La voiture électrique reste encore marginale au Québec, mais elle enregistre une progression rapide. Où se trouvent les plus fortes concentrations ?

Tous les facteurs favorisent la banlieue

Entrée privée, distance parcourue, possession de deux voitures, niveau de revenu, pont à péage : tous les critères sont en place pour faire des banlieues montréalaises de petits royaumes de la voiture électrique.

À l’aide de données sur les immatriculations fournies par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), La Presse a dressé une carte qui répertorie le taux de pénétration des voitures électriques ou hybrides rechargeables dans les différentes villes du Québec.

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Dans la région de Montréal, cette carte ne laisse aucun doute : la voiture électrique est surtout populaire dans le « 450 ». Des 100 villes où l’on trouvait le plus de voitures électriques ou hybrides rechargeables au Québec en date du 31 décembre dernier, 51 font partie de la ceinture de Montréal. Sept autres sont situées sur l’île de Montréal, mais présentent des caractéristiques très similaires aux banlieues. Finalement, une quinzaine sont un peu plus loin, mais voient quand même une partie de leurs citoyens visiter Montréal très régulièrement.

« Tout de suite, ce qu’on voit, c’est les couronnes », constate Sarah Houde, présidente-directrice générale de Propulsion Québec, la grappe montréalaise en transport intelligent et électrique.

Le contexte idéal de la banlieue

« Il y a un peu un cercle autour de l’île », confirme Jean-François Morissette, de l’Association des véhicules électriques du Québec (AVEQ). « Les gens dans les quartiers centraux utilisent moins leur voiture, donc c’est moins intéressant pour eux d’un point de vue économique. »

C’est l’une des explications, mais pas la seule. L’accès à une entrée privée, et donc potentiellement à un chargeur à domicile, est un facteur déterminant, selon Jeff Turner, chercheur principal à la firme de consultation spécialisée en énergie Dunsky.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Jeff Turner, chercheur principal à la firme de consultation spécialisée en énergie Dunsky

« Pour l’avenir proche, les villes vont toujours être derrière les banlieues à cause de ça [l’accès à une entrée privée]. Les gouvernements reconnaissent que c’est un grand défi. »

— Jeff Turner, chercheur principal chez Dunsky

« Mon propre patron a un véhicule électrique et il habite sur le Plateau. Ce n’est pas facile. J’ai un ami dans Notre-Dame-de-Grâce qui vient de s’acheter une Tesla, mais qui ne peut pas faire installer de chargeur à la maison », poursuit M. Turner.

Les banlieusards disposent aussi souvent de deux voitures, note Mme Houde, ce qui leur permet de plonger avec prudence, en conservant une voiture à essence. « C’est comme un test. »

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Sarah Houde, présidente-directrice générale de Propulsion Québec

À l’opposé, les résidants des quartiers centraux de Montréal « soit n’ont pas de voiture, soit ont la leur depuis longtemps parce qu’il y a une culture différente par rapport à l’auto, soit habitent au troisième étage d’un duplex et ne savent pas où ils la chargeraient », résume Mme Houde.

Une question d’argent

Le niveau de revenu semble aussi être un facteur déterminant dans le taux de pénétration actuel des voitures électriques, constatent les observateurs.

Cela s’observe, par exemple, sur la Rive-Sud de Montréal, dans l’écart du simple au double entre Boucherville, l’une des villes au revenu moyen le plus élevé au Québec, et Brossard, pourtant tout près.

« Si on regarde toutes les villes avec des niveaux de vie élevés, Saint-Lambert, Westmount, etc., le nombre [de véhicules électriques] est beaucoup plus élevé. »

— Jean-François Morissette, de l’Association des véhicules électriques du Québec (AVEQ)

« Mais ce n’est pas non plus seulement des gens riches qui vont vers ces voitures, précise-t-il. Dans nos sondages, il y a beaucoup de gens de la classe moyenne qui vont au travail en voiture tous les jours. Pour eux, il y a un calcul derrière ça, ça devient économique. »

Le problème est appelé à s’atténuer avec la diminution du prix des voitures électriques, mais l’impact prendra quelques années à disparaître.

