Au moment où d'aucuns blâment l'immense popularité d'Airbnb pour la rareté de logements locatifs ce printemps, Statistique Canada a discrètement publié un document estimant à 2,8 milliards de dollars les revenus annuels d'hébergement de l'ensemble des plateformes de location à court terme au pays. Un chiffre qui paraît toutefois surestimé, croient les acteurs de l'industrie touristique à qui La Presse a parlé.

Selon des estimations qualifiées de « provisoires » et « expérimentales » par Statistique Canada elle-même, les Airbnb, VRBO, Home Away et FlipKey ont généré des revenus d'hébergement de 2,8 milliards en 2018. L'Ontario (909 millions), la Colombie-Britannique (876 millions) et le Québec (635 millions) représentent près de 90 % des revenus.

Ceux-ci ont été multipliés par 10 depuis 2015, passant ainsi de 265 millions à 2,8 milliards au pays, incluant les commissions versées aux plateformes. Pour Airbnb, les commissions représentent 3 % des revenus des hôtes.

Les chiffres sont tirés du document Mesure de l'hébergement privé à court terme au Canada, publié le 14 mars dernier et passé inaperçu. Statistique Canada y explique se pencher sur le phénomène de la location à court terme dans le but de s'assurer que ses chiffres de comptabilité nationale (mesure du produit intérieur brut, par exemple) continuent de refléter la réalité.

Des données fiables sont aussi essentielles pour bien guider les décideurs dans leurs choix de réglementer ou non le phénomène en croissance.

Les méthodes usuelles d'enquête par échantillonnage de l'organisme fédéral cernent mal l'ampleur du phénomène - en partie caché ou souterrain -, d'où la décision de Statistique Canada de diffuser son approche afin de recueillir les commentaires du public pour pouvoir rapidement la peaufiner.

Statistique Canada a notamment eu recours à la méthode du moissonnage du web, un processus où les renseignements sont recueillis et copiés à partir de l'internet à des fins d'analyse. L'organisme fédéral a en fait acheté de la firme privée AirDNA les données obtenues par moissonnage.

Après un sérieux travail de polissage des données réalisé à l'interne pour éviter les doublons, Statistique Canada arrive aux chiffres cités plus haut.

Or, des revenus de 635 millions au Québec seulement paraissent énormes à première vue. Ça fait 1,7 million par jour, ou 17 400 nuitées à 100 $ quotidiennement. À titre comparatif, les 17 300 chambres des 89 membres de l'Association des hôtels du Grand Montréal (AHGM) mises ensemble ont produit environ 839 millions des revenus d'hébergement en 2018.

« Si le chiffre de 635 millions reflète uniquement les locations de type Airbnb, moins de 31 jours, le montant est plus élevé qu'attendu. »

- Ève Paré, présidente-directrice générale de l'AHGM et économiste de formation

Les chiffres ratissent cependant plus large que seulement la location de particulier à particulier de moins de 31 jours, confirme l'organisme fédéral. Par exemple, les petits hôtels indépendants ayant tous leurs permis et leurs numéros de taxes s'inscrivent parfois sur Airbnb pour augmenter leurs nuitées. Les revenus de location de chalet pour l'ensemble de la belle saison y sont aussi incorporés.

Du côté de la Chaire de tourisme Transat ESG-UQAM, on ne cache pas sa déception face aux choix méthodologiques. « Je trouve plus qu'étonnant que Statistique Canada, qui est porteur de la rigueur scientifique au Canada, passe une commande à une firme comme AirDNA. Ça me dépasse totalement », dit Paul Arseneault, titulaire de la Chaire, qui refuse de commenter les chiffres.

Les vrais chiffres, selon Airbnb

Airbnb, pour sa part, rejette du revers de la main les estimations de Statistique Canada. 

« Bien que nous apprécions les efforts consacrés à l'étude de nos collectivités d'hôtes et de voyageurs, le rapport repose sur des données erronées fournies par une entreprise qui pratique le moissonnage du web », a commenté dans un courriel Alex Dagg, porte-parole nationale d'Airbnb.

Dans Le Soleil du 6 février dernier, Airbnb déclarait des revenus d'hébergement de 260 millions pour ses hôtes au Québec en 2018. Un chiffre conséquent avec les 7,4 millions qu'elle a versés au gouvernement du Québec à titre de taxe d'hébergement entre octobre 2017 et octobre 2018. Airbnb a refusé de donner la statistique pour le Canada ou pour la région montréalaise.

Au téléphone mardi, une des coauteurs du document, Catherine Ayotte, a justifié le recours à la méthode du moissonnage du web. « Les plateformes sont des entités économiques étrangères, Statistique Canada n'a pas le pouvoir de les obliger à répondre. On peut se fier à leur bonne foi, si elles veulent répondre ou non. C'est une option qui est sur la table, qu'on pourrait utiliser éventuellement. Dans une première étape, on a préféré se tourner vers des données qui étaient déjà disponibles. »

« Notre diffusion était une tentative initiale d'estimer l'hébergement privé à court terme au Canada. Nous explorons activement les moyens d'améliorer les estimations, notamment en communiquant avec Airbnb », a ajouté Statistique Canada, dans un courriel qui nous est parvenu hier matin.