Le dixième président-directeur général de l’histoire de la Caisse de dépôt aborde ses nouvelles fonctions avec « beaucoup d’humilité », mais aussi avec beaucoup d’assurance. « On peut toujours faire mieux », répond-il lorsqu’on lui demande si la Caisse en fait assez pour développer l’économie du Québec.

Charles Émond est très à l’aise avec le double mandat de la Caisse de dépôt, qui doit à la fois générer les meilleurs rendements possible et contribuer au développement économique du Québec.

« Je ne me vois pas pris entre l’arbre et l’écorce, assure l’ancien banquier lors d’un entretien avec La Presse. Ce sont deux concepts qui vont de pair et on a prouvé qu’on peut faire les deux. Nos rendements au Québec sont très bons. »

Est-ce que la Caisse, avec ses 325 milliards d’actifs, pourrait en faire plus ? « On peut toujours faire mieux », estime-t-il. Par exemple ? « Hausser nos ambitions. Il y a des entreprises d’ici qui pensent à aller à l’international. On peut aller au-devant. »

Charles Émond se targue de bien connaître Québec inc., qu’il côtoie depuis 25 ans. « Même pendant que j’étais à Toronto, je suis toujours demeuré proche de ce qui se passait au Québec », assure-t-il.

Le nouveau patron de la Caisse arrive au moment où les risques de récession augmentent et que les marchés s’essoufflent. Aussi, son prédécesseur, Michael Sabia, a fait du bon boulot.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Michael Sabia

Ça va être plus difficile pour la Caisse de livrer des rendements à la hauteur des attentes de ses déposants, convient-il.

« Au cours de la dernière décennie, il y a eu des vents de dos qui ont aidé. Il va falloir travailler très fort. Les actifs sont très chers et les taux sont très bas, mais on prend ça une année à la fois. »

Les employés de la Caisse de dépôt n’ont pas à s’inquiéter. Leur nouveau patron n’a pas l’intention de tout chambouler et il veut leur donner plus de responsabilités. « Les orientations qu’on a sont les bonnes et l’objectif demeure de faire mieux que les indices de référence », dit-il.

Les chantiers de Charles Émond

Le rendement

Le principal défi du nouveau président sera de générer les rendements les plus élevés possible. « La Caisse a profité d’un momentum extraordinaire et indéniable au cours des 10 dernières années », dit Grégoire Baillargeon, directeur général et co-chef de BMO Marchés des capitaux. Il faut pouvoir maintenir le « momentum » dans un cycle économique qui devient plus incertain, selon lui.

Claude Garcia, qui a été membre du conseil d’administration de la Caisse, croit que la nouvelle administration a tout intérêt à suivre la route tracée par Michael Sabia, qui a réduit le niveau de risque global du portefeuille de placement. « Il y a encore des rendements très intéressants à aller chercher, notamment dans les investissements liés aux changements climatiques, dit-il. C’est la plus grande opportunité d’investissement actuellement. Il s’agit pour la Caisse de pouvoir la saisir. »

La performance de la Caisse demeure « améliorable », selon Luc Bernier, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public. « Les résultats n’ont pas été si éblouissants que ça depuis cinq ans. On peut mieux faire », estime-t-il.

Le Réseau express métropolitain

Le projet de train piloté par la Caisse de dépôt ne roule pas comme prévu. Le nouveau président devra en faire une priorité, car la réputation de l’organisation est en jeu. Il devra par exemple s’assurer de la collaboration du responsable du REM, Macky Tall, qui était lui aussi pressenti pour succéder à Michael Sabia.

« N’importe quel leader est aussi bon que l’équipe autour de lui. Il lui faudra s’assurer d’être capable de rallier les principaux joueurs à l’interne à la Caisse, notamment Macky Tall, un homme de grand talent. Il est important que Charles puisse s’assurer qu’il est bien entouré et que le processus de sélection n’a pas divisé l’équipe », dit Nicolas Marcoux, PDG de PwC Canada, qui connaît Charles Emond depuis plus de 20 ans.

Aider l’économie du Québec

La Caisse est un poids lourd qui a pratiquement le droit de vie ou de mort sur des fleurons de l’économie du Québec actuellement en difficulté, comme Bombardier ou SNC-Lavalin. Quoi qu’elle fasse, elle sera toujours critiquée à cet égard.

« Il y a eu des décisions qui ont pris par la suite une valeur symbolique, qui n’allaient pas dans le sens du développement du Québec, comme la vente de Rona et celle ne pas exiger de contenu local pour les voitures du REM », souligne Nicolas Marceau, ex-ministre québécois des Finances et professeur de sciences économiques à l’UQAM.

Recruter et conserver l’expertise

Jean-Claude Scraire, qui a été président de la Caisse de dépôt de 1995 à 2002, salue la nomination d’un président qui a une connaissance « interne » de l’organisation. « Cela permet de poursuivre l’action en évitant la longue période d’incertitude qui accompagne la période d’apprentissage que doit vivre une personne arrivant de l’extérieur dans une institution aussi unique », estime-t-il.

Un des objectifs du nouveau président devrait être le recrutement de talents québécois. « Il serait souhaitable que la Caisse — avec son nouveau PDG — compte dans ses objectifs le développement de plus de Québécois et de Québécoises dans son personnel spécialisé. Il est tout à fait possible d’être une grande entreprise de classe mondiale et de contribuer au développement d’un plus grand nombre de Québécois comme spécialistes de l’investissement ».

Verdir le portefeuille

Comme tous les autres gestionnaires de fonds, la Caisse de dépôt fait face à des pressions croissantes pour se retirer du secteur des énergies fossiles. L’ancienne administration s’est engagée à diminuer de 25 % l’intensité en carbone de son portefeuille d’ici 2025 et à devenir carboneutre d’ici 2050. « Il est de la responsabilité du nouveau président de garder le cap sur ces objectifs », estime Diego Creimer, porte-parole de la coalition Sortons la Caisse du carbone.

La Caisse n’a pas voulu s’engager à éliminer complètement les énergies fossiles de son portefeuille, « mais tout porte à croire qu’elle est sur la bonne voie », dit-il.

 – Avec Richard Dufour et André Dubuc, La Presse