Le prolifique secteur de la technologie en Chine s’essouffle et doit licencier des milliers de travailleurs. Ceux qui restent, les « 996 », sont épuisés.

Tencent, Didi, JD.com… ces noms ne sont pas encore très connus chez nous. Pourtant, ils sont des champions de la haute technologie en Chine et même dans le monde.

Jusqu’à tout récemment, ils faisaient trembler les grands noms de Silicon Valley qui redoutaient l’invasion chinoise sur leurs marchés. Or, après un essor spectaculaire depuis cinq ans, la jeune et prolifique « tech » chinoise vient de frapper un mur.

Ralentissement de leur croissance oblige, des géants de l’internet doivent se résoudre à des coupes massives dans leur personnel.

JD.com, un leader du commerce électronique, va se débarrasser de 10 % de ses cadres, en plus d’éliminer le revenu minimum récemment garanti à ses livreurs.

Didi Chuxing, le « Uber chinois », est en voie d’abolir quelque 2000 postes, soit environ 15 % de ses effectifs.

Alibaba (commerce en ligne), Tencent (messagerie WeChat) et Baidu (le Google chinois) vont aussi éliminer des milliers d’emplois ou freiner leur expansion.

En tout, une entreprise sur cinq dans ce secteur toujours le plus chaud de l’économie chinoise compte réduire l’embauche, affirme le site d’emplois Liepin.co.

« Je crois que ce ralentissement va se poursuivre », a déclaré la semaine dernière à la BBC Ms Liu, une spécialiste qui dirige des colloques pour des start-up en Chine.

Le financement diminue

Divers facteurs expliquent ce revirement dramatique dans un secteur sur lequel Pékin mise pourtant beaucoup.

Le ralentissement économique mondial, sous l’effet de la guerre commerciale Chine/États-Unis, frappe les milieux technologiques comme la plupart des secteurs d’exportation de l’empire du Milieu.

De plus, la progression naguère rapide du marché est appelée à ralentir puisque le nombre d’internautes chinois — qui a dépassé les 800 millions l’an dernier — semble avoir atteint un plateau.

Et dans ce climat morose, l’accès au financement, qui semblait inépuisable en Chine, est devenu plus difficile pour les acteurs du secteur, affirme le Boston Consulting Group dans une analyse.

Sans oublier que la concurrence accrue des nouveaux acteurs, souvent plus petits ou étrangers, oblige les grands noms à s’ajuster.

Ainsi, le colosse Foxconn, premier sous-traitant électronique mondial et plus grand employeur en Chine — avec plus de 1 million d’employés —, va désormais produire des iPhone d’Apple dans une usine du sud de l’Inde pour réduire les coûts et se rapprocher de ses marchés d’avenir.

Travailler jusqu’à l’épuisement

Pendant ce temps, les acteurs du milieu accentuent la pression sur leurs millions d’employés, qui sont soumis à un horaire « 996 ». Cette combinaison de chiffres sert à décrire le travail de 9 h du matin à 9 h du soir, 6 jours par semaine.

Un rythme d’enfer que défendent les patrons de China inc., dont le président d’Alibaba, le milliardaire Jack Ma, pour qui le « 996 » est « une énorme bénédiction » pour ceux qui veulent réussir.

Le PDG de son concurrent JD.com, Richard Liu, a quant à lui qualifié de « fainéants » ceux qui ne veulent pas travailler dur.

Dans un pays où l’effort est vu comme une vertu et le repos, un vice, ces cadences infernales sont toutefois de plus en plus critiquées par ceux qui les subissent. Si bien qu’une liste noire d’entreprises chinoises où le « 996 » prévaut a été publiée anonymement sur l’internet et est devenue virale.

Un signal d’alarme a aussi été lancé par les professionnels du milieu sur une plateforme ouverte très fréquentée, Github, même si les plaignants n’osent pas se nommer. Sur Weibo, l’équivalent chinois de Twitter, bloqué dans le pays, le symbole « #996 » totalise plus de 15 millions de vues, selon l’AFP.

Sous le couvert de l’anonymat, un concepteur de jeux vidéo a raconté à cette agence de presse récemment avoir dû passer 110 heures consécutives au bureau. Le jeune homme de 31 ans souffre de troubles de santé et de dépression qu’il attribue à un travail excessif.

Bref, la tech chinoise ne fait plus rêver.

D’autant plus que les employés de ce milieu gagnent en moyenne 5 $ US l’heure, selon la principale plateforme de recrutement en Chine, Boss Zhipin. C’est cinq fois moins que leurs homologues japonais et dix fois moins que dans la Silicon Valley.