Après s’être envolé au début de l’année 2018, le prix du bois d’œuvre est retombé aussi vite dans les mois suivants. Aux prix actuels, les scieries québécoises, prises globalement, ne font pas leurs frais, étant donné qu’elles continuent d’absorber des tarifs douaniers américains de plus de 20 %. Que leur réserve l’avenir ?

La scierie Arbec de Port-Cartier a fermé temporairement ses portes le vendredi 23 août. Sa direction plaide des difficultés temporaires d’approvisionnement concernant le bois qui est acheminé à l’usine par train. On parle de 56 mises à pied pour une période indéterminée.

« Présentement, les prix ne sont pas à des bas historiques, mais ce ne sont pas des prix qui permettent à nos entreprises de générer des profits », dit au téléphone Michel Vincent, économiste du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ).

Il faudrait un indice Pribec autour de 500 $ les mille pieds-planche pour que l’industrie québécoise cesse d’essuyer des pertes. L’indice Pribec, qui représente un panier des plus beaux produits, souvent destinés à l’exportation, de nos scieries, se situe actuellement autour de 470 $.

Les coûts de production sont plus élevés au Québec qu’ailleurs en Amérique du Nord, en raison entre autres de la nature du bois, qui est plus petit que dans les autres régions. « Notre panier de produits a moins de valeur que dans les régions qui ont du plus gros bois », soutient M. Vincent.

« On n’a pas de fermetures ou de suspensions de production dans les cartes à ce moment-ci », indique Julie Paquet, directrice des communications d’Eacom, qui emploie 415 personnes au Québec dans trois lieux de production – deux scieries, à Val-d’Or et à Matagami, et une usine de deuxième transformation, aussi à Val-d’Or.

« On travaille sur notre compétitivité, poursuit-elle. On travaille sur nos coûts pour être plus efficace. On est en discussion avec le gouvernement au sujet du régime forestier et du coût de la fibre. On doit aussi absorber les tarifs à la frontière. »

« Ça n’aide pas la cause des compagnies canadiennes qui exportent du bois aux États-Unis. Déjà que les prix sont faibles, les compagnies voient 20 % de la valeur qui est coupée », renchérit Michel Vincent au sujet des tarifs américains.

À cet égard, le processus en est à l’étape de la révision administrative. Le nouveau taux devrait être connu en mars ou en avril prochain.

Le 28 août dernier, le comité sur la forêt de l’Union des municipalités du Québec exhortait les chefs des partis politiques fédéraux à expliquer ce qu’ils entendaient faire dans ce dossier et à annoncer le soutien qu’ils entendaient offrir aux entreprises touchées par le conflit commercial.

Malgré le contexte défavorable, la société Résolu, qui exploite 15 usines de produits de bois dans la province, ne prévoit pas de fermetures non plus jusqu’à nouvel ordre.

En début de saison, on a fait des arrêts de production dans deux de nos scieries du Saguenay–Lac-Saint-Jean. On est tombé à un quart de travail dans un cas et on a arrêté pour deux semaines dans l’autre. La production a repris son rythme normal depuis.

Karl Blackburn, porte-parole de Résolu

Chez Résolu, on souhaite aussi des modifications au régime forestier, entré en vigueur en 2013. Aux yeux de l’industrie, il a contribué à une augmentation du coût de la fibre de 20 à 30 % selon les régions. Une des raisons est la mise en place d’un système d’allocation du bois au moyen de mises aux enchères.

D’après le CIFQ, le Québec compte environ 200 scieries fonctionnant à longueur d’année et étant capables de produire au moins 5000 mètres cubes de bois.

Faiblesse des mises en chantier

Après avoir atteint des sommets inattendus au printemps 2018, le prix du bois d’œuvre est retombé aussi vite. La demande reste faible. Le nombre de mises en chantier aux États-Unis tarde à atteindre la moyenne historique en dépit de la robustesse de l’activité économique aux États-Unis.

Depuis 1959, la moyenne historique est de 1,43 million de nouveaux logements. Depuis 2017, le niveau annuel tourne autour de 1,2 million, mais la part des maisons unifamiliales est en baisse au profit des logements collectifs (locatifs ou en copropriété).

Or, une maison spacieuse consomme deux fois plus de bois qu’un logement dans un ensemble collectif, rapporte dans son blogue l’économiste Vincent Bouvet, de la Fédération des producteurs forestiers du Québec.

Lors du boom immobilier qui a précédé la grande récession de 2009, le niveau avait dépassé les 2 millions de mises en chantier en 2005.

Surcapacité

Selon le CIFQ, la chute des prix du bois d’œuvre depuis un an s’explique surtout par l’augmentation de l’offre puisque la demande est restée stable au cours de la période. « Il y a beaucoup de remises en production d’usines de sciage dans l’ouest des États-Unis et de projets de nouvelles scieries dans le sud-est. Ç’a beaucoup rajouté d’offre. On a un surplus de bois dans le marché et les prix s’effondrent », dit M. Vincent.

Dans les dernières semaines, la Colombie-Britannique a fermé plusieurs scieries, réduisant sa capacité de production de l’ordre de 17 %, estime Marc-André Côté, directeur général de la Fédération des producteurs forestiers. Une situation qui devrait aider à soutenir les prix du bois d’œuvre d’ici à la fin de l’année.

En ce qui a trait à ses membres, les ventes de bois rond des producteurs forestiers aux scieries sont en baisse de 10 % cette année en date du 31 juillet, indique-t-il.

Les milléniaux américains boudent les maisons

Les Américains âgés de 25 à 34 ans sont beaucoup moins enthousiasmés par le statut de propriétaire que les générations précédentes. Cette cohorte comptait 46 % de propriétaires en 2000. Ils ne sont plus que 38 % en 2016. L’écart représente 2,4 millions de maisons qui n’ont pas été construites. C’est l’équivalent de la production de deux années entières au rythme actuel, environ 1,2 million de mises en chantier (unifamiliales et logements collectifs réunis). Pourquoi ? L’économiste Vincent Bouvet, de la Fédération des producteurs forestiers, a creusé la question dans un blogue. Essentiellement, les jeunes adultes américains ont connu une baisse importante de leur pouvoir d’achat depuis la grande récession de 2009. En somme, le prix des maisons a progressé plus vite que leur revenu. Autre facteur expliquant la timidité des milléniaux à l’égard de la propriété : ceux-ci finissent leurs études postsecondaires endettés. La dette étudiante réelle moyenne par personne âgée de 24 à 35 ans a doublé depuis 2006, passant de 6000 $US à 15 000 $US.

Pris à la gorge, les jeunes adultes n’ont évidemment pas de marge de manœuvre pour amasser la mise de fonds requise pour l’acquisition d’une première propriété. Leur dette étudiante réduit aussi leur capacité à se qualifier pour un prêt hypothécaire. Selon M. Bouvet, il faudrait que la progression des salaires s’accélère aux États-Unis pour renverser la tendance, un scénario plausible considérant la vitalité du marché du travail si le pays ne tombe pas en récession.