Comment expliquer à la fois les gilets jaunes en France, les cabanes à cigarettes de Kahnawake et le mouvement pour la taxation des boissons sucrées ? La science économique nous aide à y voir plus clair grâce au concept de l’élasticité-prix de la demande.

Une question de sensibilité

Pour Luc Vallée, économiste en chef de l’Institut économique de Montréal (IEDM), l’élasticité-prix est synonyme de sensibilité des consommateurs à une variation du prix, sensibilité qui s’exprime en pourcentage.

Par exemple, on dit d’un bien qu’il est inélastique lorsque la demande pour ce bien fluctue de moins de 10 % à la baisse à la suite d’une augmentation de prix de 10 %.

En vertu du principe de l’offre et de la demande, la demande pour un bien diminue à mesure que son prix augmente et vice versa. Pour la majorité des biens, la demande est élastique par rapport au prix. Mais il y a des exceptions.

Capacité d’adaptation

Quand un bien répond à un besoin essentiel ou quand ce bien peut difficilement être remplacé par un autre à court terme, il y a de fortes chances que la demande pour ce bien soit inélastique par rapport au prix.

Élastique ou inélastique ?

Inélastique : 

Essence

Tabac

Sel

Cannabis

Viande

Médicaments

Élastique : 

Boissons sucrées

Cinéma

Logement

Repas au restaurant

Voyages aériens

Essence : - 2,4 %

Selon les estimations du modèle pour la période se situant entre 2004 et 2007, une hausse de 10 % du prix de l’essence entraînerait une diminution de la consommation de 2,4 % en moyenne.

Études économiques, fiscales et budgétaires, ministère des Finances du Québec, 2008

Une caractéristique modulable

L’élasticité de la demande pour un bien varie dans le temps. Un bien peut être inélastique à court terme, mais devenir élastique à long terme. Si l’essence passe à 2 $ le litre demain matin, je ne peux pas faire autrement que de mettre la main à ma poche pour me rendre au travail à partir de la banlieue. À long terme, par contre, je peux choisir de rouler dans un véhicule électrique.

Et les gilets jaunes ?

Cela nous amène à parler du phénomène des gilets jaunes en France, où l’essence se vend à 2,26 $CAN le litre. Les gilets jaunes ont une élasticité faible par rapport au carburant, nous explique M. Vallée. « Quand les prix augmentent, ils ne peuvent pas réduire leur consommation d’essence, car ils sont dépendants de la voiture pour aller travailler. Comme ils ne peuvent diminuer leur consommation en réaction à l’augmentation du prix parce que leur demande est inélastique, ils sortent dans la rue pour protester. »

Candidates idéales aux taxes

« Pour récolter des revenus, il vaut mieux pour les gouvernements taxer des biens dont l’élasticité-prix est faible, dit Philippe Barla, directeur du département d’économique de l’Université Laval. Plus vous taxez un produit dont la demande est très élastique, plus l’augmentation de prix va faire en sorte que vous perdrez votre base de taxation, puisque les gens vont aller vers un autre produit. »

Cabanes à cigarettes

Le tabac est un autre exemple de ces biens inélastiques ayant longtemps servi de vache à lait aux gouvernements. Les gens, accros à la nicotine, vont griller des cigarettes même si le prix augmente à cause des taxes… jusqu’à un certain point. À mesure que le prix augmente, la demande devient de plus en plus élastique alors que les consommateurs cherchent des substituts. « Dans le cas du tabac, explique le professeur Philippe Barla, le marché substitut, c’est le marché illégal qui échappe à la taxation. »

Si, au contraire, la demande de tabac était très élastique, les gens s’adapteraient. Vous augmentez le prix des cigarettes ? Je vais arrêter d’en acheter.

Luc Vallée, économiste en chef de l’IEDM

Taxer les boissons sucrées

Une taxe peut avoir pour objectif de limiter la consommation en raison de ses inconvénients plutôt que d’engranger des revenus. Pour être efficace, selon le concept d’élasticité-prix, la taxe doit cibler des biens élastiques facilement substituables. La Coalition Poids milite pour l’imposition d’une taxe sur les sodas et les boisons énergisantes dans le but de contrer l’obésité. Les boisons ont une élasticité de 1 à 1,5, donc si vous augmentez de 10 % leur prix, il faut s’attendre à ce que la quantité consommée de ces boissons baisse de 10 à 15 %, estime le professeur Philippe Barla, à la condition que les producteurs n’absorbent pas une partie de la taxe pour soutenir la consommation.