(New York) Après les attaques ayant fait soudainement chuter la production d’or noir en Arabie saoudite, les sociétés américaines ne semblent ni préparées ni disposées à monter au créneau pour combler le vide.

Grâce aux nouvelles techniques d’exploitation du pétrole de schiste, les extractions de brut sont passées aux États-Unis de 5 millions de barils par jour (mbj) à plus de 12 mbj en tout juste 10 ans, le pays devenant au passage le premier producteur au monde. Il exporte désormais régulièrement plus de 3 mbj.

Pourquoi, dès lors, ne pas sauter sur l’occasion et gagner des parts de marché au détriment de l’Arabie saoudite, le temps que le royaume répare les dégâts causés par des attaques ayant réduit sa production de moitié, les extractions ne devant reprendre leur rythme habituel qu’à la fin septembre selon le ministre saoudien de l’Énergie mardi.

Pas si simple, répondent opérateurs et analystes.

Garder sous le coude la possibilité d’augmenter rapidement les extractions « signifie maintenir volontairement des champs de pétrole hors service jusqu’à ce que le marché ait besoin de leur production », remarque dans une note Jesse Mercer du cabinet spécialisé Enverus. « Ce n’est tout simplement pas comment fonctionne la production de pétrole de schiste aux États-Unis », ajoute-t-il.

Washington n’a pas son mot à dire. « La production américaine provient de centaines de milliers de puits individuels contrôlées par des centaines de sociétés privées et cotées en bourse », explique le spécialiste.

Faire grimper la quantité d’or noir disponible implique « d’augmenter les dépenses pour des plateformes, pour du personnel, pour les infrastructures […]. Rien de tout cela ne peut se décider du jour au lendemain ».

« Appuyer sur un bouton »

« On ne peut pas juste appuyer sur un bouton », a confirmé le patron du géant pétrolier Chevron, Michael Wirth, dans une entrevue à CNBC.

« Il faut plusieurs mois pour démarrer de nouveaux puits de forage », a-t-il remarqué. Surtout, « les fondamentaux du marché n’ont pas changé, et il est trop tôt pour évaluer les ramifications » des attaques sur le pétrole saoudien.

Même son de cloche pour Harold Hamm, le patron de la société de pétrole et gaz naturel Continental Resources.

« On veut répondre à la demande, c’est certain. Mais ce n’est pas une perturbation de court terme qui va bouleverser nos prévisions budgétaires pour l’année », a-t-il indiqué sur CNBC. « Pour l’instant on ne change rien. »

« Il y avait déjà des inquiétudes sur le marché à propos de la faiblesse de l’économie et d’une situation de surproduction en 2020. À court terme cela ne disparaît pas », souligne auprès de l’AFP R. T Dukes, spécialiste chez WoodMackenzie. Il faudrait selon lui des prix vraiment plus élevés pendant plus longtemps pour que les entreprises accélèrent leurs investissements.

La prudence est d’autant plus de mise que les petits exploitants de schiste font face depuis plusieurs mois à la pression croissante de leurs créditeurs et investisseurs pour limiter leurs dépenses et faire rentrer de l’argent.

Même ralentie, la croissance de la production d’or noir se poursuit aux États-Unis : elle s’établira à 13,01 mbj au premier trimestre 2020 contre 11,81 mbj sur la même période en 2019 selon l’Agence américaine d’informations sur l’énergie.

Avec la montée en puissance de nouveaux oléoducs, le pays a levé en partie un des freins majeurs à l’accélération de la production : le manque d’infrastructures permettant de transporter le brut depuis le bassin permien, une zone riche en pétrole de schiste à cheval entre le Texas et le Nouveau-Mexique, et la côte du Golfe du Mexique.

Toutefois, remarque Jesse Mercer d’Enverus, les capacités d’exportation depuis les ports du Golfe restent encore pour l’instant limitées à 4,5 mbj.

Il faudrait également prendre en compte selon lui le fait que la nature du pétrole de schiste est différente de celle du pétrole saoudien.

Si les producteurs de pétrole ne prévoient pas de doper tout de suite leurs dépenses d’investissement, ils devraient en revanche profiter de l’envolée des cours du brut, qui ont grimpé de 15 % lundi avant de reperdre 5 % mardi, pour augmenter un peu leurs marges et relever les prix auxquels ils se couvrent pour les livraisons à venir.