(Québec) Le gouvernement Legault modifie la mission et la structure de son bras financier, Investissement Québec (IQ). La société d’État devra prendre plus de risques en investissant dans les entreprises d’ici pour accroître leur croissance et leurs exportations. Québec se laisse aussi cinq ans pour doubler les investissements étrangers dans l’économie de la province.

Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a déposé hier un projet de loi très attendu qui précise la nouvelle vocation d’Investissement Québec. Celle-ci misera particulièrement « sur les projets de création d’emplois à haute valeur ajoutée », une orientation promise par la Coalition avenir Québec (CAQ) lors de la dernière campagne électorale.

Une fois la loi adoptée, IQ deviendra la porte d’entrée des entrepreneurs québécois qui veulent faire affaire avec le gouvernement. La société d’État, dont la taille devrait doubler, sera présente sur la scène locale – alors que les bureaux régionaux du ministère de l’Économie fusionneront avec elle pour former un réseau dans chaque région – et à l’échelle internationale.

« On veut doubler les investissements étrangers au Québec d’ici cinq ans, lesquels représentaient une moyenne de 3,4 milliards [par année]. On veut aussi augmenter nos exportations de biens et services afin qu’elles représentent 50 % du PIB québécois. On veut finalement réduire l’écart de productivité », a énoncé M. Fitzgibbon, hier.

Dans le dernier budget, en mars, le gouvernement avait déjà annoncé la bonification de la capitalisation d’IQ de 1 milliard, ainsi que la création d’un fonds de 1 milliard pour appuyer la croissance des entreprises québécoises et le maintien de leurs sièges sociaux au Québec. Selon le ministre, ces mesures « peuvent générer 10 milliards d’investissements avec l’effet levier ».

« Investissement Québec misera sur les projets de création d’emplois à haute valeur ajoutée. » — Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a déposé hier un projet de loi très attendu qui précise la nouvelle vocation d’Investissement Québec.

« Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, le support gouvernemental doit viser des projets qui nous enrichissent collectivement, tirant vers le haut le salaire et les revenus des travailleurs et des entrepreneurs », a-t-il ajouté.

Gros mandat, gros salaire

Pour effectuer ce mandat, le nouveau président-directeur général d’IQ, Guy LeBlanc, touchera une rémunération globale (avec bonis) avoisinant le million de dollars.

Le ministre de l’Économie a assuré hier qu’il serait transparent dans la rémunération de M. LeBlanc, entré en poste il y a quelques semaines. À la fin du mois de mai, la vérificatrice générale (VG) du Québec, Guylaine Leclerc, a déploré l’écart grandissant entre la rémunération des hauts dirigeants de sociétés d’État à vocation commerciale et ceux des ministères et autres organismes publics.

« J’ai l’objectif de livrer un plan qui est ambitieux et je ne suis jamais allé à la guerre avec un tire-pois. Il faut avoir les ressources pour gagner cette guerre-là », a dit M. Fitzgibbon hier.

« Si on paie des bonis importants l’année prochaine à Investissement Québec, les Québécois vont s’enrichir », a-t-il ajouté pour illustrer que les bonis étaient liés à l’atteinte de résultats performants.

Priorité à l’Europe

Une des priorités d’Investissement Québec sera d’aider les entreprises québécoises à diversifier et à augmenter leurs exportations. Si l’Inde et la Chine sont deux marchés où la croissance sera forte au cours des prochaines années, Pierre Fitzgibbon croit que le Québec doit d’abord profiter du récent accord de libre-échange entre le Canada et l’Europe pour augmenter ses exportations.

« Un des problèmes qu’on a, c’est [notre] trop grande dépendance aux États-Unis. Soixante-quinze pour cent de nos biens [qu’on exporte] vont aux États-Unis », a dit le ministre de l’Économie.

