaine était sur une bonne lancée lorsque Donald Trump est arrivé au pouvoir, les salaires ont mis du temps à remonter pour refléter l’amélioration du marché de l’emploi. Ce n’est qu’à partir de 2014 que les Américains ont commencé à profiter de la reprise économique et que les salaires ont augmenté. En 2018 et 2019, le revenu médian des ménages américains a augmenté de 6,8 %, à 68 703 $ US, ce qui a conduit le président à s’en attribuer le mérite.

Toujours plus d’inégalités

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Pourcentage de la population sous le seuil de la pauvreté

Après près de 10 années de croissance économique ininterrompue, les États-Unis comptaient presque 34 millions de pauvres en 2019. C’est 4,2 millions de moins que l’année précédente. Le seuil de la pauvreté est défini par un revenu annuel de 13 300 $ US pour une personne seule ou de 25 926 $ US pour une famille de deux parents et de deux enfants.

À 10,5 % de la population totale, le taux de pauvreté est actuellement à un creux historique. Par contre, les inégalités entre les plus pauvres et les plus riches continuent de s’accroître. C’est aux États-Unis que les inégalités, mesurées par le coefficient de GINI, sont les plus élevés des pays industrialisés.

De record en record

INFOGRAPHIE LA PRESSE

L’indice Dow Jones durant la présidence de Trump

Des records ont aussi été enregistrés sur les marchés boursiers pendant le règne de l’administration Trump. L’indice Dow Jones, qui mesure la performance des 30 plus grandes entreprises américaines, a beaucoup augmenté au cours du mandat de l’actuel président, particulière en raison de sa réforme fiscale, qui a réduit le taux d’imposition des entreprises de 35 % à 21 %, et de la déréglementation. La pandémie a fait disparaître complètement les gains du Dow Jones de 2016. Les marchés ont ensuite regagné le terrain perdu, mais ils ont été beaucoup plus volatils que pendant l’administration de Barak Obama.

Ce que les citoyens disent

Nos journalistes ont rencontré des citoyens aux quatre coins des États-Unis. Comment se portent leurs finances ?

PHOTO ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Les électeurs qui souhaitaient voter par anticipation cette semaine ont dû être patients, comme ici à New York, mardi dernier.

Rudy Quarles, gérant de Saw’s BBQ Soul Kitchen (Birmingham, Alabama)

PHOTO ISABELLE HACHEY, LA PRESSE

Rudy Quarles

Pour un peu, on se croirait au resto préféré de l’infâme président de la série House of Cards. Le Saw’s BBQ Soul Kitchen ne paie pas de mine, mais ses fameuses côtes levées lui valent le titre d’institution à Birmingham, en Alabama. Les affaires allaient rondement avant la pandémie. Le Saw’s BBQ avait pris de l’expansion. Le bâtiment voisin, nouvellement acquis, venait d’être retapé pour accueillir des clients. Le virus a frappé… une semaine après l’ouverture. « Au début, malheureusement, on a dû laisser aller nos employés. On a diminué notre personnel et on a ajusté nos heures pour ne pas brûler tout le monde », raconte le gérant, Rudy Quarles. Le petit resto a reçu de l’aide gouvernementale, mais c’est surtout le soutien des habitants de la ville qui a changé les choses. « Des gens venaient manger plusieurs fois par semaine et nous disaient : “On veut s’assurer que vous passiez au travers !” » Rudy Quarles ne doute pas que l’économie américaine reprendra sa vigueur prépandémique – avec ou sans Donald Trump à la Maison-Blanche. « Peu importe qui est élu, il n’aura pas le choix de nous tirer de là ! » — Isabelle Hachey, La Presse

Jake Perez, disc-jockey (Miami, Floride)

PHOTO ISABELLE HACHEY, LA PRESSE

Jake Perez

Jake Perez faisait de l’argent avant la pandémie. « Beaucoup d’argent », précise-t-il. Le disc-jockey de 25 ans animait les nuits endiablées de Miami. La demande était forte. Le coronavirus a mis un terme à tout ça. En attendant le retour des fiestas, Jake Perez travaille à la boutique de souvenirs de ses parents, le Little Havana Visitor Center, au cœur du quartier cubano-américain de Miami. Là aussi, les affaires tournent au ralenti. La boutique, d’ordinaire pleine à craquer, est désespérément vide. Pas un touriste pour acheter le moindre porte-clés. Bref, ça va mal. Pourtant, Jake Perez n’en veut pas au gouvernement local d’avoir paralysé l’économie avec ses mesures sanitaires. Des membres de sa famille sont morts de la COVID-19. Ça remet cruellement les priorités en place… Entre Donald Trump et Joe Biden, son cœur balance. « Je n’ai pas encore pris ma décision, mais je ne voterai pas en fonction de ce que disent mes parents ou de ce que pense la communauté cubaine… » — Isabelle Hachey, La Presse

