(Washington) Déjà sous le coup des attaques incessantes de Donald Trump, le patron de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, fait aussi face désormais à une solide opposition au sein de l’institution, reflet des paradoxes de la conjoncture américaine.  

La décision, annoncée mercredi, de baisser légèrement les taux directeurs pour la deuxième fois en deux mois a été prise par sept voix seulement, contre trois.

Un tel degré de division au sein de la plus haute instance monétaire du pays n’était plus apparu depuis trois ans.  

Sous la présidence de Janet Yellen en septembre 2016 alors que les taux étaient à peine au-dessus de zéro, trois membres du Comité avaient voté contre la décision de les laisser en l’état.  

Auparavant, c’était Ben Bernanke, en 2011, et sa politique de soutien monétaire non-conventionnelle après la crise financière qui avait fait face à une telle fronde, trois membres du Comité craignant qu’il ne rallume l’inflation, ce qui ne s’est jamais produit.

Cette fois-ci, la décision entraînée par Jerome Powell de baisser les taux d’un quart de point de pourcentage pour garantir la croissance contre les incertitudes de la guerre commerciale et la morosité mondiale a été contestée des deux côtés de l’équation.  

D’un côté, deux présidents d’antennes régionales de la Fed - Esther George de la Fed de Kansas City et Eric Rosengren de celle de Boston - s’y sont opposés parce qu’ils pensent que l’économie américaine n’a pas besoin du stimulus d’une politique monétaire plus accommodante.

Ils craignent même que des taux plus bas, fixés juste en dessous de 2 %, n’accélèrent la course au rendement de la part des investisseurs et ne nourrissent une bulle financière.

Eric Rosengren, qui s’était déjà opposé à la baisse des taux de juillet-la première en plus d’une décennie-s’est notamment inquiété, vendredi dans un communiqué, qu’une baisse des taux « ne gonfle le prix des actifs et n’encourage les ménages et les entreprises à trop emprunter ».

De l’autre côté de l’échiquier, James Bullard, de la Fed de Saint Louis, aurait voulu, en revanche, une baisse des taux plus importante, d’un demi-point de pourcentage.  

« Le secteur manufacturier américain semble déjà en récession et les estimations concernant les probabilités de récession ont augmenté », a déclaré M. Bullard, qui préside l’antenne de la Fed dans une région agricole mais aussi manufacturière subissant l’impact des tarifs douaniers.  

Il y a quelques mois, M. Bullard avait, en outre, lâché au débotté que si le président américain, Donald Trump, lui demandait d’être patron de la Fed, il était disponible…

Schisme

Donald Trump, quant à lui, a définitivement rompu avec la tradition d’un respect de distance avec la Banque centrale et réagi sur tweeter quelques minutes après la décision monétaire mercredi.

Alors qu’il milite pour des taux à zéro, voire négatifs, pour faire baisser le dollar et remonter les exportations, il a traité Jerome Powell de « communiquant déplorable manquant de cran ».

Le schisme au sein du Comité promet de se poursuivre alors que la Fed se demande maintenant si elle doit continuer dans cette baisse des taux ou bien faire une pause.  

Sur les 17 participants au Comité-dont seulement 10 votent sur la politique monétaire-sept veulent encore une autre réduction du coût du crédit avant la fin de l’année, cinq pensent que les taux sont au bon niveau entre 1,75 % et 2 % et cinq autres estiment qu’ils n’auraient pas du bouger.

« Nous sommes dans une période où il est difficile de prendre position. Comme vous le voyez, il y a différentes perspectives et je pense que c’est sain », a assuré Jerome Powell lors de sa conférence de presse mercredi.

Richard Clarida, vice-président de la Fed, interrogé sur CNBC vendredi, a dédramatisé les dissensions en disant que la Fed avancerait désormais « au cas par cas, une réunion monétaire après l’autre », sans donner d’indice aux marchés sur quelle voie elle va prendre.

Cette opposition interne reflète les hautes incertitudes et les données mitigées que livre l’économie américaine.

Au rang des dégradations, les investissements des entreprises et les exportations battent de l’aile, montrant que les tensions commerciales et l’affaiblissement de la croissance mondiale pèsent sur l’industrie. De nombreux économistes craignent une récession dans les 12 à 18 mois, une opinion qui n’est officiellement partagée ni par ceux de la Fed ni par ceux du FMI.

Dans le même temps, l’inflation, qui s’entête à rester loin de la cible de 2 %, a semblé s’animer en août tandis que les créations d’emplois sont toujours solides, que l’immobilier rebondit et que les consommateurs dépensent.

Outre les dissensions, la Fed est aussi en butte à des tensions techniques sur le marché interbancaire, où les liquidités ne sont pas suffisantes. Ce casse-tête imprévu va lui faire injecter des dizaines de milliards de dollars tous les jours jusqu’au 10 octobre, a annoncé son antenne de New York vendredi.