La Prestation canadienne d’urgence (PCU) est comme un bar ouvert. Les milliards coulent à flots, attirant les fraudeurs et les contribuables qui n’en ont pas vraiment besoin. Mais je vous garantis que le gouvernement – c’est-à-dire vous et moi – aura un mal de tête carabiné quand viendra le temps de payer la note.

Petit rappel : la PCU offre un montant de 2000 $ par période de quatre semaines aux travailleurs qui ont perdu des revenus à cause de la pandémie. Au départ, cette aide d’urgence devait être versée durant 16 semaines, mais les paiements ont été prolongés de huit semaines, ce qui a fait bondir les coûts à 71 milliards de dollars.

Malgré la facture colossale, Ottawa a lancé ce programme en toute hâte, afin d’acheminer l’argent le plus rapidement possible aux Canadiens. C’était louable. Sauf qu’on s’aperçoit aujourd’hui que cet empressement a un coût élevé.

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PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Sylvain Racette, victime de fraudeurs ayant réclamé 8000 $ de prestation canadienne d’urgence (PCU) en son nom.

Plusieurs contribuables ont réalisé que des fraudeurs avaient réclamé la PCU à leur place. C’est le cas de Sylvain Racette qui figure parmi les victimes de vol d’identité de Desjardins et de Capital One (Costco).

Le 12 juin, des fraudeurs ont touché en son nom 8000 $ de PCU qu’ils ont fait verser dans un compte de la Banque Scotia, ouvert à son insu. Aussitôt déposé, aussitôt retiré. Bonne chance à Ottawa pour retrouver les escrocs.

« Ce qui m’inquiète, c’est que c’est nous qui serons pris avec la facture. Et ça semble être un puits sans fond », lance M. Racette.

Sa situation est loin d’être anecdotique.

En fait, les fraudes et les erreurs sont probablement bien pires qu’on le pense, avance Allan Lanthier, associé à la retraite d’un grand cabinet comptable qui a déjà conseillé le ministère des Finances et l’Agence du revenu du Canada (ARC).

D’un côté, il a calculé le nombre de demandes de PCU, de Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants (PCUE) et d’assurance emploi (AE). De l’autre, il a vérifié combien de travailleurs ont perdu leurs revenus, en tout ou en partie, depuis le début de la pandémie.

À la lumière de l’enquête sur la population active de Statistique Canada, il est arrivé à un écart énorme.

En juin seulement, il y a deux millions de demandes qui ne peuvent tout simplement pas être expliquées par les chiffres de l’emploi.

Allan Lanthier

Sans vouloir quantifier la fraude entourant la PCU, l’ARC assure avoir mis en place de « rigoureuses procédures de vérifications » afin de « décourager le vol d’identité », assure son porte-parole, Dany Morin.

Quant aux Canadiens qui ont demandé la PCU sans y avoir droit, volontairement ou par erreur, le fisc prévient qu’ils risquent de se faire rattraper dans le détour.

Les employeurs devront fournir au gouvernement des feuillets fiscaux qui permettront de vérifier si les travailleurs ont gagné un revenu durant les mêmes périodes où ils ont touché des prestations d’urgence.

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Malgré tout, M. Lanthier estime que le gouvernement a commis deux erreurs graves lorsqu’il a instauré la PCU.

Premièrement, il a télégraphié aux Canadiens que le processus de réclamation serait extrêmement simple. Trop simple.

Deuxièmement, il a oublié d’inclure des pénalités et des intérêts pour les gens qui demanderaient la PCU sans y avoir droit. Donc, tout ce que les gens risquent, c’est d’avoir à rembourser les prestations, à moins qu’on puisse les accuser au criminel.

Rien de très dissuasif.

Par la suite, Ottawa a tenté d’inclure des pénalités rétroactives et même des peines d’emprisonnement, mais le projet de loi controversé n’a jamais pu être adopté. Et c’est tant mieux. Il aurait été gênant de taper sur les doigts des contribuables après coup, alors qu’on les avait initialement encouragés à faire une demande subito presto, même si les critères d’admissibilité restaient flous.

Mais il est bon de savoir que l’ARC a déjà reçu près d’un demi-million de remboursements de PCU et de PCUE de la part de Canadiens qui avaient touché des montants en trop. Comme quoi il y a beaucoup de monde honnête.

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Reste que la PCU a été mal dessinée.

Tous les Canadiens ont droit au même montant de 2000 $, pourvu qu’ils aient gagné au moins 5000 $ l’année précédente, que leurs revenus aient fondu à cause de la pandémie et qu’ils soient inférieurs à 1000 $ par mois.

Ainsi, une mère qui gagnait environ 55 000 $ doit se contenter de 500 $ avec la PCU, alors qu’elle aurait eu droit à 55 % de son salaire avec l’assurance-emploi, soit 573 $, le maximum.

Son fils qui étudie au cégep et gagnait 150 $ par semaine dans un restaurant recevra le même montant de 500 $ par semaine, potentiellement pendant 24 semaines pour un total de 12 000 $.

Avec la PCU, il est largement surcompensé. Pensez-vous qu’il aura le goût de retourner au resto ? Pas une miette !

Pendant que les employeurs s’arrachent les cheveux pour dénicher de la main-d’œuvre au salaire minimum, Ottawa dépense des milliards pour garder les jeunes à la maison.

En fait, le fédéral pourrait surcompenser 400 000 étudiants de 18 à 24 ans qui ont gagné entre 5000 $ et 12 000 $ l’an dernier, selon l’Institut Fraser. On parle uniquement de jeunes qui vivent chez leurs parents, dans une famille aisée (100 000 $ et plus).

Juste pour eux, le coût de la PCU pourrait s’élever à près de 5 milliards. Ça fait beaucoup d’argent pour des travailleurs qui n’avaient pas besoin d’une aide d’urgence pour mettre du pain sur la table et payer l’hypothèque.

Ramener les prestataires de la PCU vers l’assurance-emploi, comme Justin Trudeau l’a annoncé vendredi, devrait résoudre ce problème.