Russell Yonkers, informaticien (Sparta, Michigan)

PHOTO JUDITH LACHAPELLE, LA PRESSE

Russell Yonkers

« Je travaille en sécurité informatique. Personnellement, je m’en tire bien. Ma situation financière n’est ni pire ni meilleure qu’à l’époque d’Obama. Mais j’ai très peur qu’elle empire. L’enjeu de l’accès à des soins de santé abordables est très important. J’ai un fils de 26 ans, bientôt il ne profitera plus de notre protection d’assurance, et en raison de la COVID-19, il a perdu son travail. Les républicains vont détruire le filet de sécurité sociale pour les personnes âgées ainsi que l’Obamacare. La situation économique ne s’améliorera pas avant longtemps. Les coûts du logement explosent. Nous avons besoin d’un revenu national minimum. Les pauvres sont de plus en plus pauvres, les riches de plus en plus riches, la classe moyenne disparaît. Et les gens doivent comprendre que lorsque d’autres personnes souffrent, nous souffrons tous. » — Judith Lachapelle, La Presse

John Minor, livreur pour un grossiste en épicerie (Washington, Pennsylvanie)

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

John Minor

« J’étais dans une bien meilleure situation financière à la veille de la pandémie qu’en 2016. Je travaillais comme superviseur sur des sites d’extraction de gaz de schiste avant que tout ferme à cause du coronavirus. J’ai connu d’excellentes années où mes revenus dépassaient les 100 000 $ US. Quand j’ai perdu mon emploi, on m’a d’ailleurs dit que j’avais fait trop d’argent, ou quelque chose du genre, pour être admissible à l’assurance-emploi. En attendant que l’industrie gazière reprenne ses pleines activités, je paie mes factures avec cet emploi de livreur. Mais j’ai bon espoir que les choses reviennent à la normale. Ce n’est qu’une question de temps. Pour qui vais-je voter en novembre prochain ? Je vais probablement voter pour Kanye West. Il ne sera pas sur les bulletins de vote en Pennsylvanie, alors j’écrirai son nom. Il ferait un meilleur président que les deux candidats pitoyables qui nous sont proposés. Je ne blague pas. » — Richard Hétu, collaboration spéciale

Becky Andrukaitis et Tammy Leen (Lewiston, Maine)

PHOTO JUDITH LACHAPELLE, LA PRESSE

Becky Andrukaitis et Tammy Leen

« Bien sûr qu’on est mieux qu’il y a quatre ans ! », s’exclame Becky Andrukaitis, en louant la vigueur de l’économie. « Trump a changé les choses, pour le mieux », dit Tammy Leen. « C’est un homme d’affaires, ce n’est pas un politicien typique. » Originaire du Maine, Becky Andrukaitis déménagera bientôt en Floride. « On fuit les impôts ! C’est très cher de vivre au Maine. En Floride, il y a moins d’intrusion de l’État. » — Judith Lachapelle, La Presse

Bonnie Maguire, retraitée (Searsmont, Maine)

PHOTO JUDITH LACHAPELLE, LA PRESSE

Bonnie Maguire

« Ceux qui croient que nous allons mieux aujourd’hui qu’il y a quatre ans, eh bien… ils n’ont pas reçu la même information que moi ! » Enseignante retraitée, elle ne s’inquiète pas pour ses propres revenus, mais constate la précarité dans laquelle vivent plusieurs de ses concitoyens. « Et j’ai le sentiment qu’une très grosse récession nous menace l’an prochain. » — Judith Lachapelle, La Presse

Jacqueline Grad, vendeuse dans un kiosque de légumes (Belfast, Maine)

PHOTO JUDITH LACHAPELLE, LA PRESSE

Jacqueline Grad

Originaire du Maryland, elle traîne une dette de 30 000 $ US après des études en cinéma. « Je me considère comme chanceuse, j’ai des amis qui ont des dettes bien pires que ça. » Devant le kiosque de légumes où elle travaille, des drapeaux arc-en-ciel flottent au vent. « On ne voulait pas mettre de drapeau partisan, mais on voulait mettre quelque chose de positif, pour espérer que le psychopathe à la Maison-Blanche soit défait… » — Judith Lachapelle, La Presse

Catalina Ventura, emballeuse de fruits et légumes (Fresno, Californie)

