Un nouveau stade ? Des Expos à temps plein ou à temps partiel ? Il y a fort à parier que le retour éventuel des Expos continuera d’alimenter les supputations en 2020. Mais les Expos auraient-ils un impact positif sur l’économie québécoise ? Ce n’est pas si évident.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Stephen Bronfman

Stephen Bronfman estime que ses Expos (ou Expos-Rays, en cas de garde partagée avec Tampa Bay) créeraient des centaines de nouveaux emplois à temps plein, et plus d’un millier à temps partiel. La Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) parle de « vaste éventail de retombées », tandis que l’ex-premier ministre Lucien Bouchard, le banquier Louis Vachon et le PDG du Cirque du Soleil Daniel Lamarre pensent qu’une équipe du baseball « pourrait procurer des retombées significatives pour Montréal et le Québec ».

Mais à en croire plusieurs économistes spécialisés en la matière, il y aurait zéro impact économique net.

En fait, s’il y avait un impact, il serait même négatif, soutient l’économiste américain et auteur en 1997 de Sports, Jobs and Taxes, Roger Noll, dans un entretien avec La Presse. Professeur émérite à l’Université Stanford, il étudie l’impact économique des équipes professionnelles depuis des décennies.

> Consultez l’étude de Roger Noll et Andrew Zimbalist (en anglais)

Un impact négatif ? C’est que 95 % des spectateurs et des partisans proviennent de la ville hôtesse de l’équipe. Ils dépensent donc leur argent pour encourager une équipe qui consacre environ la moitié de ses revenus à payer ses athlètes. Des athlètes qui, pour la très grande majorité, ne résident pas dans la ville et qui conserveront la majeure partie de cet argent pour le dépenser ailleurs (dans leur ville de résidence), et plus tard au cours de leur vie. Une partie importante de l’argent dépensé par les partisans de l’équipe sort donc de l’économie de la ville par l’entremise des athlètes. 

Cette fuite [d’argent] n’est pas compensée. C’est pourquoi la plupart des fois où l’impact économique d’une équipe de sport professionnel a été mesuré, il a été très légèrement négatif. Quand une équipe arrive ou déménage, il n’y a pas d’impact sur l’emploi ou le revenu.

Roger Noll, économiste américain

Une autre étude publiée en 2016 par les économistes Austin Drukker et Ted Gayer arrive aux mêmes conclusions. « Les études [depuis 20 ans] concluent de façon constante qu’il n’y a pas de lien perceptible positif entre la construction d’un stade sportif et le développement économique local, la croissance du revenu ou la création d’emplois. […] Il n’y a pas de preuves que de nouvelles équipes amènent de la croissance [économique] », écrivent-ils.

Consultez l’étude d’Austin Drukker et Ted Gayer (en anglais)

Pourquoi n’y a-t-il pas de retombées économiques nettes ? Parce que l’amateur de baseball dépenserait son argent ailleurs en ville s’il n’y avait pas d’équipe, affirme M. Noll. Philip Merrigan, professeur d’économie à l’UQAM et spécialiste de l’économie du sport, est du même avis.

Et si l’amateur de baseball dépensait son argent au restaurant, au théâtre ou à l’Orchestre symphonique de Montréal, son « dollar loisir » aurait davantage d’impact économique, car les employés habitent dans la ville, les propriétaires sont souvent locaux. « L’argent consommé dans les restos va [en grande partie] à des Québécois », souligne M. Merrigan.

En 2013, une étude de la firme EY pour la CCMM et un groupe de gens d’affaires (dont Stephen Bronfman) concluait qu’une équipe du baseball majeur à temps plein générerait des retombées économiques de 96 millions par an au Québec, dont 79 millions par année à Montréal, et qu’elle créerait 1425 emplois. Sans compter la construction du stade, qui créerait des retombées de 390 millions et 1539 emplois sur trois ans.

Pour le projet d’une équipe partagée entre Tampa Bay et Montréal, le groupe de M. Bronfman n’a pas donné de chiffres précis en matière d’impact économique, parlant plutôt de création d’emplois. « La construction du stade entraînera la création de nombreux emplois liés à la construction. L’exploitation des installations devrait aussi se traduire par la création de plus d’une centaine de nouveaux emplois permanents, et l’ajout de près d’un millier d’employés à temps partiel lors de chacun des matchs, ainsi que lors des autres événements importants qui y seront présentés », a indiqué le groupe de M. Bronfman lors de sa présentation devant l’Office de consultation publique cet automne.

Le groupe de M. Bronfman a décliné notre demande d’entrevue sur les retombées économiques du projet.

