Accablant. Le mot n’est pas exagéré pour synthétiser le rapport déposé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur la vente d’assurances par les concessionnaires automobiles.

Accablant. Le mot n’est pas exagéré pour synthétiser le rapport déposé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur la vente d’assurances par les concessionnaires automobiles.

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Trop souvent, les consommateurs se font pousser en travers de la gorge des produits dont ils n’ont pas besoin et qui leur coûtent le double du prix à cause de la rémunération excessive que le concessionnaire empoche.

Les chiffres sont frappants.

En 2018, les concessionnaires ont vendu pour 424 millions de dollars de polices d’assurances au Québec.

Or, les concessionnaires et d’autres tierces parties administratives ont empoché plus de la moitié (56 %) des primes payées par la clientèle, ce qui représente la rondelette somme de 237 millions de dollars.

Un tel niveau de rémunération est préoccupant, estime l’AMF, qui constate que les commissions sont plutôt de l’ordre de 12 à 15 % dans les réseaux de vente d’assurance traditionnels.

Au fil des ans, l’Autorité a pris différentes mesures pour assainir l’industrie. Elle a instauré de nouvelles règles, imposé des sanctions aux concessionnaires, mis sur pied une table de concertation avec l’industrie, qui promet que les résultats se feront bientôt sentir.

Mais les progrès ne sont pas suffisants, et les lacunes persistent.

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Pour les consommateurs qui mettent les pieds dans l’antre du directeur commercial, on parle de gros sous.

Par exemple, une police d’assurance de remplacement (F.P.Q. no 5) coûte en moyenne 2005 $.

Ce produit est semblable à la composante « valeur à neuf » d’une police d’assurance auto classique. En cas de perte totale, ces deux protections permettent d’obtenir un véhicule flambant neuf, plutôt que la valeur dépréciée du véhicule.

Mais les conducteurs qui veulent une assurance de remplacement devraient plutôt se la procurer auprès d’un cabinet d’assurance qui demande environ 750 $ de moins qu’un concessionnaire, dont la juteuse rémunération gonfle la prime de 62 %.

En fait, l’assurance de remplacement coûte si cher chez les concessionnaires qu’on peut se demander si les clients en ont pour leur argent.

Jugez-en vous-même.

En 2018, plus de 77 000 conducteurs ont payé 2005 $ en moyenne pour une assurance de remplacement, pour un total de 156 millions, alors que seulement 11 000 assurés ont touché une indemnisation moyenne de 2851 $, pour un total de 31 millions.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Entre la prime et l’indemnisation moyenne, il n’y a qu’un mince écart de 846 $. « Cet écart permet de se questionner sur la valeur réelle du produit pour les consommateurs », note poliment le rapport de l’AMF.

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Les concessionnaires vendent aussi des polices d’assurance vie, santé et perte d’emploi, souvent avec une grande insistance.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Avec la COVID-19, cette police sera certainement utile à de nombreux conducteurs, m’a souligné Robert Poëti, président-directeur général de la Corporation des concessionnaires d’automobiles du Québec.

C’est vrai. Mais trop d’assurés ont de mauvaises surprises lorsque vient le temps de réclamer. En fait, 29 % des indemnisations sont refusées, relève l’AMF. C’est six fois plus que le taux de rejet de 5 % pour l’assurance invalidité collective de courte durée vendue dans les réseaux traditionnels.

Comme ce type d’assurance n’est pas standardisé, chaque contrat peut receler une panoplie d’exclusions.

« Par exemple, certains contrats excluent les travailleurs autonomes ou saisonniers. Si ce n’est pas bien expliqué au départ, ce n’est pas au moment de l’indemnisation qu’on veut l’apprendre », dit Mario Beaudoin, directeur des pratiques de distribution alternative en assurances à l’AMF.

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Autre constat inquiétant : le quart des polices d’assurances vendues chez les concessionnaires est résilié avant la fin du contrat. La forte majorité (79 %) des résiliations ont lieu à partir du 181e jour suivant l’achat de la police, soit juste après que le concessionnaire a empoché sa commission en entier.

Pour forcer la vente, le concessionnaire invite parfois son client à contracter l’assurance, quitte à l’annuler dès qu’il aura touché sa rémunération, comme en témoignent différents signalements reçus par l’AMF.

Les consommateurs sont fâchés, car ils croyaient que leurs mensualités baisseraient avec l’annulation d’assurance qui est intégrée au financement. Or, les paiements restent les mêmes, ce qui peut être difficile à absorber pour ceux qui ont un budget serré. L’annulation de l’assurance permet de rembourser le prêt plus rapidement.

Avec ce petit tour de passe-passe, l’assureur est le dindon de la farce, lui qui verse une commission dans le beurre, une fois sur quatre.

Mais les assureurs ne voient rien de mal là-dedans. « La principale raison des annulations (58 %) pour l’assurance créditeur est due à un remboursement du prêt ou à un changement de véhicule », m’a expliqué Pierre Picard, porte-parole de l’Industrielle Alliance, qui détient 79 % du marché de l’assurance chez les concessionnaires.

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Reste à voir comment l’AMF compte ramener l’industrie au pas, une bonne fois pour toutes.

J’aimerais aussi que l’Office de la protection du consommateur (OPC) se penche plus attentivement sur l’univers malsain du financement automobile. Certains prêteurs versent une commission plus élevée aux concessionnaires, qui refilent un taux d’intérêt plus élevé à leurs clients, ce qui les place en plein conflit d’intérêts.

Et que dire des prêts auto qui s’étirent maintenant sur sept ans et plus, dans la moitié des cas, poussant ainsi les consommateurs vers le surendettement ? Mais le tiers d’entre eux changent de véhicule avant l’échéance et refinancent la dette de l’ancien véhicule dans leur nouveau prêt. Dette par-dessus dette !

À ce chapitre, l’OPC a procédé à un examen de quelque 700 contrats de vente d’automobiles, m’a dit son porte-parole Charles Tanguay. Les résultats ont alimenté les réflexions de l’Office et conduiront à des recommandations au gouvernement pour d’éventuels changements législatifs.

Patience, patience.