(Washington) Donald Trump promet de rencontrer éventuellement en tête-à-tête le premier ministre Justin Trudeau, absent à Washington mercredi alors que le président américain et son homologue mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, célébraient le nouvel accord commercial nord-américain, entré en vigueur le 1er juillet.

Le premier ministre Justin Trudeau avait refusé la semaine dernière de se joindre à cette rencontre au sommet à la Maison-Blanche, invoquant la pandémie de COVID-19 et une séance chargée à la Chambre des communes — sans parler de la menace de tarifs douaniers américains qui pèse encore sur l’aluminium canadien.

M. Trump n’a fait aucune allusion à ces tensions, mercredi, avant que lui et M. Lopez Obrador ne signent une déclaration de solidarité commune, lors d’une cérémonie à l’extérieur du bureau ovale, dans la roseraie de la Maison-Blanche, sous un soleil de plomb.

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Au lieu de cela, « nous aurons une journée distincte avec le Canada — ils arriveront au moment opportun », a déclaré le président Trump, en qualifiant le nouvel Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) de « plus important, plus équitable et plus avancé jamais signé », tout en dénigrant l’ALENA précédent. « Nous voulons également remercier le Canada ; j’ai parlé avec le premier ministre et je m’entretiendrai avec lui un peu plus tard », a déclaré M. Trump. « Nous voulons féliciter le Canada, le peuple canadien et le premier ministre. »

Lors de sa conférence de presse quotidienne, plus tôt mercredi, M. Trudeau avait soutenu que l’entrée en vigueur de l’ACEUM constituait une victoire pour les trois pays en cette ère de graves incertitudes économiques. « Je pense qu’il est vraiment important qu’en période d’incertitude économique et de tensions, nous ayons toujours accès au marché le plus important du monde : c’est bon pour les travailleurs canadiens et les emplois canadiens partout au pays », a ajouté le premier ministre.

L’entrée en vigueur officielle de l’ACEUM, la semaine dernière, a été entachée par l’allégation du représentant américain au Commerce, qui considère que le Canada a dépassé les limites sur les exportations d’aluminium prévues dans l’entente de mai 2019. Cette entente levait les tarifs douaniers sur les importations de métaux canadiens que le président Trump avait imposés pour des motifs de « sécurité nationale ».

M. Trump n’a fait aucune mention de ce différend commercial, mercredi, et les deux présidents n’ont répondu à aucune question des journalistes dans les jardins de la Maison-Blanche. Mais M. Trudeau a admis mercredi que la menace d’un retour des tarifs douaniers « était un peu difficile à comprendre », compte tenu de leurs impacts potentiels sur les manufacturiers américains.

« Les États-Unis ne fabriquent pas assez d’aluminium pour combler leurs besoins, en particulier à un moment où nous voulons que les économies reprennent leurs activités dans toute l’Amérique du Nord, a-t-il dit. Ces tarifs feraient augmenter les coûts de production pour les fabricants aux États-Unis et leur imposeraient un stress supplémentaire — à un moment où les stress ne manquent pas. »

Or, cette hausse des prix est peut-être précisément ce que souhaite l’administration Trump : les deux producteurs américains qui ont porté plainte ont des liens avec une entreprise suisse de métaux qui détient les droits exclusifs de vendre de l’aluminium russe aux États-Unis. Les quatre plus grands producteurs d’aluminium au monde sont la Chine, la Russie, l’Inde et le Canada — essentiellement le Québec.

Une visite embarrassante ?

La visite du président Lopez Obrador à Washington — son premier voyage à l’étranger depuis son élection en 2018 — a par ailleurs suscité de nombreuses critiques chez lui au Mexique, pour ce dirigeant qui a fait campagne en critiquant sévèrement M. Trump. Depuis lors, M. Lopez Obrador a été à son tour sévèrement critiqué pour son obligeance envers un président américain célèbre pour ses politiques anti-immigration à la frontière mexicaine.

Avec une élection présidentielle aux États-Unis dans quatre mois à peine, c’est M. Trump qui bénéficiera politiquement de cette visite bilatérale, ont déclaré des experts lors d’une table ronde du « Wilson Center », mercredi. Mais ils soutiennent que M. Lopez Obrador pourrait se tromper lourdement s’il croit que sa visite à la Maison-Blanche permettra au Mexique d’échapper aux attaques du président Trump, qui n’hésite pas à s’en prendre à ses alliés stratégiques si cela convient à ses besoins politiques.

« S’il pense qu’aller à Washington en ce moment […] va l’isoler ou le protéger des actions futures de ce président, en particulier au cours d’une année de campagne — le protéger contre les tarifs, contre d’autres représailles —, et bien, il se berce d’illusions », a estimé Roberta Jacobson, ancienne ambassadrice américaine au Mexique sous l’administration Trump et sous celle de son prédécesseur, Barack Obama.

« La preuve : la menace de tarifs sur l’aluminium du Canada à ce moment précis, alors que nous célébrons l’ACEUM. Ce n’est pas un président qui dit nécessairement : “Voici mes nouveaux partenaires, je ne les pénaliserai pas, quoi qu’il arrive”. »

Le NPD demande des comptes

Le chef conservateur, Andrew Scheer, a fait la même remarque, mais non sans tordre un peu le couteau partisan dans la plaie. « Habituellement, lorsque Justin Trudeau quitte le pays, ça nuit à la position du Canada sur la scène internationale, alors c’est peut-être une bonne chose qu’il soit resté à la maison, a-t-il déclaré. Il a un bilan de zéro victoire contre Donald Trump, alors c’est peut-être mieux pour nous qu’il n’y aille pas. »

De son côté, le porte-parole néo-démocrate en matière de commerce, Daniel Blaikie, exhorte le gouvernement à expliquer, lors d’une réunion jeudi du comité du commerce des Communes, comment il prévoit protéger le secteur canadien de l’aluminium contre la menace d’une « attaque arbitraire ».

« Un deuxième tarif appliqué à une industrie qui souffre déjà pourrait très bien être dévastateur », a écrit M. Blaikie dans une lettre adressée cette semaine à la ministre du Commerce international, Mary Ng. « La pandémie mondiale actuelle ne fait qu’empirer les choses. »