« Jusqu’à récemment, il n’y avait que les Tesla qui avaient une bonne autonomie, rappelle M. Turner. Pendant un certain temps, je pense qu’on va continuer de voir un lien entre le taux de pénétration des véhicules électriques et le niveau de revenu. »

L’impact d’un pont

S’il fallait désigner une « capitale » des voitures électriques au Québec, ce pourrait être Terrebonne. Dixième ville du Québec pour la population, cette municipalité de la couronne nord de Montréal vient au quatrième rang de celles où l’on trouve le plus de voitures électriques ou hybrides rechargeables, derrière Montréal, Québec et Laval.

Sa voisine Mascouche, au 24e rang pour le nombre d’habitants, fait aussi très bien avec le 13e total de voitures « vertes ».

Ces deux municipalités bénéficient probablement du meilleur contexte au Québec. Dignes représentantes de la banlieue, elles sont de plus relativement proches du « foyer » que représente le concessionnaire Bourgeois Chevrolet.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le fait que le pont à péage de l’autoroute 25 soit gratuit pour les propriétaires de véhicules « verts » n’est pas étranger à la popularité de la voiture électrique à Terrebonne et Mascouche. Beaucoup de leurs résidants emprunte ce pont à péage pour se rendre à Montréal. 

Mais surtout, beaucoup de leurs citoyens empruntent régulièrement le pont à péage de l’autoroute 25 pour se rendre à Montréal. Le passage y est gratuit pour les propriétaires de véhicules verts. C’est aussi vrai pour le pont de l’autoroute 30 et pour certains traversiers du Québec.

« Il y a de bonnes économies à faire », rappelle M. Morissette.

« C’est une belle démonstration que les politiques publiques peuvent avoir un impact », juge quant à elle Sarah Houde.

— Avec la collaboration de Thomas de Lorimier et Michael Sanchez, La Presse

Des surprises et des mystères

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

En 2018, les acheteurs de voitures électriques ont été 2,7 fois plus nombreux au Québec qu’en 2017. Et ils étaient 3,7 fois plus nombreux au premier trimestre de 2019 qu’à la période correspondante l’an dernier.

Voici quelques constats significatifs tirés des données de la SAAQ.

Peu nombreuses, mais en forte croissance

Les voitures électriques restent marginales au Québec. À peine 0,7 % des voitures immatriculées étaient électriques ou hybrides rechargeables au 31 décembre dernier. Le rythme va toutefois en s’accélérant, et à bonne vitesse. En 2018, on en a vendu 14 734, selon les données de Transition énergétique Québec, soit 2,3 fois plus qu’en 2017. Et en 2019, le premier trimestre en a vu s’écouler 3,7 fois plus qu’à la même période en 2018.

Un concessionnaire qui change tout

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Hugo Jeanson, copropriétaire de Bourgeois Chevrolet

Il se trouve, autour de Rawdon, dans Lanaudière, un îlot d’une demi-douzaine de municipalités où les taux de pénétration sont parmi les meilleurs au Québec. Pourquoi ? Tous les intervenants à qui l’on pose la question pointent dans la même direction : Bourgeois Chevrolet, le plus important vendeur de voitures électriques du Canada.

« J’ai moi-même acheté mon auto à Rawdon », témoigne Jeff Turner, de Dunsky, firme de consultation spécialisée en énergie.

Le copropriétaire de ce concessionnaire, Hugo Jeanson, se réjouit de l’impact de son entreprise.

« Quand on a commencé à se spécialiser dans les voitures électriques, le but était de les faire connaître. Je pense que si on n’avait pas parti ça, il n’y aurait pas cet intérêt. »

Cette vocation a contribué à mettre en branle une roue vertueuse. Plus les gens voient des voitures électriques autour d’eux, plus ils sont susceptibles d’en acheter, conviennent les experts.

« Le gros de la publicité pour la voiture électrique, c’est le bouche à oreille. Je dis souvent que quand j’en vends une, j’en vends trois autres : une dans la famille, une dans le voisinage et une au travail. »

Des poches de popularité similaires sont perceptibles à Trois-Rivières et à Saint-Hyacinthe, où l’on trouve aussi des détaillants très actifs.

