Chaque année depuis 2014, la Chine perd quelques millions de travailleurs. La politique de l’enfant unique a plombé la démographie de l’empire du Milieu. De nombreux experts pensent que ce déclin de la main-d’œuvre plombera la croissance économique. Certains avancent même que la Chine se dirige vers un « piège du revenu intermédiaire ». Nos explications.

Pas assez d’enfants

PHOTO GREG BAKER, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

En 2018 en Chine, il y a eu 10 % moins de naissances qu’en 2017.

La politique de l’enfant unique a limité à un enfant la taille des familles à partir de 1979. Le taux de fertilité officiel est de 1,2 enfant par femme, mais de nombreux experts pensent qu’il est en réalité plus élevé parce que plusieurs parents ont caché la naissance d’un deuxième enfant (le taux est de 1,6 au Québec).

« On sait par exemple que le nombre d’enfants à l’école dans les années 2000 était 30 % plus élevé que le nombre de naissances 10 ans plus tôt », explique Nicolas Eberstadt, du groupe de réflexion du Washington American Enterprise Institute (AEI), qui a publié en janvier une étude sur l’impact des changements démographiques sur la croissance économique future de la Chine.

« Ça donnerait un taux de fertilité de 1,6 enfant par femme, ce qui cause un déclin de la population parce que la Chine n’accepte pratiquement aucune immigration. Mais certains démographes chinois pensent que le taux de fertilité est de 1,4 enfant par femme. À partir de 2015, la limite est passée d’un à deux enfants par famille et, l’an dernier, la Chine a enlevé ce plafond de deux enfants.

« Or, en 2018, il y a eu 10 % moins de naissances qu’en 2017.

« Le taux de fertilité dans les grandes villes comme Shanghai est parfois inférieur à un enfant par femme et il y a beaucoup de migration de la campagne vers les villes. Même dans les campagnes, les parents ne semblent pas vouloir absolument plus d’un enfant : il y a 10 ans, une expérience proposait aux habitants d’une zone rurale prospère près de Shanghai d’avoir un deuxième enfant sans pénalité, mais seulement le tiers a accepté l’offre. »

Moderniser l’économie

PHOTO LEE JIN-MAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La croissance économique sera de 3 % en 2025.

La croissance économique chinoise dépassait jusqu’à tout récemment 10 % par année. Elle se situe maintenant à 6 % par année, et Nicolas Eberstadt pense qu’elle baissera à 3 % d’ici 2025. 

« Si le taux de fertilité est réellement à 1,6 enfant par femme, et si le gouvernement réussit à transformer l’économie pour qu’elle dépende davantage de la demande intérieure que des investissements en infrastructures, la Chine parviendra à maintenir une croissance de 3 % pendant plusieurs décennies, dit M. Eberstadt. C’est la fin de la croissance héroïque. »

Selon les statistiques officielles, le nombre de Chinois de 15 à 64 ans a brièvement dépassé 1 milliard en 2014, avant de décliner à 995 millions l’an dernier. Le magazine financier chinois Caixin, qui utilise plutôt une catégorie allant de 16 à 59 ans, rapporte une baisse encore plus rapide, de 925 à 897 millions de travailleurs entre 2011 et 2018.

La stratégie gouvernementale de développer les zones centrales, moins industrialisées que les côtes, permettra-t-elle de limiter les pertes de main-d’œuvre ? « J’en doute, dit M. Eberstadt. Le taux d’activité partout en Chine est comparable à celui des pays riches. Je ne pense pas qu’il existe un réservoir d’adultes sous-utilisés. »

Carte soleil et RRQ

PHOTO BRENT LEWIN, ARCHIVES BLOOMBERG

D’ici 2040, la proportion de personnes âgées va doubler à 25 % en Chine.

Le vieillissement de la population obligera l’empire du Milieu à gonfler ses dépenses en santé et en pensions de retraite. « Depuis quelques années, le système de santé et les retraites sont devenus plus universels, même si les prestations en milieu rural sont encore très limitées », explique Victor Shih, économiste de l’Université de Californie à San Diego (UCSD) qui a publié nombre d’études sur la dette publique et l’évolution des dépenses publiques de la Chine. 

« D’ici 2040, la proportion de personnes âgées va doubler à 25 % en Chine. Les dépenses publiques vont exploser. Le Japon et la Corée du Sud étaient beaucoup plus riches quand elles ont atteint une telle proportion de personnes âgées.

« Il est fort possible que la Chine soit coincée dans un “piège de revenu intermédiaire” [middle income trap] parce qu’elle ne pourra plus stimuler son économie en développant ses infrastructures. Ou alors la dette, qui dépasse déjà 300 % du PIB, va exploser et ça va créer une inflation galopante comme en Argentine. Le Japon peut continuer à emprunter sans inflation parce qu’il est déjà riche, mais je ne suis pas sûr que ça soit possible à un niveau de revenu comme celui de la Chine. »

Une autre possibilité est que la Chine emprunte une voie « darwinienne » et ne s’occupe presque pas de ses personnes âgées. « Ce serait une tragédie, mais c’est envisageable dans une société où le contrôle social par l’État est très fort », avance M. Eberstadt, de l’AEI.

Famille et décentralisation

Je pense que la seule manière pour la Chine de faire face aux problèmes démographiques actuels est de desserrer le contrôle par le Parti communiste. Je vois de l’espoir dans la renaissance récente des réseaux d’affaires basés sur les familles élargies, qui avaient été pratiquement détruits par le Parti entre 1950 et 1980.

 Klaus Mühlhahn, sociologue

Quelques chiffres

21 % Pourcentage des appartements urbains en Chine inhabités, car acquis comme investissement
36 % Pourcentage de la consommation intérieure dans le PIB chinois en 2010
58 % Pourcentage de la consommation intérieure dans le PIB canadien en 2018
30 % Pourcentage des prêts bancaires allant aux entreprises d’État en Chine en 2013
80 % Pourcentage des prêts bancaires allant aux entreprises d’État en Chine en 2018
Sources : The Economist, AEI, UCSD, Université de Caroline du Nord, Université d’Ottawa