« Le protectionnisme qu’on voit [sous l’administration Trump] est inquiétant. On doit augmenter nos exportations, mais aussi les diversifier. » — Pierre Fitzgibbon

« [Avec l’accord de libre-échange avec l’Europe], on peut maintenant rentrer en France et rayonner […]. Il y a cinq ans, aller en Europe, c’était l’enfer. […] [Et à ce jour], le déficit commercial avec la France est inacceptable. On exporte pour 1,3 milliard, ça n’a aucun bon sens. Juste là, on a peut-être de 4 à 5 milliards de disponibles. Allons chasser là où on peut avoir des gains rapidement », a-t-il ajouté.

Le milieu des affaires applaudit

Québec inc. a applaudi hier la nouvelle vocation que le gouvernement Legault donne à Investissement Québec. Le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, a rappelé que « le contexte de plein emploi exige de nouvelles stratégies pour rehausser la productivité de nos entreprises et accroître leurs exportations ainsi que pour cibler des entreprises internationales stratégiques susceptibles d’investir ici et de générer des emplois stables et bien rémunérés ».

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a pour sa part salué la décision de Québec de créer une porte d’entrée pour les PME qui cherchent du soutien dans leur développement.

« Cela fait longtemps que nous demandons le regroupement de l’aide offerte aux entreprises en un seul lieu. Dans le système actuel, les PME doivent souvent cogner à plusieurs portes afin d’obtenir de l’aide. La recherche de soutien prend souvent l’allure des 12 travaux d’Astérix, alors ce regroupement sera bienvenu », a déclaré Martine Hébert, vice-présidente principale de la FCEI.

« En mettant en commun les énergies d’Investissement Québec et du ministère de l’Économie et de l’Innovation, le Québec améliore sa force de frappe pour attirer des investisseurs étrangers, développer de nouveaux marchés pour les entreprises du Québec et les accompagner dans leurs objectifs de croissance », a pour sa part affirmé Stéphane Forget, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

Réactions de l’opposition

« On constate encore une fois la propension du gouvernement à importer vers l’État des pratiques que l’on voit dans le privé. Ça a d’ailleurs commencé par Investissement Québec avec la nomination de Guy LeBlanc, un ami du ministre, un financier, quelqu’un qui était dans le domaine de la haute finance. […] [M. LeBlanc] bénéficie de traitements, d’émoluments et de conditions salariales qui ressemblent beaucoup, beaucoup trop à ce qu’on fait dans le milieu des grandes banques et de la grande entreprise. » — Vincent Marissal, député de Québec solidaire et porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’économie

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Vincent Marissal, député de Québec solidaire et porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’économie

« Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, devient le ministre omnipotent du gouvernement Legault en matière d’économie et en matière d’innovation. La seule chose qui manque à l’intérieur du projet de loi, je vous dirais, c’est [son] numéro de cellulaire, parce que tout y est pour concentrer les pouvoirs à un seul et unique endroit. Effectivement, le gouvernement se donne les moyens, mais à notre avis, c’est beaucoup trop de moyens. On a hâte de voir les résultats et les objectifs qui seront rattachés à tout cela. » — Martin Ouellet, député du Parti québécois et porte-parole du troisième groupe d’opposition en matière d’économie

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Martin Ouellet, député du Parti québécois et porte-parole du troisième groupe d’opposition en matière d’économie

« Nous accueillons le projet de loi avec ouverture, mais il est essentiel que cela ne résulte pas simplement en un débat de structures. Le ministre doit également apporter des clarifications afin de ne pas dédoubler le rôle d’Investissement Québec et assurer une complémentarité avec les autres institutions financières. Investissement Québec doit être un outil qui crée un effet de levier pour accroître la capacité d’agir du gouvernement auprès des entreprises québécoises. » — Dominique Anglade, députée du Parti libéral et porte-parole de l’opposition officielle en matière d’économie

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Dominique Anglade, députée du Parti libéral et porte-parole de l’opposition officielle en matière d’économie