« Avoir un acteur local très fort, ça fait vraiment une différence, croit Sarah Houde. Bourgeois est l’exemple parfait. Ce n’est pas parce que c’est riche, Lanaudière. »

Cas unique à Laval

Alors que la plupart de ses voisins juste un peu plus au nord affichent des taux supérieurs et que la majorité de son territoire est constitué de résidences disposant d’un stationnement privé, Laval affiche un taux de pénétration à peine supérieur à la moyenne québécoise.

La municipalité a pourtant été l’une des rares au Canada, sinon la seule, à offrir à ses citoyens un programme de subventions qui s’ajoutait à celui du gouvernement provincial. Pendant un an, jusqu’au 30 avril dernier, la Ville a distribué 546 subventions de 2000 $ s’ajoutant aux 8000 $ offerts par Québec.

Peu populaire en région

Le sujet a maintes fois été abordé lors de la dernière campagne électorale provinciale : la voiture électrique n’est pas encore une favorite en région.

Cela se perçoit dans les taux relativement faibles observés dans les principales villes de l’Abitibi, du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de la Gaspésie, de la Côte-Nord ou de Beauce, par exemple. Les raisons sont multiples.

D’abord, les bornes de recharge y sont ou y étaient, jusqu’à tout récemment, rares.

« Le Saguenay, c’est assez isolé et il n’y avait pratiquement pas de bornes, note Jean-François Morissette. À part une couple de crinqués, les gens ne considéraient pas beaucoup la voiture électrique. Les installations récentes pourraient avoir un impact assez rapide sur les ventes. Il y a beaucoup de perceptions aussi. Même si c’est tout à fait faisable d’avoir une voiture électrique, les gens ont l’impression que non. »

Le fait que la majorité des voitures électriques offertes et disponibles étaient des modèles compacts explique aussi ce retard dans des régions où les pick-up sont très populaires.

« Tant qu’il n’y aura pas de pick-up électriques, on va sentir un retard. »

La langue, un obstacle ?

À première vue, les municipalités de Dorval, Pointe-Claire, Dollard-des-Ormeaux et Kirkland, dans l’ouest de l’île de Montréal, ont tout ce qu’il faut pour inciter leurs habitants à l’achat de voitures électriques : des résidences avec entrées privées, des résidants qui se servent régulièrement de leur voiture, en possèdent souvent deux et ont des revenus relativement élevés. Or, le taux d’adoption de la voiture électrique est inférieur à la moyenne québécoise.

« Je ne me l’explique pas, admet M. Morissette. Surtout que ce sont des villes où les gens n’habitent pas tous dans des immeubles multirésidentiels. »

Il avance quand même une théorie.

« Peut-être que c’est l’aspect anglophone ? Ils sont moins ciblés par la publicité et les groupes de pression. »

Lui-même un anglophone montréalais, Jeff Turner juge cette explication crédible.

« Il se peut qu’il y ait un manque d’effort dans les quartiers anglophones », concède-t-il.

Mais il préfère citer la faible distance entre ces quartiers et le centre-ville.

« C’est tout au plus 40 km par jour aller-retour. Ce n’est peut-être pas assez. Il y a un sweet spot. »

Notons d’ailleurs que les taux remontent dans les municipalités de la pointe ouest de l’île.

Gatineau oublié

Autre mystère difficile à élucider pour les experts interrogés : les très faibles taux observés en Outaouais. Gatineau, en particulier, affiche un taux d’à peine 0,49 %, souvent moins de la moitié de celui de villes en apparence comparables comme Laval, Longueuil, Trois-Rivières ou Sherbrooke.

« Si je regarde la carte des bornes de recharge, je vois qu’au nord et à l’ouest d’Ottawa, il n’y a pas beaucoup de bornes rapides », avance Jeff Turner.

« J’en ai arraché pour me recharger quand je suis allée à Ottawa », se souvient pour sa part Sarah Houde, de Propulsion Québec, qui pointe donc aussi dans cette direction.

« Peut-être qu’il n’y a pas de concessionnaire qui a pris les devants ? », s’interroge pour sa part M. Morissette.

— Avec la collaboration de Thomas de Lorimier et Michael Sanchez, La Presse