(Washington) Si l’entrée en vigueur du nouvel accord commercial conclu par le Canada, les États-Unis et le Mexique est censée annoncer une nouvelle aube dans les relations nord-américaines, Robert Lighthizer a une drôle de façon de le démontrer.

L’ACEUM entrera en vigueur mercredi. L’ambassadeur des États-Unis au commerce a cru bon rappeler à une commission du Congrès que la Maison-Blanche fera appliquer l’entente avec une poigne de fer.

L’encre est à peine séchée que la perspective d’un recours à l’article 232 pour imposer des tarifs punitifs à l’acier et à l’aluminium canadiens, qui avait failli faire dérailler les négociations, a refait surface.

« On pourrait penser que [l’ACEUM] aurait inauguré une nouvelle ère, mais à certains égards, on se retrouve dans une situation qui perdure », dit le consultant Eric Miller, président du Rideau Potomac Strategy Group, établi à Washington.

Comparaissant devant le comité sénatorial des finances, M. Lighthizer a promis de prendre « les mesures nécessaires » pour garantir le respect des dispositions de l’accord concernant les petites entreprises. Il a menacé de poursuites judiciaires le secteur laitier canadien, qui doit abandonner 3,59 % de son marché intérieur et restreindre les exportations de produits importants comme le lait écrémé en poudre et les préparations pour nourrissons.

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Le négociateur américain Robert Lighthizer

« Il existe un certain nombre de façons dont [les Canadiens] pourraient mettre en œuvre leurs programmes qui nous seraient moins profitables que d’autres, a-t-il déclaré. S’il y a une ombre aux avantages pour les agriculteurs américains, nous allons porter plainte contre eux. »

Malgré les discussions difficiles et la menace toujours planante des tarifs, la prévisibilité et la stabilité à long terme qu’apportera l’ACEUM l’emportent sur les désaccords qui se produiront au début, estime un avocat spécialisé dans le commerce international, Nick Guzman, de Chicago.

« Les gouvernements des trois pays ont profité de la réécriture de l’ACEUM pour moderniser l’accord et incorporer des gains d’efficacité qui rendront le commerce trilatéral beaucoup plus efficace », soutient-il.

Mis à part la place plus grande aux produits laitiers américains dans leurs épiceries et des frais de port légèrement plus élevés pour le transport transfrontalier, le Canadien moyen ne verra probablement pas de changements spectaculaires immédiats, ajoute MGuzman.

Le prix des automobiles et des camions pourrait aussi augmenter, étant donné le bouleversement probable que provoqueront de nouvelles règles d’origine et les dispositions concernant le travail.

« On verra certainement de grandes décisions prises par les constructeurs automobiles sur l’emplacement de leurs installations de production, sur les volumes de production de ces installations et des choses comme ça. Beaucoup de changements dans le secteur automobile seront assez importants et assez draconiens. », prédit l’avocat de Chicago.

Les Canadiens qui reçoivent des petits colis des États-Unis paieront plus pour les articles d’une valeur supérieure à 20 $. Quant aux services de livraison, ils auront droit à une exemption de 150 $.

« Pour un magasin de commerce électronique dont les produits sont à 80 $, c’est un gros problème », mentionne Graham Robins, le président et chef de la direction de A&A Brokers, établi en Colombie-Britannique.

Si M. Lighthizer ressuscite le spectre des tarifs en raison des récentes « poussées » des exportations d’acier et d’aluminium, « substantiellement du Canada », contrairement à l’accord, il a perdu des alliés.

Dans une lettre à M. Lighthizer, l’Aluminium Association — un consortium de 16 producteurs de produits finis en aluminium établis aux États-Unis — a rompu les rangs avec ceux qui exigeaient de nouvelles sanctions et exhortant l’ambassadeur au commerce de reconsidérer toute décision en ce sens.

« La chaîne d’approvisionnement nord-américaine intégrée a été un élément crucial de la capacité de l’industrie américaine de l’aluminium à investir et à croître au cours des dernières décennies, écrivent-ils. Même à plein rendement, les alumineries américaines ne peuvent répondre qu’à environ un tiers de la demande de ce matériel vital. L’industrie de l’aluminium n’a d’autre choix que d’importer une quantité importante d’aluminium primaire pour répondre à la demande. La seule question est d’où. »

Les experts sont divisés sur la question de savoir si les tarifs seront vraiment imposés, étant donné les défis politiques et économiques auxquels est confronté le président américain Donald Trump qui fera face à l’électorat en novembre.

Le paysage est radicalement différent de ce qu’il était en 2018, lorsque les négociations commerciales n’avaient pas encore abouti, l’économie américaine était en bonne santé. Il aurait été alors un suicide politique pour les républicains du Capitole d’être en désaccord ouvert avec la stratégie de la Maison-Blanche, souligne l’avocat Dan Ujczo, un spécialiste des relations commerciales canado-américaines, établi en Ohio.

« Le président pourrait essayer de revenir à son ancien livre, mais le terrain est différent en 2020. L’industrie américaine elle-même est divisée sur cette question en ce moment. Il n’y a pas une énorme victoire politique ici. »

L’accord de mai 2019 n’a guère contribué à atténuer les risques de tarifs douaniers, une fois que l’économie sera rétablie et que les élections seront terminées, constate MUjczo.

« Les tarifs de l’aluminium, tout comme le bois d’œuvre, ont maintenant le potentiel d’avoir leur propre vie. Ils pourront exister en dehors des faits », craint-il.

Mais pour M. Miller, Trump, acculé par des sondages négatifs, une économie en difficulté et une pandémie ayant causé 130 000 morts aux États-Unis, ressemble à un animal blessé.

« Les actions qui semblent audacieuses, ou pourraient être interprétées comme audacieuses, deviendront de plus en plus tentantes pour ce gouvernement au fur et à mesure que nous approchons des élections. »