20 épiceries Metro

Pour expliquer son impact réel en matière d’emplois et d’activité économique, Roger Noll compare une équipe de sport professionnel à… une chaîne d’épiceries. À titre d’exemple, les revenus annuels des Rays de Tampa Bay (304 millions CAN en 2018) sont l’équivalent du chiffre d’affaires d’une vingtaine d’épiceries Metro1.

Les équipes de sport professionnel font beaucoup de bruit [en raison de leur popularité auprès des partisans], mais elles ne sont pas de grands employeurs [en matière d’emplois locaux], généralement quelques centaines d’emplois.

Roger Noll, économiste américain

« Il y a quelques personnes [sur le plan administratif] dans le siège social, mais [lors des matchs], ce sont généralement des emplois faiblement rémunérés », assure le professeur Philip Merrigan.

5 % des spectateurs viennent de l’extérieur

Le seul impact économique réel d’une équipe de sport professionnel vient des touristes qui viennent en ville pour voir un match — souvent des partisans de l’équipe adverse.

Aux États-Unis, moins de 5 % des spectateurs proviennent de l’extérieur de la région métropolitaine élargie, explique Roger Noll. 

L’étude d’EY en 2013 prévoyait une assistance moyenne de 28 500 spectateurs aux matchs des futurs Expos. Moins de 5 %, ça veut dire moins de 1425 touristes étrangers par match pour des dépenses de billets de 6,8 millions par année. Dans le cas d’une équipe partagée, cette somme passe à 3,4 millions, de laquelle Ottawa et Québec récolteraient environ 513 000 $ par an en taxes à la consommation. 

Les retombées touristiques liées à l’hôtel et aux autres dépenses ne sont toutefois pas comptabilisées. 

Pour qu’ils [les touristes] aient un impact économique réel, il faut qu’ils couchent dans la ville, pas qu’ils viennent et repartent en voiture.

Roger Noll, économiste américain

IMAGE FOURNIE PAR ETIENNE COUTU

Le bassin Peel est le terrain choisi par le groupe de Stephen Bronfman pour y construire un stade de baseball à Montréal.

L’économiste Philip Merrigan est plus optimiste pour les éventuels Expos, même à temps partagé. Selon lui, l’équipe pourrait attirer jusqu’à 10 % de touristes dans son stade en raison de la proximité du nord de l’État de New York et du Vermont, où le baseball est populaire. Ce qui donnerait jusqu’à 104 000 touristes par demi-saison, dans le cas d’une équipe Montréal-Tampa.

Tourisme Montréal appuie le retour des Expos à Montréal, estimant qu’il « ne fait aucun doute qu’un match de baseball ajoute à l’attractivité estivale de notre ville », notamment auprès des touristes du Québec, de l’Ontario, du Vermont et de l’État de New York. L’organisme touristique n’est pas en mesure d’estimer le nombre de touristes qui viendraient voir les Expos.

L’étude d’EY en 2013 avait estimé les retombées touristiques à 16,5 millions2 par an pour Montréal pour une équipe à temps complet. Comment en arrive-t-on à cette conclusion ? Le groupe de Stephen Bronfman (dont plusieurs des membres avaient financé l’étude) n’a pas souhaité donner davantage de détails sur ce point.

« L’étude réalisée par EY en 2013 a été commandée par la CCMM pour évaluer la faisabilité globale du retour de la MLB à Montréal. Celle-ci visait à évaluer la viabilité initiale du projet et à mobiliser la communauté des affaires pour les étapes subséquentes. En 2013, les hypothèses ont été bien documentées, évaluées et communiquées, toutefois, comme pour toutes études semblables, ces hypothèses ne demeurent valables que pour une certaine période de temps. Six ans plus tard, ces hypothèses ne sont plus d’actualité, sans oublier le fait que le projet actuellement envisagé n’était pas considéré à l’époque », indique par courriel le groupe de M. Bronfman.

Si certains partisans des Red Sox faisaient le voyage à Montréal pour encourager leurs favoris, le contraire serait aussi vrai : certains Montréalais iraient dépenser leur argent à Boston pour voir les Expos au Fenway Park. Ce qui annulerait une partie des gains économiques des touristes qui viendraient voir les Expos.

Une équipe de sport professionnel apporte aussi de la visibilité internationale à une ville, mais cette visibilité est difficilement quantifiable en matière de tourisme et de retombées touristiques.

1. Selon la moyenne du chiffre d’affaires des épiceries et pharmacies de Metro en 2017, avant l’acquisition du Groupe Jean Coutu.

2. La Presse a pris les projections de l’étude d’EY en 2013 : 28 500 spectateurs par match, avec un coût moyen du billet de 50,39 $. Nous avons utilisé une hausse annuelle de 3 % du prix du billet, de sorte que le billet moyen coûte 60,17 $ en 2019.