La pénurie de main-d'oeuvre force un Japon vieillissant à ouvrir ses portes... mais les États-Unis, une partie de l'Asie et même l'Europe de l'Est manquent aussi de travailleurs.

C'est un virage historique pour un pays qui, jusqu'au XIXe siècle, était fermé au reste du monde. Or, depuis une semaine, le Japon invite les étrangers à venir travailler dans la troisième économie mondiale.

La solution est difficile à avaler pour une grande partie des Japonais, mais elle est essentielle pour atténuer la pénurie de main-d'oeuvre qui étouffe les entreprises nipponnes.

Une statistique résume le drame des employeurs : pour chaque travailleur qui cherche un job, il y a 1,6 poste à pourvoir, selon les chiffres gouvernementaux. Dans certains secteurs, dont la restauration, c'est du trois pour un.

Le problème est bien connu : le Japon grisonne beaucoup trop vite. Environ 1 personne sur 3 dans ce pays de 126 millions d'habitants a plus de 60 ans.

2,5 %: Taux de chômage au Japon (janvier)

Faute d'un taux de natalité suffisant, la population a rétréci de près d'un demi-million de personnes l'an dernier, selon le ministère de la Santé.

Et si rien n'est fait, « le Japon va perdre très vite 800 000 personnes chaque année », a alerté la semaine dernière l'agence publique Jetro, chargée du commerce extérieur.

Vivement l'immigration

La réforme migratoire historique, votée l'hiver dernier et entrée en vigueur lundi dernier, vise à accueillir 345 000 nouveaux arrivants d'ici cinq ans, dont 50 000 dès 2019.

Ils seront dirigés vers les secteurs les plus assoiffés de travailleurs, dont la construction, l'agriculture, l'hôtellerie-restauration et l'aide aux personnes.

Le premier ministre du Japon, Shinzo Abe, a beau défendre sa solution, il marche sur des oeufs dans ce pays historiquement réfractaire à l'immigration.

Même si 6 personnes sur 10 sont d'accord avec une certaine ouverture aux travailleurs étrangers, 69 % redoutent leur impact sur la sécurité nationale, indique un récent sondage repris par le Japan Times.

Aussi, M. Abe s'abstient de parler d'« immigrés », utilisant plutôt le terme « travailleurs étrangers invités » pour décrire ceux qui seront admis sous certaines conditions sur une période de cinq ans.

Un problème mondial

Au Québec, le problème fait souvent la manchette, mais une étude récente du Korn Ferry Institute, spécialiste du placement de personnel, confirme que la pénurie de main-d'oeuvre touche maintenant une bonne partie du monde industrialisé.

D'ici 2030, les employeurs de la planète auront quelque 85 millions de postes à pourvoir - surtout dans les secteurs des services -, ce qui représentera près de 8500 milliards US « en pertes d'occasions » ou en manque à gagner, estime Korn.

Sur les 20 pays étudiés (pas le Canada), seule l'Inde - dont la moitié de la population a moins de 25 ans - aura un surplus de travailleurs.

Aux États-Unis, 60 % des entreprises ont déjà du mal à pourvoir un poste vacant à l'intérieur de 12 semaines. D'ici 2030, la pénurie de main-d'oeuvre américaine pourrait entraîner une « perte économique » de 436 milliards, ou 1,5 % du PIB.

La firme ManPower, de son côté, a interrogé quelque 40 000 entreprises dans 43 pays pour préparer son rapport 2018 sur le marché du travail.

Il en ressort que 45 % des employeurs ont des problèmes de recrutement, contre 40 % un an plus tôt. Autrement dit, le problème s'aggrave.

Les talents les plus recherchés ? Vendeurs, techniciens qualifiés et ingénieurs surtout.

Les pays les plus touchés ? Le Japon, encore lui, où 89 % des employeurs manquent de main-d'oeuvre, mais aussi la Roumanie (81 %) et Taiwan (78 %).

Outre la Roumanie, c'est toute l'Europe de l'Est, jadis exportatrice d'une main-d'oeuvre jeune et bon marché, qui éprouve à son tour des problèmes de « riches ». Les fameux « plombiers polonais » qui s'expatriaient jadis au Royaume-Uni pour trouver un job, c'est une autre époque...

Plus de la moitié des employeurs en Pologne, en Slovaquie et en Hongrie ont aujourd'hui des problèmes de recrutement, dit ManPower.

Il faut donc recourir à toutes sortes de solutions pour s'en sortir.

L'institution médiatique allemande DW Akadémie souligne que des employeurs polonais ont recours à des prisonniers pour regarnir leurs effectifs. Des entreprises slovaques garantissent un emploi au conjoint ou à la conjointe d'un travailleur qui accepte un poste.

Au Japon, pendant ce temps, la pénurie de main-d'oeuvre cause de plus en plus de dégâts.

Selon la firme Tokyo Shoko Research, 362 entreprises nipponnes ont déclaré faillite durant les 11 premiers mois de 2018 à cause d'un manque de personnel. Une hausse de plus de 20 % en un an.