La fermeture temporaire de l’usine de transformation Cargill en Alberta et le ralentissement des activités de celle de JBS dans la même province, qui font à elles seules de 70 % à 80 % des abattages au pays, ont des impacts directs sur les approvisionnements en bœuf un bon nombre de boucheries au Québec, où les bavettes et autres rôtis commencent à se faire plus rares et parfois plus chers.

Les supermarchés, en avance de deux semaines sur leurs commandes, songent à se procurer davantage de viande d’ici si la situation perdure.

« Cette semaine, c’est plus compliqué », admet Patrick Loyau, propriétaire de la Boucherie du Marché, à Montréal, qui craint d’avoir du mal à recevoir ses commandes. « J’ai prévu le coup la semaine passée. Mais la semaine prochaine, il va me manquer beaucoup de choses comme des morceaux à désosser pour faire le bœuf haché. Pour le rôti de palette, je ne me rendrai pas à samedi. »

Rappelons qu’en raison d’une éclosion de COVID-19, l’usine de Cargill de High River, en Alberta, a annoncé la suspension temporaire de ses activités le 20 avril. En accord avec le service de santé publique de l'Alberta, elle devrait rouvrir ses portes le 4 mai, mais fonctionnera d'abord avec un seul quart de travail.

Normalement, on y abat plus de 4000 têtes par jour, selon les chiffres fournis par Michel Daigle, président de l’Association nationale des engraisseurs de bovins. Pour ajouter aux difficultés, l’usine JBS à Brooks, dans la même province, a ralenti la cadence d’abattage également en raison de cas liés au coronavirus. 

Ils ont réduit d’environ 400 têtes par jour leur capacité d’abattage.

Michel Daigle, président de l’Association nationale des engraisseurs de bovins

Et aux États-Unis, jeudi dernier, le géant de la viande Tyson Foods a interrompu les activités de son abattoir de Pasco, dans l’État de Washington. À Ottawa, selon La Presse canadienne, le premier ministre du Canada Justin Trudeau s’est dit préoccupé par la situation tout en soulignant qu’il ne sacrifierait pas la santé des travailleurs.

Voilà qui complique la tâche de nombreuses boucheries. « Cette semaine, c’est particulièrement compliqué, affirme de son côté Michel Despins, propriétaire de la boucherie L’entrecôte à Brossard, reconnue pour ses viandes de qualité. Il faut s’y prendre à l’avance [pour les commandes]. Mardi, je devais recevoir une commande de fesses de bœuf et elle a été remise à [ce jeudi]. »

Du côté des supermarchés, on n’éprouve pour le moment aucune difficulté à se faire livrer du bœuf canadien, assure Jean-François Belleau, directeur des relations gouvernementales et publiques du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), qui représente plusieurs grandes chaînes comme Metro, IGA, Loblaws, Walmart et Costco. « On a deux semaines de jeu », explique M. Belleau en ajoutant que les chaînes font leurs commandes à l’avance. « Actuellement, nos marchands ont des plans B [si la situation ne se rétablit pas]. » M. Belleau avance notamment que les supermarchés pourraient acheter davantage de bœuf du Québec.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Alex Fontaine, président-directeur général
de Délimax-Montpak

Or, si le CCCD affirme ne pas avoir de problème d’approvisionnement, l’entreprise québécoise Délimax-Montpak, qui produit du veau et du bœuf, a doublé sa production au cours des deux dernières semaines en raison de la plus forte demande des détaillants, expliquait en entrevue le président-directeur général, Alex Fontaine. À son usine de Terrebonne, l’entreprise abat maintenant 500 têtes par semaine. « Et on a de la difficulté à répondre à la demande », indique-t-il.  Bien que son usine lui permette de produire encore davantage, la difficulté à trouver de la main-d’œuvre rend les opérations plus difficiles.

Restaurant et hausse de prix

Par ailleurs, McDonald’s annonçait mardi que la difficulté de s’approvisionner en bœuf canadien l’obligeait à se procurer de la viande en provenance d’autres pays. Le géant de la restauration rapide a également retiré ses hamburgers Angus du menu. Difficile de savoir si d’autres chaînes devront faire face aux mêmes défis. Du côté de Harvey’s, on ne signale aucun problème avec les commandes de bœuf canadien. Burger King n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue.

PHOTO GEOFF ROBINS, AGENCE FRANCE-PRESSE

McDonald’s a annoncé mardi que la difficulté de s’approvisionner en bœuf canadien l’obligeait à se procurer de la viande en provenance d’autres pays.

Du côté du Sportscene, propriétaire des restos-bars La Cage Brasserie sportive, le président Jean Bédard s’inquiète de son côté de la « flambée des prix » du bœuf. « Dans les commandes pour emporter, le Blitz burger – l’un des meilleurs vendeurs – coûte plus cher à produire. »

À titre indicatif, il rappelle qu’en mars, il devait payer 6,95 $ le kilo de bœuf, alors que maintenant, il lui en coûte 9,50 $.

À la boucherie L’entrecôte, le propriétaire a également noté une hausse de prix lorsqu’il passe ses commandes. Pour les carcasses, le coût aurait augmenté de 2 % à 5 %, selon lui. Certaines pièces de bœuf emballées sous vide lui sont vendues 2 $ de plus le kilo.

À l’autre bout du spectre, les producteurs, eux, se font offrir environ 200 $ de moins pour leurs bêtes destinées à l’abattage, calcule Michel Daigle, de l’Association nationale des engraisseurs de bovins.

« C’est certain que les rayons vont se vider, dit-il, mais la matière première est disponible. Il faut que les animaux soient abattus et transformés. »