Le prix du café en Bourse a diminué de 60 % depuis 2014. Les consommateurs qui sirotent leur boisson chaude chaque matin n’ont toutefois pas goûté à cette baisse.

« La corrélation entre le prix des denrées et le prix de détail n’existe pas nécessairement, lance sans détour Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie. Diminuer le prix d’un produit quand on sait qu’on va l’augmenter ensuite, c’est difficile. »

En 2014, le prix affiché en Bourse était de 2,20 $ US la livre, alors qu’en 2019, il est passé sous la barre du 1 $ US la livre. Or, pendant ce temps, sur les rayons, le sac de café torréfié de 300 g se vendait au détail à un prix moyen de 5,54 $ CAN, en avril 2014 alors qu’en avril de cette année, le prix affiché était de 5,35 $, soit une diminution de 0,19 $, selon les données compilées par Statistique Canada.

Et ceux qui ont l’habitude d’aller remplir leur thermos au café du coin avant de rentrer au bureau ont, dans certains cas, déboursé davantage pour leur boisson matinale. De 2014 à 2018, par exemple, le prix d’un café de format moyen chez Tim Hortons a augmenté de 17 %. Il coûte actuellement 2 $, taxes non comprises.

Le prix de la matière première représente une petite fraction de ce qui est vendu au détail. On peut imaginer que les diminutions de prix sont captées par les intermédiaires.

Guy Debailleul, professeur associé au département d’économie agroalimentaire de l’Université Laval

« Au début de la chaîne et à la fin de la chaîne, il n’y a aucun pouvoir de négociation », ajoute Dario Iezzoni, président de l’Association québécoise du commerce équitable et cofondateur de LEEEP cold brew, marque québécoise de café infusé à froid.

Cette situation est vivement dénoncée par Fernando Morales-de la Cruz, fondateur de Café for Change, entreprise qui fait la promotion du commerce équitable. Au-delà du prix payé par les amateurs de café, il déplore le fait que les producteurs soient les grands perdants de l’équation.

M. Morales-de la Cruz souligne qu’avec une livre de café vert, on sert 55 tasses de café. En la vendant environ 0,90 $ US, le producteur empoche moins de 0,02 $ par tasse, calcule-t-il. Ce qui équivaut à environ 0,03 $ CAN. « Le gobelet dans lequel il est servi vaut plus cher. »

Dario Iezzoni ajoute que les petits producteurs reçoivent beaucoup moins. « Ce sont les grandes plantations qui ont accès à ces trois cents là. »

La sécheresse, la maladie et l’arrivée de nouveaux pays producteurs comme le Viêtnam expliquent en partie les fluctuations de prix. Les disparités sont plus grandes depuis 1989, année où l’Accord international sur le café a cessé d’être contraignant, analyse Guy Debailleul. Renouvelé de 1963 à 1989, cet accord « permettait aux pays producteurs et aux pays acheteurs de s’entendre sur une fourchette de fluctuation de prix pour éviter qu’il ne descende trop bas au détriment des producteurs ou trop haut au détriment de ceux qui achètent », explique-t-il. Les signataires devaient alors respecter des quotas. En 1989, les pays n’ont pu s’entendre sur ces fameux quotas d’exportation, causant l’effondrement du système.

En dehors du circuit

Par ailleurs, d’autres établissements, qui se disent en dehors des circuits formés par Tim Hortons et autres Starbuck’s, assurent payer le juste prix pour le café qu’ils vendent. « Nous, on n’achète pas sur ces marchés-là, assure Simon-Louis Brosseau Fournier, copropriétaire des cafés Paquebot à Montréal et de ZAB torréfacteur. Si le café n’est vraiment pas cher, c’est louche. Ça veut dire que le producteur n’a pas été payé. »

Son entreprise fait affaire avec des importateurs qui, eux, se rendent directement sur le terrain pour rencontrer ceux qui cultivent le café. « Plus ton café a une qualité élevée, plus il va être vendu cher. Moi, je paie des cafés jusqu’à 10 $ la livre. »

Et pourtant, pour la première fois en quatre ans, il vient d’augmenter le coût de son latte, le faisant passer de 4,88 $ à 5,18 $. Cette hausse n’a rien à voir avec le prix du café, assure le patron du Paquebot. Elle s’explique plutôt par l’augmentation du coût de la vie.

Habitude ancrée

Malgré tout, ce n’est pas demain la veille que les consommateurs cesseront de boire du café, et ce, même si son prix au détail monte, croit Sylvain Charlebois. « Quand c’est une habitude, la sensibilité au niveau du prix est moins forte, dit-il. Ce qui est puissant avec le café, c’est que c’est ancré dans les habitudes quotidiennes. »

« En restauration, le paiement est très virtuel aujourd’hui. On ne voit plus la monnaie qui quitte notre poche. Ça permet de jouer avec le prix. »