Les producteurs de lait de chèvre du Québec ne peuvent répondre à la demande. La pénurie qui sévit depuis le début de l’année oblige l’un des principaux transformateurs, la Laiterie Chalifoux, à réduire sa production de fromage de chèvre, ce qui, en conséquence, nuit aux ventes de l’entreprise.

« Nous manquons de lait de semaine en semaine, confirme Marie-Philippe Raymond, chef de marque pour la Maison Riviera, la marque de produits commercialisés par Chalifoux. Nous avons posé plusieurs questions puisque les livraisons sont sous la barre de nos bases contractuelles. Nous avons reçu comme réponse que l’industrie faisait face à une pénurie ponctuelle. »

« Nous subissons les contrecoups de cette pénurie. Nous avons réduit notre production de fromage de chèvre, et donc nos ventes », ajoute-t-elle.

Le bloc de cheddar Riviera au lait de chèvre destiné au rayon des produits laitiers des supermarchés ou des épiceries fines est donc fabriqué en moins grande quantité. Mme Raymond a toutefois refusé de chiffrer cette baisse.

Production en baisse

Au cours de la dernière année, sur un total de 60 producteurs de lait de chèvre qui fournissaient les principaux transformateurs (Chalifoux, Saputo, Agropur, Liberté), près d’une dizaine ont abandonné le navire. D’autres ont décidé de réduire leur production, de vendre aux États-Unis ou encore de signer des ententes avec des fromageries artisanales.

On manque de lait de chèvre pour répondre à la demande.

Christian Dubé, président des Producteurs de lait de chèvre du Québec (PLCQ)

Pourquoi ? À pareille date l’an dernier, les producteurs caprins du Québec étaient littéralement plongés dans l’incertitude puisque trois des principaux acheteurs – Saputo, Liberté et Agropur – ne s’étaient toujours pas engagés à s’approvisionner auprès des producteurs québécois pour l’année 2019. L’Ontario, première province productrice au pays, où le prix du lait de chèvre est de 5 % à 10 % moins élevé qu’au Québec, est un marché attrayant pour ces entreprises, souligne Christian Dubé. À noter que la Belle Province se classe au deuxième rang en volume de production au pays. Pour ajouter aux difficultés, pendant cette même période, Agropur avait également annoncé son intention de fermer son usine Damafro de Saint-Damase, seul établissement où l’entreprise produit du fromage de chèvre.

Les acteurs les plus importants ont finalement décidé de s’approvisionner auprès des cheptels québécois et la fermeture de l’usine a été repoussée à deux reprises. Récemment, Agropur a annoncé qu’elle demeurerait ouverte jusqu’en mars 2020. Les producteurs ont pour leur part consenti à une baisse du prix de leur lait : une diminution de 2,5 % pour 2019 et une autre baisse de 2,5 % pour 2020.

Malgré tout, pour l’année à venir, l’inquiétude se fait toujours sentir. Il est impossible de savoir si les principaux transformateurs achèteront le lait de la Belle Province pour 2020. Ceux-ci ont jusqu’au 1er novembre pour passer leur commande. Contactés par La Presse, ils ont été avares de commentaires à ce sujet. Seule la Laiterie Chalifoux s’est engagée en ce sens. « On s’approvisionne depuis le tout début auprès du cheptel caprin québécois et il est de notre intention de continuer ainsi », assure Marie-Philippe Raymond.

Un plan B

Les coups durs de la dernière année semblent avoir laissé des traces chez certains producteurs. Sylvia Maegerli, copropriétaire d’une chèvrerie située à Saint-Wenceslas dans le Centre-du-Québec, admet sans détour qu’elle aura du mal à combler les besoins des gros transformateurs.

Ç’a été tard [l’an dernier] avant qu’on sache s’ils nous achetaient du lait.

Sylvia Maegerli

Devant cette incertitude, la productrice a signé des contrats avec deux fromageries artisanales, dont la Fromagerie du Vieux Saint-François à Laval, qui lui achète 2400 litres de lait par semaine. L’Atelier fromagerie, à Warwick, vient de son côté chercher 1500 litres de lait sur une base hebdomadaire. « Les autres [les transformateurs] n’en voulaient plus », affirme Mme Maegerli pour expliquer sa décision de se tourner vers d’autres clients.

À la Ferme Caprijol, située à Saint-Gervais, dans la région de Chaudière-Appalaches, Jean-Philippe Jolin et Marie-Pier Nadeau ont quant à eux décidé de se lancer dans la vente directe en ouvrant, en juin dernier, un kiosque à leur ferme. Ainsi, ils envoient leur lait à la Fromagerie du Terroir, où il est transformé en fromage à pâte ferme non affiné. Les producteurs le vendent ensuite aux clients qui se pointent chez eux.

« Pendant quelques semaines l’année passée, on s’est demandé si on ne mettrait pas une pancarte “À vendre” », confie M. Jolin. La mise en place du kiosque a redonné espoir au couple qui souhaiterait éventuellement commercialiser son fromage un peu partout au Québec.

D’ici là, les PLCQ tenteront de recruter plus de membres en essayant de convaincre des agriculteurs de se lancer dans la production de lait de chèvre. « Il faut absolument qu’on soit concurrentiels avec l’Ontario, affirme M. Dubé. Ces grands joueurs-là [les transformateurs] peuvent s’approvisionner des deux côtés. »

Quelques chiffres

90 %
Proportion du lait de chèvre produit au Québec acheté par les transformateurs (2015)

43,2 millions de litres
Quantité de lait de chèvre produit en Ontario (2015)

11,5 millions de litres
Quantité de lait de chèvre produit au Québec (2015)

Source : Portrait-diagnostic sectoriel de l’industrie caprine au Québec, ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ)