(Saint-Jean) Le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador souhaitent s’allier pour approvisionner en hydroélectricité toutes les provinces de l’Atlantique — surtout le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, qui possèdent encore des centrales au charbon.

Lors de sa première visite dans la province en tant que premier ministre, François Legault s’est joint lundi matin à la rencontre de ses homologues des quatre provinces de l’Atlantique, à Saint-Jean, Terre-Neuve-et-Labrador. Cette rencontre était justement consacrée à la demande en électricité dans toute la région.

François Legault et son homologue Dwight Ball n’ont pas précisé de solution hydroélectrique particulière, mais le premier ministre québécois a évoqué la possibilité que le Canada atlantique s’approvisionne en électricité à partir de l’énergie hydraulique du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador — deux provinces qui, historiquement, se disputent ce marché.

« On a convenu, au cours des prochains mois, de travailler ensemble à bien évaluer les besoins de chaque province et à bien évaluer différents scénarios pour fournir de l’hydroélectricité, entre autres au Nouveau-Brunswick et à la Nouvelle-Écosse, et ça suppose dans certains cas la construction de lignes de transmission », a indiqué M. Legault lors d’une conférence de presse commune avec M. Ball.

« On pense que c’est bon pour l’environnement, c’est bon pour réduire les GES mais c’est aussi bon économiquement pour nos cinq provinces, dans le fond […] On ne vient pas ici en voulant tout contrôler, on veut vraiment regarder différents partenariats pour travailler sur des scénarios ensemble. »

Pour assurer cet approvisionnement régional, M. Legault a cité les ressources hydroélectriques du Québec, avec de nouveaux projets, mais aussi les capacités de Terre-Neuve : la future production du barrage de Muskrat Falls, actuellement en construction, et le « très, très intéressant » projet de barrage à Gull Island, tous deux au Labrador.

« Je demeure convaincu que c’est possible de faire des nouveaux projets, que ce soit au Québec ou au Labrador, avec Gull Island, à des coûts qui sont très compétitifs avec toutes les autres formes d’énergie, et en plus c’est de l’énergie propre, a-t-il dit. Je pense qu’on devrait donner l’exemple (au reste du pays), et en plus, on a un gouvernement fédéral qui offre de l’aide pour financer des lignes de transmission » pour de l’« énergie propre ».

M. Ball a d’ailleurs indiqué que la question du transport d’électricité dans toute la région devait d’abord être abordée avant de choisir une solution spécifique. Il a aussi rappelé que d’autres sources d’énergie propre existent actuellement, comme l’éolien de la Nouvelle-Écosse. « Il ne fait aucun doute que la capacité (de production) peut exister […] mais nous avons besoin d’abord de cette capacité de transmission, quelle que soit la solution potentielle qui puisse être identifiée », a-t-il dit.

La pilule amère de Churchill Falls

Les ressources hydroélectriques constituent une pomme de discorde entre les deux provinces depuis l’accord de Churchill Falls, conclu en 1969, qui offre beaucoup plus d’avantages financiers au Québec qu’à Terre-Neuve-et-Labrador. Les deux premiers ministres ont indiqué lundi que les pourparlers en cours n’impliqueront pas de renégocier cet accord de Churchill Falls, qui expirera en 2041.

M. Legault a toutefois promis que les deux provinces devraient cette fois sortir également gagnantes d’un éventuel partenariat sur l’hydroélectricité. Et « 20 ans, c’est presque le temps que ça prend pour construire des nouvelles installations », a-t-il souligné.

Interrogé sur la méfiance des Terre-Neuviens face à Hydro-Québec, M. Legault a estimé qu’il ne fallait pas tenter de réécrire l’histoire : « Le Québec, il ne faut pas l’oublier, a perdu le Labrador en 1927, donc beaucoup de Québécois encore ne l’ont pas digéré. »

« Je comprends que des gens à Terre-Neuve-et-Labrador ne sont pas contents du “deal » sur Churchill Falls. C’est un bon « deal” pour le Québec, aujourd’hui, avec les yeux d’aujourd’hui, mais à l’époque, c’était un risque qui a été pris beaucoup par le Québec — dans Churchill Falls, le Québec détient déjà 34 % des actions », a rappelé le premier ministre Legault.

Muskrat Falls : gouffre financier

Terre-Neuve-et-Labrador est déjà confrontée au défi imminent de payer pour le surplus d’électricité produite par le barrage de Muskrat Falls, qui a dépassé les coûts de construction — cela représente maintenant environ le tiers de la dette considérable de la province. Le barrage transmettra de l’électricité vers l’île de Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse par le biais de câbles sous-marins.

Alors que le barrage, actuellement évalué à 12,7 milliards, est sur le point d’être achevé, les contribuables de cette province d’environ 520 000 personnes sont aux prises avec le coût du projet, qualifié par le premier ministre Ball de plus grande erreur économique de l’histoire de la province.

PHOTO ANDREW VAUGHAN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La construction du barrage de Muskrat Falls

Énergie NB et Hydro-Québec ont par ailleurs signé la semaine dernière une entente qui prévoit la vente de plus d’électricité du Québec au Nouveau-Brunswick au cours des deux prochaines décennies. M. Legault a soutenu lundi que cette entente est relativement mineure en termes d’excédent hydroélectrique du Québec, et il a éludé les questions selon lesquelles Terre-Neuve-et-Labrador venait de perdre une occasion de vendre ses surplus d’électricité.

M. Legault a quitté Saint-Jean après la réunion de lundi matin ; les premiers ministres de l’Atlantique devaient rencontrer en après-midi la ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes Chrystia Freeland.

Le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, participe à la rencontre par visioconférence : le mauvais temps dans sa province a cloué son avion au sol lundi matin. La semaine dernière, il disait vouloir parler avec Mme Freeland de l’accord canado-américain sur le bois d’œuvre. M. Higgs fait pression pour que le Nouveau-Brunswick soit exempté des tarifs imposés sur le bois d’œuvre résineux canadien exporté aux États-Unis.