On n’a pas fini d’entendre parler du prix du porc. Tandis qu’il est abondamment soldé ces temps-ci dans nos supermarchés, Olymel prédit une flambée rapide des prix en cas de réouverture du marché chinois.

Pourquoi toutes ces aubaines sur le porc ?

La décision de la Chine, en juin, de ne plus importer de porc canadien a-t-elle des répercussions à la baisse sur le prix des côtelettes et du filet dans nos épiceries ? Une étude de la BMO croit que si, tandis que l’industrie met plutôt en cause les États-Unis.

Pas moins de 10 chaînes de supermarchés ont mis une coupe de porc ou une autre à la une de leur circulaire échue mercredi. Longe, escalopes, côtes levées de flanc, jarret, épaule… à peu près toutes les coupes étaient en solde quelque part.

Dans les circulaires entrées en vigueur jeudi, un moins grand nombre de détaillants mettent le porc en vedette en page frontispice. Mais il y a tout de même un bon nombre d’offres alléchantes, que ce soit chez Walmart, Super C ou Provigo. À la radio, on peut aussi entendre une publicité de Mayrand vantant le prix de son porc.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

De nombreuses coupes de porc sont mises en vedette dans les circulaires des supermarchés ces temps-ci.

Un expert en vente au détail chez BMO Marchés des capitaux, qui suit de près le prix des aliments de mois en mois, a observé de nombreux bas prix lors de sa dernière tournée des supermarchés. Et il montre directement la Chine du doigt.

« Nous avons constaté que la catégorie du porc connaissait une forte déflation annuelle, ce qui, selon nous, résulte des excédents de découpes du porc liés aux restrictions commerciales imposées par la Chine, l’un des plus importants marchés d’exportation du porc au Canada », a écrit Peter Sklar dans une note aux investisseurs, plus tôt cette semaine.

Rappelons que la Chine a invoqué des lacunes dans le processus de certification des produits canadiens pour mettre fin aux importations, en juin.

Aucun lien avec la Chine, dit Olymel

Or, cette hypothèse de la BMO serait erronée, selon le plus important transformateur de porc du Québec, Olymel.

« La vaste majorité des produits qui allaient en Chine ne se retrouvent pas dans les supermarchés du Canada. Il n’y a pas de compétition », explique Richard Davies, vice-président principal, ventes et marketing. Il donne l’exemple des pieds, des museaux et des oreilles, avant d’ajouter qu’il ne « voi[t] pas le jour où la Chine sera intéressée par le filet de porc ».

« Le flanc frais qu’on utilise pour faire du bacon n’a jamais intéressé les Chinois », poursuit le haut dirigeant.

À son avis, les prix actuels dans le marché sont plutôt dus au fait que l’offre intérieure a augmenté « de façon importante ».

La production au Canada est stable. Mais aux États-Unis, c’est en forte hausse de 5 à 6 % minimum depuis un an.

Richard Davies, vice-président principal, ventes et marketing d’Olymel

Ce « volume considérable » de porc additionnel qui se retrouve sur le marché s’explique aussi par la baisse des exportations en Chine vu l’imposition de nouveaux tarifs. Hier, Pékin a cependant annoncé une série d’exemptions de surtaxes douanières s’appliquant à certains produits agricoles américains, dont le porc.

Du côté de Maple Leaf, on a refusé de répondre aux questions de La Presse.

Aux Éleveurs de porcs du Québec, on croit que le surplus d’offre sur le marché nord-américain « peut potentiellement expliquer la déprime [des prix], mais c’est rare qu’il y ait une adéquation parfaite entre les prix aux éleveurs et les prix aux consommateurs ».

Cette augmentation de la production aux États-Unis, planifiée « depuis 18 à 24 mois », selon M. Davies, s’explique par l’anticipation d’une hausse de consommation, tant sur le marché local qu’international.

En avril, le Farm Journal’s Pork a écrit que le volume de production des États-Unis en 2019 devait bondir de 2,9 %, à 27,1 milliards de livres, et que la consommation par habitant devait « augmenter légèrement », à 51 lb.

L’explication des détaillants

IGA affirme pour sa part que « c’est une coïncidence » si de nombreuses coupes de porc sont mises en vedette dans sa circulaire ces temps-ci et que la Chine n’y est pour rien. L’enseigne souhaite promouvoir les produits du Québec, puisque l’épicier s’est engagé récemment à ne vendre que du porc élevé dans la province, note la porte-parole Anne-Hélène Lavoie.