PHOTO MARIE-CLAUDE LORTIE, LA PRESSE

Catalina Ventura

Catalina Ventura, 43 ans, est mère de quatre enfants, âgés de 5 à 18 ans. D’origine mexicaine, elle est maintenant citoyenne américaine et pourra voter à la présidentielle. Elle va aussi emmener avec elle son fils aîné, qui ira aux urnes pour la première fois. Et elle va appuyer Joe Biden. Et surtout, voter pour défaire Donald Trump. En ce moment, Catalina travaille de soir au salaire minimum, pour une entreprise d’emballage de fruits et légumes. « Ça tombe bien, ça me permet d’être à la maison avec les enfants de jour, parce qu’ils ne sont pas à l’école à cause du virus. » Dans son univers, il n’y a pas de services de garde. Le soir, les plus vieux gardent les plus jeunes. « Je pense que beaucoup plus de gens vont aller voter qu’en 2016 », dit-elle. Les travailleurs agricoles qui n’ont pas le droit de voter sont très nombreux, rappelle-t-elle. Mais leurs enfants le peuvent. Peut-être que cette fois, eux feront changer les choses. — Marie-Claude Lortie, La Presse

Ce que les chiffres ne disent pas

PHOTO ANNA MONEYMAKER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le président Trump entouré de travailleurs du secteur de l’automobile lors de la cérémonie de signature du traité révisé de libre-échange nord-américain, en janvier dernier, à la Maison-Blanche.

Si les statistiques officielles donnent au président Trump des arguments pour vanter sa performance, les chiffres ne disent pas tout.

« Prenons le taux de chômage, par exemple, explique Frédérick Gagnon, directeur de l’Observatoire des États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. Il y a plus d’Américains au travail, mais dans quels types d’emplois ? », questionne-t-il.

Les emplois manufacturiers bien rémunérés, que Donald Trump avait promis de ramener aux États-Unis, ne sont pas revenus. Les investissements privés non plus, malgré une réforme fiscale qui a fait passer le taux d’imposition des entreprises de 35 % à 21 %.

En fait, le gouvernement actuel n’a réalisé que 25 % des promesses faites par Donald Trump en campagne électorale, a compilé Karine Prémont, elle aussi chercheuse à la chaire Raoul-Dandurand. Parmi les promesses oubliées figurent de gros morceaux économiques, comme l’investissement de mille milliards dans les infrastructures et la réduction de la dette, qui a plutôt augmenté à un niveau record.

PHOTO JUSTIN KANEPS, THE NEW YORK TIMES

Une usine d’assemblage de Tesla à Fremont, en Californie.

La bonne performance de l’économie avant la pandémie reste quand même le principal atout de Donald Trump pour sa réélection, observe Frédérick Gagnon. « C’est d’ailleurs le seul enjeu où Trump a l’avantage sur Biden, selon les sondages », précise-t-il.

Les Américains, qui n’ont jamais réélu un président sortant en période de récession, sont plongés dans un contexte particulier. Ils peuvent se dire que l’administration Trump n’y est pour rien dans le plongeon de l’économie, causé par un virus, mais ils désapprouvent majoritairement sa gestion de la crise sanitaire.

La société américaine est tellement polarisée que l’appréciation des années Trump se fait sur les lignes de parti.

Frédérick Gagnon, directeur de l’Observatoire des États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand

Fait intéressant, l’économie n’est pas considérée comme le principal enjeu de la présente élection, souligne Frédérick Gagnon. « Seulement 9 % des Américains mentionnent que l’économie est le principal problème auquel le pays fait face, selon un sondage national de Gallup, qui pose la même question à chaque élection. »

Cette année, pour la première fois, les électeurs sont davantage préoccupés par la pandémie (25 %) et par les tensions raciales (25 %), selon ce sondage.

Nuisances

Ce que les chiffres ne disent pas non plus, c’est que plusieurs initiatives du président ont fait plus de tort que de bien à l’économie américaine, observe Francis Généreux, économiste principal chez Desjardins, qui s’est penché sur le bilan des années Trump.

Les baisses d’impôt, loin de se payer d’elles-mêmes, ont empiré la situation budgétaire du gouvernement fédéral, ce qui est plutôt rare pendant une période aussi longue d’expansion économique, illustre-t-il. Avec les dépenses supplémentaires occasionnées par la pandémie, le déficit américain est actuellement à un niveau record.

La volonté du président de rapatrier des emplois aux États-Unis et de réduire le déficit commercial s’est traduite par des guerres commerciales tous azimuts, y compris envers les pays amis comme le Canada.

Malgré ce qu’en dit le président, ces guerres commerciales n’ont pas donné les résultats escomptés, estime Francis Généreux. « L’incertitude générée par ces conflits a plutôt servi à miner la confiance des entreprises et des investisseurs », avance-t-il.

Quant au déficit commercial américain, il n’a pas diminué. Avec la crise de la COVID-19, le déficit commercial est actuellement le plus élevé depuis 2006.

Alors, comment ça va, aux États ? Ça dépend à qui on pose la question.