(Ottawa) Une économie qui tourne à plein régime, qui crée des dizaines de milliers d’emplois chaque mois et qui fait reculer le taux de chômage à un niveau historiquement bas. Voilà le scénario auquel rêvent tous les gouvernements, en particulier quand un échéancier électoral pointe à l’horizon.

C’est la situation enviable dans laquelle se retrouve aujourd’hui le gouvernement de Justin Trudeau, à quatre mois des élections fédérales. Et le premier ministre n’hésite pas à brandir les statistiques économiques pour défendre son bilan à la Chambre des communes, rappelant la création de 1 million d’emplois en trois ans et demi et le taux de chômage le plus bas en 40 ans.

Il y a toutefois un bémol à ce portrait économique favorable, surtout quand la croissance est telle qu’elle provoque une pénurie de main-d’œuvre sans précédent dans certaines régions du pays.

L’économie est en feu ! C’est une situation heureuse, mais ça occasionne aussi de nouveaux défis.

Patty Hadju, ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail, dans une entrevue avec La Presse

Le ministère de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail prévoit que de telles pressions sur le marché du travail vont persister durant les prochaines années, voire la prochaine décennie. Le vieillissement de la population et le ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler continueront d’exercer des pressions sur le taux d’activité et l’offre de main-d’œuvre.

Selon les projections de Statistique Canada, le taux de croissance annuel moyen de la population de 15 ans et plus — la population dite en âge de travailler — sera de 1,1 % au cours des deux prochaines décennies (de 2019 à 2036). C’est un taux plus faible que celui de 1,2 % observé au cours de la décennie précédente (de 2009 à 2018).

« Il faut donc faire preuve de créativité. Et pas seulement les gouvernements. Les entreprises aussi », affirme la ministre Patty Hadju.

Bouleversements rapides

L’idée qu’une grave pénurie de main-d’œuvre puisse causer de l’insomnie aux gens d’affaires, notamment au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique, était loin d’être sur l’écran radar du gouvernement fédéral il y a à peine deux ans, souligne-t-on. 

Certes, les experts prédisaient depuis plusieurs années que le vieillissement de la population annonçait des bouleversements qui forceraient Ottawa et les provinces à mettre en œuvre des mesures pour en atténuer les conséquences.

Mais la rapidité des changements et la gravité de la pénurie de main-d’œuvre ont contraint Ottawa à réaligner ses priorités dans un court laps de temps.

À titre d’exemple, le ratio du nombre de chômeurs par poste vacant à l’échelle du pays a diminué continuellement depuis le premier trimestre de 2016 ; il y a eu une baisse considérable du nombre de chômeurs et une forte hausse du nombre de postes vacants. À l’échelle nationale, ce ratio était estimé à 2,0 chômeurs par poste vacant au quatrième trimestre 2018, comparativement à 3,9 au premier trimestre 2016.

Si, au départ, on croyait que l’immigration représentait le principal remède à la pénurie de main-d’œuvre, on a vite constaté qu’ouvrir toutes grandes les portes de nos frontières n’était qu’une partie de la solution.

Dans les officines fédérales, on maintient que l’immigration représente tout au plus 40 % de la solution. En octobre 2016, un rapport du Conseil consultatif en matière de croissance économique recommandait que le Canada accueille 450 000 immigrants par année à compter de 2021 pour contrer les effets du vieillissement de la population. Le gouvernement Trudeau a écarté cette idée, craignant un ressac au sein de la population. On a donc opté pour la prudence en fixant des seuils moins élevés : 331 000 immigrants en 2019, 341 000 immigrants en 2020 et 350 000 immigrants en 2021.

Des remèdes pour contrer la pénurie

Ottawa mise donc sur une panoplie de mesures pour remédier à cette pénurie : faciliter la formation de la main-d’œuvre, encourager les personnes âgées à travailler plus longtemps, mieux arrimer l’immigration aux besoins des entreprises et repenser le programme des travailleurs temporaires étrangers.

Le ministre des Finances Bill Morneau en a annoncé quelques-unes dans son dernier budget.

Entre autres choses, le ministre a confirmé la création d’un nouveau régime d’épargne pour encourager les travailleurs à obtenir une nouvelle formation. Le gouvernement fédéral compte dépenser 1,7 milliard au cours des cinq prochaines années pour instaurer l’Allocation canadienne pour la formation, qui comprend à la fois un crédit pour la formation non imposable et une prestation pour couvrir des dépenses quotidiennes. Une nouvelle prestation à la formation de l’assurance-emploi a aussi été créée et accorde jusqu’à quatre semaines de soutien à 55 % du salaire moyen à un travailleur.

Il a aussi annoncé des mesures incitatives afin d’encourager les personnes âgées à demeurer plus longtemps sur le marché du travail. Ottawa a décidé de bonifier l’exemption des gains du Supplément de revenu garanti sur les premiers 15 000 $ de revenu.

À ces mesures, il faut ajouter les milliards de dollars de plus qu’Ottawa a offerts aux provinces pour la formation de la main-d’œuvre. Toutes les provinces ont conclu un accord avec Ottawa, sauf le Québec. Ce faisant, Québec s’est privé de plus de 800 millions de dollars de plus en transferts fédéraux depuis trois ans. De l’argent sonnant qui aurait pu servir à financer des mesures pour s’attaquer à cette fameuse pénurie de main-d’œuvre. 

Après deux ans de négociations, toutefois, les gouvernements Legault et Trudeau ont récemment conclu un accord de principe sur le renouvellement de l’ensemble des programmes sur la formation de la main-d’œuvre.