Comment l’Accord économique et commercial global (AECG), adopté de manière provisoire il y a près de deux ans, affectera-t-il les économies canadiennes et européennes ? Au lendemain du sommet qui s’est tenu à Montréal en présence de Justin Trudeau et de Donald Tusk, voici un portrait de la situation selon deux économistes des deux côtés de l’Atlantique.

« Il y a des liens qui se tissent »

Daniel Schwanen, vice-président de la recherche à l’institut C.D. Howe et spécialiste du commerce et des politiques internationales, remarque qu’avec l’accord de libre-échange naissant, les investissements européens sont en hausse au Canada.

« Une chose que personne n’a notée, c’est l’augmentation assez marquée des investissements directs, a-t-il dit. Depuis deux ans, on se plaint du manque d’investissement étranger au Canada, mais les Européens sont très actifs. »

Selon les chiffres avancés par M. Schwanen, le total cumulatif des investissements européens est passé de 305 milliards CAN en 2016 à 329 milliards CAN, une augmentation de près de 25 milliards en trois ans. Ces chiffres montrent « qu’il y a des liens qui se tissent ».

Il explique toutefois qu’il est encore tôt pour bien saisir les effets de l’accord.

« [L’AECG] a certainement eu un effet, puisque les flux du commerce se réorganisent à l’échelle mondiale, mais tellement de choses se sont produites avec le commerce international ces dernières années que c’est difficile de dire si l’impact a été important, positif ou négatif. »

Malgré tout, certaines tendances sont perceptibles. 

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’INSTITUT C.D. HOWE

Daniel Schwanen, vice-président de la recherche à l’institut C.D. Howe et spécialiste du commerce et des politiques internationales

La première année de l’accord était caractérisée par une forte augmentation d’importations de produits européens vers le Canada, mais en 2019, on reprend du poil de la bête.

Daniel Schwanen, vice-président de la recherche à l’institut C.D. Howe et spécialiste du commerce et des politiques internationales 

Selon le spécialiste, cela s’expliquerait notamment par une reprise modérée de la croissance en Europe.

S’il est difficile de prédire qui, précisément, profitera de l’accord, certains secteurs s’avèrent mieux outillés dans leur conquête du marché européen. « Là où je verrais des gains, c’est dans les secteurs des services et de la haute technologie », a affirmé l’expert. Par contre, il ne faut pas oublier que c’est toutes proportions gardées : les capacités de production du Canada sont limitées par toutes sortes de facteurs, dont un bas taux de chômage.

La question du Brexit en suspens

Selon M. Schwanen, afin de profiter pleinement du nouvel accord avec l’Union européenne, il faudra d’abord tenter de comprendre ce qui se profile à l’horizon dans le contexte du Brexit.

« Stratégiquement, la question la plus importante pour le moment, c’est malheureusement le statut du Royaume-Uni, a-t-il avancé. On est un peu sur la défensive, en attendant de voir ce qui va se passer. Une fois que ce sera réglé, si ça se règle, on pourra envisager une stratégie paneuropéenne. »

Presque la moitié des investissements canadiens en Europe sont au Royaume-Uni, qui « sert de porte d’entrée » au marché européen. Le Brexit n’est donc pas une source d’incertitude uniquement en Europe, mais « sème aussi le désarroi dans la stratégie du Canada ».

« Si ce n’était le Royaume-Uni, on peut dire que le portrait est assez rose en 2019 », résume M. Schwanen.

« On s’attend à de petits impacts »

Pour Cecilia Bellora, économiste du Centre d’études prospectives et d’informations internationales, l’Union européenne a davantage profité de ses nouveaux privilèges accordés par l’AECG jusqu’ici, comparativement au Canada.

Elle cite les quotas de fromages envoyés d’Europe, ceux-ci étant remplis, par opposition aux quotas d’exportation de viande bovine en provenance du Canada, qui sont encore très loin du compte.

Mais somme toute, « on s’attend à de petits impacts. Qu’ils soient positifs ou négatifs, ces impacts resteront minimes », affirme la spécialiste, jointe à Paris.

Selon elle, les impacts de l’AECG sur l’économie de l’Union européenne sont plutôt discrets, et risquent fort bien de le rester, à l’exception de certains secteurs très spécifiques. C’est ce qu’elle avance dans son rapport sur l’AECG publié le mois dernier et qui sera annexé au projet de loi français, dont la ratification est prévue pour le 23 juillet prochain.

« On sait que les flux commerciaux réagissent à la fois à la taille de marché du partenaire, à la distance entre les deux partenaires commerciaux et au niveau des barrières tarifaires », a avancé Mme Bellora. 

PHOTO TIRÉE DU SITE DU CEPII

Cecilia Bellora, économiste du Centre d’études prospectives et d’informations internationales

Du point de vue de l’Union européenne, le Canada est un marché relativement petit, assez lointain, et les barrières douanières n’ont pas complètement disparu.

Cecilia Bellora, économiste du Centre d’études prospectives et d’informations internationales

À ce sujet, l’économiste indique qu’actuellement, moins de 2 % des exportations européennes sont destinées au Canada.

L’effet sur le prix du carbone

Une des données prises en compte dans l’étude de Mme Bellora et de ses collègues est l’effet de l’AECG sur le prix du carbone. La version actuelle de l’AECG tient pour acquis que les signataires de l’accord de Paris resteront diligents, ce qui est loin d’être sûr.

« À partir du moment où on est dans un monde où l’accord de Paris s’applique, par définition, tous les membres signataires vont respecter leurs engagements en émissions de gaz à effet de serre, quoi qu’il se passe par ailleurs, a dit la spécialiste. Cela veut dire que l’AECG n’aura pas d’impact sur les émissions puisqu’elles sont plafonnées par les engagements pris. » En d’autres termes, l’AECG ne changerait pas réellement les taux d’émissions globaux si les pays prennent au sérieux leurs engagements.

Par contre, « ça se fera à un prix », précise Mme Bellora. « L’AECG aura un petit impact positif sur les niveaux de production globaux par pays. Cela veut dire que pour que les émissions des deux partenaires n’augmentent pas, il faudra augmenter le prix du carbone de 0,3 % pour l’Union européenne et de 0,7 % pour le Canada. »