(Francfort) La Banque centrale européenne a renforcé et prolongé jeudi ses mesures de soutien à l’économie, plus vigoureusement que prévu, face à la profonde crise provoquée par la pandémie de coronavirus.

« La BCE part du principe que la zone euro retrouvera son niveau d’avant-crise au plus tôt dans deux ou trois ans. Elle n’a donc aucun autre choix que de poursuivre sa politique très expansive », résume Marcel Fratzscher, de l’institut économique DIW.

Les gardiens de la monnaie unique ont gonflé de 600 milliards d’euros le programme d’urgence PEPP, forgé en mars et initialement doté de 750 milliards d’euros pour racheter des obligations publiques et privées. Les analystes tablaient plutôt sur une rallonge de 500 milliards.

Ils ont également prolongé cette arme inédite jusqu’à « au moins fin juin 2021 », contre la fin 2020 initialement, signe qu’ils ont abandonné tout espoir d’une sortie rapide de la crise sanitaire.

La BCE a aussi indiqué qu’elle allait réinvestir à leur échéance les titres participant au PEPP jusqu’à « au moins la fin 2022 », ce qui lui permet de piloter ce stock d’actifs sur le long terme, comme elle le fait déjà depuis 2015 pour son programme « QE » de rachats d’actifs.

Enfin, l’institut a maintenu ses taux directeurs à leur plancher historique, afin de stimuler l’offre de crédit en zone euro à destination des ménages comme des entreprises.

« Incertitude »

À l’appui de ces décisions, la présidente de la BCE Christine Lagarde a brossé un tableau économique sombre : la récente embellie liée au début du déconfinement « a été timide par rapport à la vitesse à laquelle » la conjoncture « a plongé dans les mois précédents ».

La BCE table donc sur une dégringolade « sans précédent » du PIB de la zone euro cette année, de 8,7 %, suivie d’une remontée de 5,2 % l’an prochain et de 3,3 % en 2022.

Ce scénario est de surcroît « entouré d’un grand degré d’incertitude », a averti la patronne de l’institut, au point que les économistes de la BCE ont forgé deux autres séries de prévisions macroéconomiques.

D’après Mme Lagarde, la violence de la récession comme l’ampleur de la reprise « dépendront de la durée et de l’efficacité » des mesures de restriction, des politiques de relance et de soutien de l’emploi, ainsi que de « l’impact durable » de la pandémie sur la demande.

« La BCE n’est pas dans une meilleure position que les autres prévisionnistes pour tenter de saisir la profondeur de la crise économique et le rythme du rebond », résume Carsten Brzeski, de la Banque ING.

L’institut monétaire a nettement abaissé ses attentes d’inflation, tablant sur une hausse des prix de 0,3 % en 2020, 0,8 % en 2021 et 1,3 % en 2022, des scores très éloignés de son objectif « proche, mais inférieur à 2 % ».

Menace judiciaire

La projection pour 2022 « est la plus basse jamais enregistrée à moyen terme », observe Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet Wealth Management, ce qui enterre pour longtemps les perspectives de durcissement de la politique monétaire.

Il est même probable « que la BCE annonce une seconde et dernière expansion du PEPP plus tard dans l’année », estime M. Ducrozet, si l’institut veut poursuivre ses emplettes au rythme actuel.

Reste à lever l’incertitude que la Cour constitutionnelle allemande fait peser sur l’action des gardiens de l’euro : dans un arrêt retentissant début mai, les juges de Karlsruhe ont sommé la BCE de justifier sous trois mois la « proportionnalité » de ses rachats d’actifs.

Mais jeudi encore, Mme Lagarde s’est dite « confiante » sur le fait qu’une « bonne solution sera trouvée ». Elle a martelé que la BCE se trouvait « sous la juridiction de la Cour européenne de justice », qui a, elle, adoubé son programme.

Dans une réponse indirecte aux juges allemands, elle a cependant assuré que les membres du conseil des gouverneurs débattaient à chaque réunion « de l’efficacité et du rapport coûts-bénéfices » de leurs mesures.