En ce qui concerne les prix, IGA déclare qu’« en général [ils] ne sont pas plus bas » que d’ordinaire.

Du côté de Metro, on a préféré ne pas commenter « une situation d’une semaine », car « il n’y a rien d’anormal ».

Répercussions financières pour Olymel

L’impossibilité pour Olymel d’exporter en Chine lui occasionne de sérieux préjudices financiers, puisque les « marchés alternatifs » où l’entreprise écoule ses pièces de porc sont loin de payer le même prix. Ces pays, en Afrique et en Asie, s’intéressent aux produits offerts sur le marché par Olymel, mais « à des valeurs fortement réduites », confie Richard Davies, vice-président principal, ventes et marketing, sans dévoiler de chiffres. Olymel « n’accumule pas les produits » et cherche constamment « la deuxième meilleure option ». Dans certains cas, les produits sont vendus à des entreprises qui en font de la nourriture pour les animaux. Malgré les circonstances, le géant de l’abattage et de la transformation du porc ne peut acheter moins de bêtes pour alléger son fardeau. « Ils ont un engagement contractuel de prendre ce qui est produit par nos éleveurs. Il y a une convention de mise en marché », explique Merlin Trottier-Picard, porte-parole des Éleveurs de porcs du Québec.

La Chine fera exploser le prix du porc au Canada, prédit Olymel

PHOTO JASON LEE, ARCHIVES REUTERS

La Chine consomme 50 % de la production mondiale de porc.

L’éventuelle réouverture du marché chinois au porc canadien provoquera une hausse des prix « très importante » et rapide dans les supermarchés du Québec. Car l’empire du Milieu, qui consomme 50 % de la production mondiale de porc, subit les conséquences d’une grave épidémie de peste.

Si les prix du porc sont plutôt abordables en ce moment chez votre épicier préféré, la situation risque de changer du tout au tout le jour où le conflit entre la Chine et le Canada se réglera.

La planète ne peut pas fournir. Avec ce qui a été perdu en Chine [à cause de la peste porcine], il y a un déséquilibre de l’offre et de la demande.

Richard Davies, vice-président principal, ventes et marketing d’Olymel

Il rappelle que 40 % du cheptel chinois a été abattu, ce qui « représente 20 % de la production mondiale qui est disparue en 12-18 mois ».

Bref, fait valoir le dirigeant, « il y a un besoin fondamental de viande en Chine », de sorte que des coupes qui ne sont normalement pas achetées au Canada (car produites localement) commenceront à l’être. Un déséquilibre dans l’offre et la demande qui aura pour conséquence de faire bondir les prix.

« Beaucoup de nouvelles coupes seront expédiées en Chine. Des côtelettes, des épaules, de la saucisse, des fesses, des jambons. Dans tous ces produits-là, on va vivre de l’inflation très importante », prédit M. Davies.

« Folie furieuse » en Europe

L’appétit des Chinois pour le porc étranger a déjà des répercussions en Occident. « En Europe, c’est la folie furieuse. Les prix explosent à cause de la Chine qui cherche à s’approvisionner […] c’est du jamais vu », rapporte le dirigeant d’Olymel. Une situation qui heurte de plein fouet les transformateurs, notamment.

L’Agence France-Presse a rapporté cette semaine que les charcutiers français avaient poussé « un nouveau cri d’alarme au sujet de la flambée des cours du porc ». La Fédération des industriels charcutiers traiteurs (FICT) a dénoncé « les renégociations tardives et insuffisantes du premier semestre » avec les détaillants qui « ont affecté économiquement les entreprises de charcuterie ».

Selon la FICT, les exportations de viande de porc vers la Chine ont augmenté de 40 % au premier semestre 2019. Résultat, certaines entreprises françaises peinent à honorer les commandes et font des livraisons partielles ou en retard.

Le porc est la première viande consommée en France (33 kg par habitant par année). Les trois quarts de cette quantité sont dégustés sous la forme de charcuteries, un quart sous la forme de viande fraîche, rapporte le site français leporc.com. Au Canada (en 2017), la consommation est de 21,4 kg par personne.

Le genre de situation vécue dans l’Hexagone risque fort de se produire chez nous. Et cela, « une semaine » seulement après une éventuelle réouverture du marché chinois, prédit M. Davies, d’Olymel.