Pour relancer l’économie post-COVID-19, des économistes proposent que le Québec investisse massivement dans les infrastructures numériques plutôt que dans les ponts et les routes.

L’idée de cette « Baie-James numérique » est principalement soutenue par Henri-Paul Rousseau, ex-PDG de la Caisse de dépôt et placement, selon qui le Québec doit rattraper son retard, notamment en région, dans la numérisation et la robotisation de son économie. La proposition aurait l’avantage, dit l’économiste, de combiner relance économique à court terme et investissements stratégiques à long terme.

La question a été débattue jeudi au Symposium sur les finances publiques au Québec, organisé par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

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Henri-Paul Rousseau, ex-PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec

« La numérisation est fondamentale. Il faut un effort majeur, structurant, comme le fut la Baie-James pour les travaux hydroélectriques. Il faut maintenant penser infrastructures numériques plutôt que physiques », a expliqué jeudi M. Rousseau.

Selon lui, les économies qui ne prendront pas ce virage seront rapidement dépassées, comme l’ont été celles qui n’ont pas profité de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg vers 1450. Il donne justement l’exemple de la pandémie actuelle. Les employés qui travaillent avec le numérique en sortent gagnants, alors que parmi les autres, beaucoup sont perdants.

Une limite atteinte

L’économiste Jean-Pierre Lessard, d’Aviseo Conseil, juge que le Québec a atteint une certaine limite dans les investissements en infrastructures physiques, comme les ponts et les routes.

« Il ne faut pas crinquer nos infrastructures publiques. On a une capacité limitée à livrer des infrastructures physiques publiques. Ce n’est pas la réponse à donner à notre économie. Il y a d’ailleurs une alerte à l’inflation, les indices de prix de la construction étant de deux à trois fois plus importants que l’IPC », dit-il.

Si on investit trop dans les infrastructures physiques, on va encourager certains secteurs économiques qui n’en ont pas vraiment besoin.

Jean-Pierre Lessard

Dans certaines régions, il est encore difficile d’avoir un accès à l’internet rapide et donc de transmettre des photos numérisées. Le secteur de la santé fonctionne encore beaucoup trop avec la télécopie (fax), une technologie du dernier siècle. Et globalement, notre économie a accumulé des retards non négligeables dans la robotisation de sa production, gage de productivité, de compétitivité et de croissance. Embrasser la révolution du réseau 5G est crucial, disent-ils.

Pour Henri-Paul Rousseau, « ce grand projet collectif genre Baie-James » doit être l’œuvre commune des gouvernements et des secteurs privés et communautaires. Mais il faut du leadership : « Ça ne se fera pas si on opte pour le laisser-faire », dit-il.

Financement mixte

À ce sujet, la présidente de Fondaction, Geneviève Morin, propose justement une forme de financement mixte des projets locaux touchant le numérique et l’efficacité énergétique. Au lieu que ce soit le gouvernement qui finance 100 % des projets, explique-t-elle, il peut plutôt appuyer le secteur privé ou réduire le risque des entreprises pour leur permettre d’avoir un rendement satisfaisant propice à l’investissement. « Il faut que le capital privé embarque », dit-elle.

Geneviève Morin fait valoir que le Québec n’a pas tant besoin d’une relance que d’une transformation vers une économie durable, inclusive, écologique. L’endettement des entreprises provoqué par la pandémie exige, par ailleurs, qu’on « recapitalise nos champions », dit-elle.

Concernant le numérique, Henri-Paul Rousseau parle notamment du secteur agroalimentaire, donnant l’exemple des Chinois, qui exigent de mieux connaître la provenance des aliments. « Pour l’agroalimentaire, on doit instaurer des technologies numériques de traçabilité », dit-il.

Autre exemple : le Panier Bleu. Henri-Paul Rousseau appuie cette idée d’achat local – tout en se défendant d’être protectionniste – dans le contexte de la relance et pour ses effets écologiques bénéfiques.

Il fait toutefois valoir qu’il est très difficile de distinguer les produits québécois des autres, en raison des nombreuses étapes de production ou de services. Il est aussi difficile de savoir dans quelle proportion un produit est fait ou conçu au Québec. La traçabilité numérique des produits, justement, est une façon de régler ce problème, dit-il, ce qui pourrait se faire avec la numérisation de la TPS et de la TVQ.

L’économiste a récemment publié au CIRANO un rapport de 23 pages à ce sujet, intitulée Le panier bleu : un outil pour accélérer la transition numérique et écologique du Québec.

Dans ce contexte de numérisation, l’ex-PDG de la Caisse juge primordial d’investir dans la formation, dans le capital humain. Il aurait souhaité que la Prestation canadienne d’urgence (PCU) soit conditionnelle à une formation dans un secteur porteur, si bien que les prestataires, souvent issus de secteurs vulnérables, auraient pu se replacer aisément ailleurs.

Concernant la relance, l’économiste François Delorme est venu dire qu’elle doit être verte, mais que l’injection de fonds dans l’économie verte ne sera pas suffisante pour contrer le rapide réchauffement climatique.

« Il faut des changements de comportements. Il faut une écofiscalité plus agressive et une réglementation plus sévère », croit M. Delorme, selon qui un sous-investissement en environnement aujourd’hui coûtera plus cher dans l’avenir, avec les changements climatiques, ce qui laissera une dette écologique à nos enfants.